MARCHE ARRIÈRE
La Commission européenne est passée du verdissement de l’activité des entreprises européennes (le « Green Deal ») au renforcement de leur compétitivité. De multiples raisons l’y ont poussée, en particulier, dans l’ordre politique la nouvelle ambiance internationale et l’évolution des équilibres au sein du Parlement européen, et dans l’ordre économique les analyses et propositions du rapport Draghi de l’année dernière. Aussi, a-t-elle lancé plusieurs trains de réforme, au premier chef des directives Durabilité et Vigilance, trains qu’elle qualifie d’« omnibus » et qui, effectivement, relèvent du transport en commun … de textes. Mais la version qui a été adoptée par le Parlement européen le 13 novembre dernier va bien au-delà de ce qu’avait initialement envisagé la Commission et ce sont des omnibus en marche arrière qui sont lancés.
LES TRAINS DÉJÀ EN GARE
Une première vague de textes divers avait déjà rapiécé plusieurs réglementations. En particulier : une première directive omnibus du 14 avril (« Stop the clock »), qui a reporté de deux ans l’entrée en pleine vigueur des directives durabilité et vigilance ; un acte délégué de la Commission européenne du 11 juillet (« Quick Fix »), qui a également prolongé de deux ans les informations de durabilité que les grandes entreprises de la vague 1 (celles soumises depuis 2025 à l’établissement d’un rapport de durabilité) sont autorisées à ne pas publier (en particulier les effets financiers liés à la durabilité) et suspendu l’application de plusieurs normes ESRS ; une Recommandation du 30 juillet par laquelle la Commission invite les entreprises de la chaîne de valeur non soumises à la durabilité à néanmoins adopter les normes volontaires (VSME) publiée en décembre de l’année dernière par l’EFRAG.
LES TRAINS EN PRÉPARATION
Bien d’autres projets de simplification sont en préparation. La Commission annonce en effet un « train d’omnibus » tous azimuts, allant de la simplification du RGPD à la directive sur les marchés d’instruments financiers en passant par le règlement anti-dumping et d’autres réglementations de toute nature.
L'OMNIBUS DES DIRECTIVES DURABILITÉ ET VIGILANCE
D’ores et déjà, est près d’arriver en gare un nouvel omnibus venant compléter celui du mois d’avril et qui, pour l’essentiel, relèvera substantiellement les seuils d’application des directives CSRD (durabilité) et CSDDD (vigilance). Un texte a été adopté par le Parlement européen le 13 novembre dernier, qui relève substantiellement les seuils de ces deux directives, mais il n’est peut-être pas définitif.
Dans son état actuel, là où la directive durabilité devait s’étendre en plusieurs phases jusqu’aux petites et moyennes entreprises cotées, la directive omnibus en discussion ne l’imposerait plus qu’aux entreprises ou groupes de plus de 1.750 salariés réalisant un chiffre d’affaires de plus de 450 millions d’euros ; en outre, les holdings financières et les filiales cotées n’y seraient plus soumises ; au résultat, près de 80 % des entreprises européennes initialement visées y échapperaient. Par ailleurs, le nombre de normes ESRS serait notablement revu à la baisse, le projet d’édiction de normes sectorielles serait abandonné, et les entreprises soumises à la durabilité pourraient démontrer que, malgré leurs efforts, elles n’ont pas réussi à obtenir d’informations de leurs partenaires. Enfin, les entreprises de la chaine de valeur n’atteignant pas les seuils ne seraient plus tenues de fournir à l’entreprise de tête que les informations liées aux standards volontaires, sauf informations habituellement partagées.
De même, là où la directive vigilance devait s’appliquer aux entreprises de plus de 1.000 salariés réalisant un chiffre d’affaires de plus de 450 millions d’euros, la directive omnibus en discussion ne l’imposerait plus qu’aux entreprises dépassant 5.000 salariés et un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros ; là encore, les holdings financières non impliquées dans la gestion opérationnelle du groupe seraient exemptées. Au surplus, les entreprises de la chaîne de valeur seraient limitées aux sous-traitants et partenaires commerciaux directs, et si les informations transmises par ces derniers n’étaient pas satisfaisantes, l’entreprise de tête pourrait se contenter de suspendre provisoirement les relations commerciales et non plus nécessairement les résilier. A cela s’ajouterait la suppression de régime européen de responsabilité civile, ce qui certes ne changerait pas la situation en France, qui connaît un régime de responsabilité civile général, mais permettrait à certains états de continuer à exonérer leurs entreprises de ce risque.
COMBIEN DE WAGONS À L'ARRIVÉE ?
Le texte adopté par le Parlement européen le 13 novembre 2025 est allé beaucoup plus loin que celui proposé par la Commission à l’origine. Dès lors, qu’en restera-t-il passé l’épreuve à venir du trilogue entre le Parlement, la Commission et le Conseil ?
Quoi qu’il en soit, on mesure combien l’orientation de la Commission a changé au nom du nouvel objectif de compétitivité des entreprises. On pourrait largement discuter de son opportunité. On se contentera ici de faire remarquer que des retours en arrière aussi lourds de conséquences potentielles en si peu de temps, par de nombreux et volumineux textes, ne sont pas, pour le moins, un modèle de gouvernance.