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Par l’arrêt du 23 octobre 2025 (Tuleka, C-469/24), la CJUE apporte des clarifications concernant le droit pour un voyageur d’obtenir le remboursement intégral du prix en cas de non‑conformité des prestations incluses dans un forfait, même lorsque certains services ont été fournis.

CONTEXTE ET OBJET DE LA DÉCISION

La Cour de justice de l’Union européenne (ci-après, la « CJUE ») s’est récemment prononcée au regard de l’interprétation à donner de certaines dispositions de la Directive 2015/2302 du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées (ci-après, la « Directive »), à l’occasion d’un litige opposant deux voyageurs polonais à un organisateur de voyages.

Les voyageurs avaient souscrit un séjour « tout compris » en Albanie, incluant hébergement hôtelier et restauration. Sur place, ils ont subi des travaux au sein de l’hôtel entraînant des nuisances sonores, l’impossibilité de profiter des piscines et des installations en bord de mer, ainsi que des défaillances importantes des services de restauration.

Saisi par une juridiction polonaise, le tribunal d’arrondissement de Rzeszów a posé quatre questions préjudicielles à la CJUE sur l’interprétation des règles de la Directive.

LES QUESTIONS PRÉJUDICIELLES POSÉES À LA COUR

  1. Compatibilité avec la Directive d’une règle nationale imposant à l’organisateur de prouver la faute d’un tiers non-organisateur pour s’exonérer lorsque la non-conformité est imprévisible ou inévitable.
  2. Droit au remboursement intégral du séjour non conforme, même en cas de prestation partielle de certains services. 
  3. Portée du droit à indemnisation : vise-t-il uniquement à rétablir l’équilibre contractuel ou tend-il également à un objectif punitif ?
  4. Inclusion des actes de puissance publique dans la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables », notamment une décision administrative de démolition.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA MÉTHODOLOGIE DE LA COUR

La Cour rappelle la finalité protectrice de la Directive : instaurer un haut niveau de protection des voyageurs via un régime de responsabilité de l’organisateur structuré autour de la mise en conformité ou réduction de prix, d’un droit à indemnisation du préjudice, et de mécanismes d’information et de réacheminement ou assistance.

ANALYSE DE L’ARRÊT - POINT PAR POINT

Charge de la preuve en cas de non-conformité imputable à un tiers (imprévisible/inévitable)

La Cour précise le sens de l’expression « imputable à », qui induit l’attribution d’un fait à une personne ou une situation sans exigence de faute. Elle en déduit que la Directive, qui instaure un régime de responsabilité sans faute, vise à protéger les consommateurs sans imposer à l’organisateur de voyages la preuve de la faute du tiers. En conséquence, la loi polonaise imposant cette preuve est contraire à la Directive. L’organisateur n’est donc pas tenu de démontrer la faute du tiers pour voir sa responsabilité écartée.

Réduction de prix « appropriée » et possibilité d’un remboursement intégral en cas de séjour non conforme

La Cour retient une interprétation extensive des obligations de l’organisateur de voyages, impliquant que l’estimation de la réduction de prix tienne compte de la valeur des services de voyage mal ou non-exécutés, de la durée des non-conformités, de la valeur du forfait et du but poursuivi par le contrat.

Elle admet également qu’un remboursement intégral est possible lorsque ces non-conformités sont d’une ampleur telle que le séjour n’a plus d’intérêt objectif pour le voyageur, indépendamment du fait que certains services aient été fournis.

Finalité du droit à indemnisation : compensatoire, non punitive

La Directive prévoit le droit pour les voyageurs de bénéficier d’une réduction de prix et d’un dédommagement visant à compenser le préjudice subi.

La Cour estime qu’il ne peut être déduit du texte, du contexte, et de l’objectif de protection des consommateurs, que la Directive avait vocation à instaurer des dommages et intérêts punitifs à la charge de l’organisateur du voyage. La possibilité pour les États membres de prévoir des sanctions nationales ne modifie pas cette analyse. L’indemnisation vise donc à restaurer l’équilibre contractuel, et non à sanctionner l’organisateur.

« Circonstances exceptionnelles et inévitables » et actes de puissance publique

La Directive définit la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables » comme des situations échappant au contrôle de la partie qui les invoque et dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toutes les mesures raisonnables. La Cour rapproche cette notion de la notion de force majeure, impliquant une imprévisibilité. Les actes des autorités publiques ne sont pas en principe imprévisibles, car soumis à des règles de procédure et de publicité.

Dans le cas d’espèce, la Cour invite la juridiction polonaise à vérifier si l’organisateur avait connaissance de la décision de démolition avant son exécution. Une telle connaissance suffirait à engager sa responsabilité.

CONCLUSION

Cet arrêt accroît la responsabilité des organisateurs de voyages, les obligeant à adapter leurs conditions commerciales et à renforcer leur gestion des risques. Il s’inscrit dans la révision en cours de la Directive 2015/2302, destinée à mieux protéger les vacanciers et à simplifier le droit des voyages à forfait.