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Mais, plus largement, la lecture de l’activité des entreprises et des modèles d’affaires ne se fera plus jamais sans le prisme ESG. Il en va de leur pérennité. Donc de leur attractivité financière.

Réorienter la finance

L’Accord de Paris, adopté par 196 parties le 12 décembre 2015, mentionnait dans son l’article 2.1.c la nécessité de « rendre tous les flux financiers nationaux et internationaux compatibles avec une trajectoire faiblement émettrice de gaz à effet de serre (GES) et résiliente au changement climatique ».

En d’autres mots, les formidables changements économiques et sociaux qu’il appelle ne peuvent se faire sans une réorientation massive de la finance mondiale. À commencer par l’intégration du long-terme, -celui du climat-, dans les décisions.

Ainsi, des investissements à grande échelle sont et seront nécessaires, à la fois pour réduire les émissions de GES de manière significative, mais aussi pour financer l'adaptation des pays aux effets néfastes du réchauffement.

Le coût de l’action et celui de l’inaction climatique

L’université de Princeton a calculé que les USA devront investir 11 % de leur PIB (2 500 milliards de $) d’ici 2030 pour pouvoir atteindre l’objectif net zéro en 2050. La Commission européenne mentionne 25 % du PIB européen (3 500 milliards d’euros), tandis que l’université de Tsinghua évalue que 122 % du PIB chinois seront à consacrer dans les 40 prochaines années (environ 21 600 milliards de $).

Des chiffrages encore plus larges existent : en 2019, la banque américaine Morgan Stanley considérait qu’il faudrait 50 000 milliards de $ pour transformer ce qu’elle définit comme cinq industries-clés : énergies renouvelables, véhicules électriques, hydrogène, captage / stockage du carbone et biocarburants[1].

Des chiffres ahurissants ? Sans doute. Mais moins que ceux de l’inaction !

Les pertes liées à l’inaction (current policies) pourraient dépasser 8 % du PIB mondial d’ici 2050[2] selon le Network for Greening the Financial System (NGFS). Du côté de l’OCDE, ce chiffre grimpe de 10 à 12 % ; la palme du pessimisme revenant au FMI, avec 25 % de chute.

Une « révolution mondiale »

Côté France, le Rapport Perrier dit tout. Rédigé au printemps 2022 par Yves Perrier, président d’Amundi et vice-président de Paris Europlace, dans le cadre de la mission confiée par le ministre de l’Économie, des Finances Bruno Le Maire, ce document a défini une trajectoire pour les acteurs de la place de Paris afin qu’ils alignent leurs actions avec les objectifs définis par l’Accord de Paris. Il en appelle ni plus ni moins qu’à une « révolution industrielle sur le plan mondial et à mettre en place une nouvelle économie politique ».

En affirmant que « seule une approche holistique pourra se montrer efficace pour “changer le brun en vert”, en particulier dans les secteurs les plus émissifs (les transports, l’industrie lourde, le bâtiment et l’agriculture) », en assurant que des « investissements considérables devront être réalisés tant en recherche et développement qu’en transformation des processus industriels et dans de nouvelles infrastructures ».

D’après l’auteur, il s’agira de « 3 à 5 trillions de $ supplémentaires par an jusqu’en 2050 au niveau mondial », dont « 480 milliards d’euro d’investissements supplémentaires par an » au niveau européen et de « doubler avant 2030 les investissements annuels par rapport au niveau de 2018 » pour la France.

Plaidant au passage pour une taxe carbone européenne, le rapport assure que « le rôle du système financier, banques et investisseurs, est d’accompagner la transformation des entreprises en leur allouant les capitaux nécessaires et en influençant leurs stratégies par le coût du capital ». Quitte à « remettre en cause, chez les investisseurs, les critères de rentabilité́ du capital forgés dans les années 2000 et dont le niveau apparaît incompatible avec la nature des transformations à opérer ».

Une révolution…

De l’importance du reporting extra-financier

Dans ce contexte, « la mise en place d’un reporting extra-financier au niveau des entreprises permettra au système financier (banques et investisseurs) de disposer des éléments leur permettant, d’une part de mesurer l’intensité́ CO2 de leurs portefeuilles et, d’autre part, d’alimenter les notes de crédit et les analyses des contreparties et des portefeuilles ».

C’est tout le sens de la toute récente CSRD. La Corporate Sustainability Reporting Directive a été publiée par la Commission européenne le 31 juillet 2023 et entrera en vigueur, sauf surprise, le 1er janvier 2024.

Véritable bras armé de l’European Green Deal, elle est assise sur le principe de double-matérialité[3] et va constituer, pour 50 000 entreprises européennes, un outil de pilotage commun de leur transition écologique et de leur trajectoire de décarbonation.

En France, il est fait état de 8 000 entreprises, dont 2/3 sont des d’ETI, qui vont devoir se familiariser avec le reporting ESG[4] sur l’exercice fiscal 2025, pour une première publication en 2026.

Il faut garder à l’esprit que la CSRD et le reporting ne sont pas une fin en soi pour les entreprises. Mais bien un langage commun de pilotage et de lecture de leur performance, à destination de leurs parties prenantes, au premier rang desquelles, leurs banques et leurs investisseurs.

Un label ISR plus ambitieux et plus aligné

Des dizaines de milliers d’entreprises européennes qui pourront prétendre à leur intégration à des fonds labellisés ISR[5] (Investissement Socialement Responsable). Garantis par deux labels (Label Investissement Socialement Responsable et Label Greenfin), ils permettent de financer des entreprises et des entités publiques, de tous secteurs d’activités, ayant intégré le développement durable dans leur modèle économique.

C’est la rencontre -réussie- entre performance économique et impact socio-environnemental. Il a, en effet, été remarqué que les entreprises ayant une notation ESG élevée, réalisaient, sur le long terme, les meilleures performances financières[6].

Une bonne raison pour Bruno Le Maire d’avoir voulu renforcer les exigences du Label ISR, en demandant de « faire évoluer le référentiel afin qu’il soit mieux adapté aux défis auxquels doivent répondre les gestionnaires d’actifs dans un contexte de transitions sociales et environnementales en forte évolution ».

Au terme de 18 mois de travaux et de consultations auprès des différentes parties prenantes de la place, l’annonce par le Ministre[7] d’un « un label simple et efficace pour permettre aux Français de donner du sens à leur épargne. […] avec ce nouveau label ISR, dont la lutte contre le réchauffement climatique devient un incontournable. Nous permettrons ainsi aux épargnants de prendre en compte la transition écologique et aux entreprises de financer plus facilement leur décarbonation ».

Plus concrètement, toutes les entreprises du secteur des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) seront exclues du label à partir de mars 2024. Pour les autres, elles devront présenter un plan de transition aligné sur l’Accord de Paris.

Finance rime avec gouvernance

L’Europe veut être le premier continent neutre en carbone et se dote au fil des années des outils pour atteindre cet objectif.

Les entreprises européennes, et a fortiori françaises, doivent dorénavant veiller à porter un discours de conviction et de sincérité vis-à-vis des marchés financiers et de toutes les parties prenantes de l’entreprise, ce qui n’est pas sans créer de nouvelles difficultés opérationnelles.

Notamment des défis de gouvernance (le G de ESG). Les conseils d’administration doivent dorénavant avoir la capacité d’apprécier l’ambition sociale, sociétale et environnementale, les moyens et les investissements requis et l’impact afférent (impact-risque-opportunité) de son déploiement sur la performance de l’entreprise à court, moyen et long terme.

Les conseils d’administration vont devoir faire face aux nouveaux enjeux de la CSRD. Le Baromètre de gouvernance ESG, publié par @kpmg-France début novembre 2023, a pour objectif de guider les entreprises et leur CA face à ce pilier du triptyque ESG, en apportant :

  • un éclairage concret sur les nouvelles exigences requises par rapport aux exigences actuelles de la directive NFRD[8], à la lumière d’un « gap analysis » ;
  • une mesure de l’effort restant à fournir pour être en conformité avec les nouveaux standards d’exigence de la norme ESRS 2[9], pour chacun des 23 « data points » mis en avant par la future norme ;
  • une synthèse des principaux enjeux de communication en matière de gouvernance ESG.

À lire pour agir !

1 Decarbonization : the race to zero emissions

2 NGFS Scenarios for central banks and supervisors - November 2023

3 La « simple » matérialité établit une hiérarchie des enjeux RSE auxquels l’entreprise fait face, la « double » matérialité y ajoute des « enjeux d’impacts », c’est-à-dire les décisions de l’entreprise qui ont un impact significatif sur la société et/ou sur les écosystèmes. Plus contraignant, mais plus efficace !

Environnement. Social. Gouvernance

AMF : Comprendre l'investissement socialement responsable

6 Bain & Company et EcoVadis : étude 2023 sur la corrélation entre les pratiques ESG et la performance financière

7  https://presse.economie.gouv.fr/06112023-bruno-le-maire-annonce-les-contours-du-nouveau-label-investissement-socialement-responsable-isr/

8 Non Financial Reporting Directive

9 Normes européennes d'information en matière de durabilité

 


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