La loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 a posé l’obligation pour tout employeur d’organiser des entretiens professionnels périodiques avec ses salariés en vue notamment d’examiner leurs perspectives d’évolution professionnelle. Un état des lieux professionnel devant, en vertu de ses dispositions, avoir lieu au bout de 6 ans, la tenue d’entretiens devait être envisagée en 2020 pour les salariés présents en 2014 dans les entreprises. Cependant, le contexte sanitaire a justifié l’adoption de textes permettant aux employeurs de repousser leur mise en place, de sorte que la question est d’une particulière actualité en 2021. Elle l’est d’autant plus que les textes adoptés ne sont pas toujours limpides et que les sanctions encourues peuvent s’avérer lourdes.

Concrètement, le Code du travail prévoit deux types d’entretiens professionnels. L’employeur doit, en premier lieu, organiser des entretiens ayant en principe lieu tous les deux ans, cette périodicité pouvant toutefois être modifiée par un accord d’entreprise ou, à défaut, par un accord de branche. Ces entretiens en principe biennaux sont consacrés aux perspectives d'évolution professionnelle du salarié, notamment en termes de qualifications et d'emploi et ne doivent pas porter sur l'évaluation du travail. L’employeur doit, dans ce cadre, informer le salarié sur les dispositifs de formation professionnelle à sa disposition (validation des acquis de l'expérience ; activation par le salarié de son compte personnel de formation et les abondements du compte que l'employeur est susceptible de financer ; éclairages portés sur le conseil en évolution professionnelle). Ce type d’entretien doit également être proposé aux salariés qui reviennent de certains congés (maternité, ou congé sabbatique, par exemple) ou d’un arrêt longue maladie, notamment, quelle que soit la date à laquelle le dernier entretien professionnel a eu lieu. Après l’entretien, un document est rédigé et une copie est remise au salarié, ce qui constitue un moyen de preuve pour l’employeur qu’il s’est acquitté de ses obligations.

En second lieu, tous les six ans au maximum (cette périodicité ne pouvant pas être modifiée par accord collectif), l’entretien professionnel permet de dresser un bilan du parcours professionnel du salarié. A l’occasion de cet entretien « bilan », l’employeur doit vérifier que le salarié a bien bénéficié au cours des six années précédentes des entretiens précités et « apprécier » s’il a bénéficié d'une progression salariale ou professionnelle, suivi au moins une action de formation et acquis des éléments de certification par la formation ou par une validation des acquis de son expérience. Les employeurs doivent toutefois s’assurer, lors de la tenue de cet « entretien-bilan », qu’il n’existe pas de dispositions conventionnelles « dérogatoires », car un accord collectif d'entreprise ou, à défaut, de branche peut prévoir d'autres modalités d'appréciation du parcours professionnel du salarié que celles qui sont prévues par la loi. 

La mise en place de ces entretiens a évidemment été compliquée durant la crise sanitaire, même s’ils pouvaient avoir lieu « à distance ». C’est pourquoi une première ordonnance du 1er avril 2020 (n° 2020-387) a d’abord permis aux employeurs de prendre l’initiative de repousser l'entretien professionnel de « bilan » : les entretiens bilans qui devaient intervenir au cours de l'année 2020 pouvaient être reportés jusqu'au 31 décembre 2020. La persistance de la crise sanitaire a justifié l’adoption d’une seconde ordonnance en date du 2 décembre 2020 (n°2020-1501), qui a autorisé les employeurs à reporter les entretiens bilans et les entretiens « biennaux » qui devaient intervenir entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021 jusqu'au 30 juin 2021. La loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire n’ayant pas prévu de nouveau report, les entretiens concernés (devant normalement intervenir entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021, donc) ne semblaient donc pas, à s’en tenir à ces dispositions, pouvoir intervenir après le 30 juin 2021.

Un sérieux doute naît cependant de la lecture d’autres dispositions de loi du 31 mai. Cette dernière, en effet, a repoussé jusqu’au 30 septembre 2021 l’option ouverte aux employeurs entre le respect des obligations actuellement posées par le Code du travail et celles qui étaient applicables avant l’entrée en vigueur de la loi du 5 septembre 2018. Autrement dit, les employeurs peuvent évidemment respecter les dispositions de l’article L. 6323-13 en vertu desquelles ils doivent vérifier, d’une part, que les entretiens « biennaux » ont bien eu lieu et, d’autre part, que le salarié a suivi sur la période de six ans au moins une formation « qui ne conditionne pas l'exercice d'une activité ou d'une fonction en application d'une convention internationale ou de dispositions légales et règlementaires ». Mais il leur est également permis de choisir de se conformer, jusqu’au 30 septembre 2021, aux règles qui étaient applicables avant le 1er janvier 2019 : ils doivent alors établir qu’au cours des 6 années précédentes, ils ont organisé tous les entretiens professionnels « biennaux » et qu’ils ont accordé au salarié, sur cette même période, au moins deux mesures d'évolution dans une liste de trois mesures (action de formation, acquisition d'une certification et progression salariale ou professionnelle). Au surplus, la loi du 31 mai prévoit que les dispositions applicables en cas de non-respect des obligations précitées sont inapplicables « à compter du 12 mars 2020 et jusqu'au 30 septembre 2021 ». Le Ministère du travail déduit de l’ensemble de ces dispositions, dans un document « Questions/réponses » actualisé le 21 juin 2021 mais qui ne lie pas les juges, que « pour les entretiens d’état des lieux qui n’ont pas pu avoir lieu avant le 30 juin 2021, l’employeur a jusqu’au 30 septembre 2021 pour réaliser lesdits entretiens sans encourir de sanction » et évoque ainsi une « possibilité de rattrapage ».

Le sujet est d’autant plus sensible que les sanctions attachées à l’absence de mise en place de ces entretiens sont loin d’être négligeables. Les articles L. 6315-1 et L. 6323-13 du Code du travail, qui ne visent que les entreprises d’au moins cinquante salariés, prévoient en effet l’obligation pour l’employeur défaillant d’abonder spontanément le compte personnel de formation de chaque salarié concerné à hauteur de 3.000 euros et de l’en informer. Un agent de contrôle compétent constatant que ce versement rectificatif n’a pas eu lieu peut, après respect d’une procédure contradictoire, mettre en demeure l’employeur d’y remédier. Si ce dernier n’obtempère pas, il devra alors verser au Trésor public un montant équivalent à l'insuffisance constatée majorée de 100 %, et qui peut donc aller jusqu’à 6.000 euros par
salarié.

AUTEURS

Dirk Baugard
KPMG Avocats

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