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3 février 2023     |    4 min de lecture

EXPERIENCE ECONOMY




Luc Bretones

Fondateur et CEO de NextGen,
Fondateur de "The NextGen Enterprise Summit"

Vous dites que la prochaine grande disruption ne sera ni technologique ni marketing, mais portera sur les nouvelles formes de management. Pourquoi la prochaine révolution sera-t-elle managériale ?

Nous nous situons à la fin d’un cycle du capitalisme de production, déployé durant des décennies à grande échelle dans des cadres prévisibles. Cela a stimulé l’innovation et la productivité mais en s’appuyant sur un modèle d’organisation centrée sur la subordination de l’individu. Cette subordination s’inscrivait dans un contexte où l’on faisait cohabiter de manière volontiers dissociée nos personas de salarié, de consommateur ou de citoyen. Cette dissociation est aujourd’hui rejetée en bloc par une importante partie de la population, ce qui conduit à une crise sans précédent de l’engagement. L’un des derniers sondages de l’institut Gallup en témoignait crûment en montrant que 86 % des personnes définissent leur relation de travail comme toxique ou purement alimentaire. Nous sommes face à un effondrement du modèle de management traditionnel qui se fissure comme s’opère la fonte des glaces. Ce qui nous attend est une transformation inédite de nos organisations.

Vous êtes fondateur du NextGen Enterprise Summit qui met en avant les entreprises désireuses de penser leurs organisations autrement. Qu’est-ce qui les pousse à une telle transformation ?

Elles sont confrontées, comme toute entreprise, à une crise des talents, à des exigences d’impacts nouvelles et à des limites d’efficacité opérationnelle. Mais plutôt que d’opter pour des approches en silo, elles s’inscrivent d’entrée dans une volonté de dynamique globale en donnant une même cohérence à l’engagement vis-à-vis de l’externe et de l’interne. C’est ce qui permet de réengager les forces vives autour d’organisations plus agiles et d’objectifs partagés. Or, les études scientifiques ont montré que plus une équipe est alignée sur ses objectifs et plus elle est performante. Cela permet véritablement aux organisations de faire des sauts quantiques en matière d’attractivité, de fidélisation ou d’efficacité…

De nombreux outils et approches se développent pour promouvoir de nouveaux modèles de management – on parle d’« holocratie », de déploiement de logiciels collaboratifs… – sans que les résultats ne soient toujours probants. Quels sont les schémas de reproductibilité de ces organisations agiles ?

Il n’y a pas de recette, justement… Chaque organisation est différente et appelle à des approches spécifiques d’engagement des acteurs et de management des organisations. C’est toute la difficulté, mais aussi l’intérêt, des approches globales. Il y a bien sûr des principes gagnants que l’on retrouve et que j’ai pu contribuer à identifier en enquêtant sur un certain nombre de ces entreprises NextGen (1). La transformation s’y fait pas à pas et s’appuie sur ce qui se pratique et se tente ailleurs. Surtout, la rupture avec le fameux principe de subordination s’opère en refondant les modèles de management sur la notion d’équivalence et les principes d’intelligence collective ainsi que sur une subsidiarité bien plus centrale. Le patron de Netflix dit d’ailleurs volontiers qu’il peut passer trois mois sans prendre une seule décision !

Le NextGen Enterprise Summit met en avant un certain nombre de sociétés émergeantes qui s’inscrivent dans ce schéma. Y en aurait-il une qui vous paraît particulièrement emblématique de ce défi de transformation ?

C’est bien évidemment difficile de choisir mais j’aime bien citer l’exemple d’OpenDecide, non seulement parce que c’est une jeune entreprise française, mais aussi parce que le modèle qu’elle propose est le fruit de travaux scientifiques de recherche en management – des travaux qui restent souvent mal connus et insuffisamment exploités. Le modèle prend la forme d’un questionnaire de 258 questions simples permettant en un temps court de faire un audit du fonctionnement d’une équipe. L’outil identifie 12 processus autour desquels opérer une transformation et mettre en œuvre un plan d’action collaboratif. Beaucoup des dysfonctionnements mis en lumière par cet outil sont liés à des héritages traumatiques que le management peine à solder.

Vous êtes depuis un an président du conseil d’administration de l’école Centrale Marseille. En quoi la formation doit-elle aussi être le creuset de ces nouvelles approches managériales et en quoi l’intégration de ces approches reste-t-elle parfois difficile ?

La formation est aussi un enjeu important. La plupart des institutions de formation ne sont pas encore vraiment engagées dans ces modes de management émergeants. Ce qui n’a rien de vraiment étonnant quand on sait que le scrum et le lean startup sont arrivés dans les grandes écoles de commerce dix ans après avoir émergé en entreprises. D’ailleurs, on voit apparaître des modèles de formation disruptifs qui se construisent sur des principes de modules « commandos » hors des circuits traditionnels. On y travaille la conduite de projet, dans des formats très intenses, insufflés d’échanges avec les praticiens de terrain. Il faut aussi réveiller les cursus plus traditionnels en intégrant des formations hybrides, « snackables » et plus ouvertes aux innovations et acteurs de terrain.

D’un dernier mot, quels modèles d’organisation émergeants vous paraissent aujourd’hui particulièrement intéressants et représentatifs de ces approches disruptives ?

Jusqu’à présent, les modèles capitalistes ont mis en place une approche centrée soit sur le profit, soit sur le non-profit. Je vois émerger un nouveau modèle, qui serait davantage basé sur l’idée de communauté. L’irruption de communautés qui se fédèrent un peu partout via l’ubiquité d’Internet est fascinante. Ces groupes, que l’on retrouve souvent autour des enjeux de blockchain ou modèles de DAO, défont le sacrosaint principe de subordination en cherchant à activer la multitude de manière à la fois positive et équitable. On y voit apparaître des contractualisations qui se font sur des projets communs. Cela peut paraître déconcertant car cela rebat les logiques de management et d’engagement habituels. Et leur croissance pourrait vite devenir un tsunami organisationnel.

(1) L’entreprise nouvelle génération, Éditions Eyrolles.

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