• Albane Liger-Belair , Partner |
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Si la crise de la Covid-19 accélère la prise de conscience de l’urgence climatique et de la transition énergétique, elle souligne du même coup le casse-tête de son financement. Jusqu’alors massivement concentrée sur l’essor des capacités de production en énergies renouvelables, cette transition se joue désormais de plus en plus dans la diffusion et le bon usage de l’énergie produite. Sobriété énergétique et substitution des énergies fossiles deviennent les paramètres clés d’une transition performante. Ces enjeux rebattent du même coup les logiques de financement associées. Autant les aides directes et leviers de fiscalité punitive suffisaient à abonder les besoins en investissements de la production d’énergies renouvelables, autant l’accompagnement d’usages plus vertueux suppose d’inclure, en plus du financement direct, une dimension incitative et participative plus forte. Ces « investissements à impact », déclinés aussi bien auprès des entreprises que des particuliers, sont aujourd’hui au cœur de l’ingénierie de la finance verte.

Des taux d’intérêt qui fluctuent avec les performances énergétiques

Ils se déclinent auprès des entreprises à travers de nouvelles générations de prêts, dit prêts à impact positif ou « social bonds ». Ces prêts ajoutent une clause indexant la performance durable de l’entreprise au taux de financement : plus l’entreprise est vertueuse, plus le taux est intéressant… Le dispositif est d’autant plus novateur qu’il permet d’intégrer une grande diversité d’indicateurs, aussi bien liés à des objectifs de sobriété énergétique que de gouvernance ou de responsabilité sociale. Le groupe Korian a ainsi lancé au mois de juin un prêt à impact positif de 173 millions d’euros lié à l’atteinte d’objectifs allant de la réduction des émissions de CO2 à la part d’employés en formations qualifiantes. Pour chacun, un mécanisme de bonus/malus fait varier le taux d’intérêt. En 2019, le groupe Solvay avait, de son côté, renégocié les conditions d’un financement de prêt existant avec BNP Paribas, liant le coût du crédit aux objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre du groupe à horizon 2025. 

Des centrales solaires autofinancées

Un autre mécanisme incitatif innovant pour les entreprises passe par le développement d’autoconsommation d’énergies renouvelables. C’est ce que propose la société GreenYellow, filiale du groupe Casino, qui installe des centrales solaires chez ses clients. Implantées sur des toits de magasin ou d’entrepôt, voire sur des ombrières de parking, ces panneaux solaires sont financés par GreenYellow, qui se rémunère en revendant l’énergie produite à l’entreprise hôte avec des coûts inférieurs de 8 % à 12 % à ceux du réseau. « 80 % de nos clients en autoconsommation se trouvent dans le retail où l’on couvre en moyenne 25 % des besoins d’énergie des magasins, explique Jérôme Owczarczak, directeur général France en charge du photovoltaïque chez GreenYellow. Mais nous équipons aussi des usines, des hôpitaux, des réseaux de bus électriques ou des aéroports. Nous expérimentons d’ailleurs de nouveaux systèmes comme l’implantation de batteries chez les clients permettant le stockage d’énergie solaire non utilisée en journée, réutilisable la nuit quand l’approvisionnement photovoltaïque est nul. »

Des flottes de bus électriques prises en charge à 30 %

Cet accompagnement à la transformation des usages se fait à l’échelle des entreprises, mais aussi des particuliers, avec là aussi une finance verte créative et innovante. Elle l’est notamment dans le cadre bien connu des CEE (certificats d’économies d’énergie). Lancés en 2006, ces certificats permettent aux vendeurs d’énergie (électricité, gaz, fioul, carburants, réseau de chaleur) de promouvoir des programmes de réduction de consommation d’énergie. Principalement centrés sur la rénovation énergétique de l’habitat, ces opérations ou programmes cherchent aujourd’hui à accompagner plus largement la transformation des usages et la sobriété énergétique. « Nous essayons de proposer, dans le cadre d’appels à programmes du Ministère, la prise en charge de nouvelles actions générant des économies d’énergie mais ce n’est pas toujours évident, explique Florence Olive, directrice de l’innovation de Vertigo, société spécialisée dans la valorisation des CEE. Même s’il est possible de valoriser des enveloppes conséquentes, le mécanisme propre aux CEE suppose de prouver les gains réellement générés, ce qui n’est pas toujours évident quand on adresse des usages collectifs. » La société a néanmoins déjà pu ouvrir une enveloppe de 36 millions d’euros pour l’aide à l’investissement, à hauteur de 30 % de flottes de bus électriques à destination de collectivités. « On travaille aussi sur des appels à programmes CEE qui concernent la précarité énergétique ou le développement de l’hydrogène. »

Passer de l’effet de mode à l’effet de taille

Ces investissements à impact peuvent se faire autour de mécanismes d’incitation mais aussi de dynamiques d’implication, comme c’est le cas avec le financement participatif. L’objet des financements évolue aussi. Traditionnellement centrés sur le financement de projets locaux de production d’énergies renouvelables, certaines plateformes leaders ambitionnent de s’impliquer dans des projets de plus grande ampleur, couvrant une plus grande variété d’usages. « Le financement participatif a longtemps été mis en avant pour favoriser l’acceptabilité d’infrastructures de production par les riverains, confirme Olivier Houdaille, président de la plateforme Lumo qui a permis l’investissement de plus de 10 millions d’euros depuis sa création. "Cela reste le cœur des projets que l’on soutient, mais nous voulons passer de l’effet de mode à l’effet de taille en finançant l’ensemble des champs de la transition énergétique - distribution d’énergie, recyclage des déchets, mobilités douces. Là aussi, la dimension d’implication et d’acceptation que nous apportons peut être décisive."