On attendait la transposition de la directive du 23 novembre 2022 relative à un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes dans les conseils d’administration et conseils de surveillance des sociétés anonymes (dite Women on boards ou WoB). L’ordonnance n° 2024-934 du 15 octobre 2024 parue au JO du 15 octobre opère enfin sa transposition en France. Notre pays a été pionnier en matière de recherche de la parité dans les conseils et aucune révolution n’était à attendre : la loi Copé-Zimmerman avait, dès 2011, imposé un processus de parité qui a manifestement inspiré la directive européenne.
Une loi du 22 avril 2024 avait habilité le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures nécessaires à la transposition en donnant plusieurs instructions, qui ont été suivies. C’est à partir de celles-ci que l’on peut tenter d’apprécier l’apport de l’ordonnance, tout en précisant qu’un décret d’application est encore nécessaire pour permettre la mise en oeuvre de plusieurs dispositions nouvelles.
UN CHAMP D'APPLICATION AU MOINS ÉGAL À CELUI DES TEXTES FRANÇAIS
En premier, la loi d’habilitation prévoyait que la transposition devrait correspondre au moins au champ d’application des textes français.
Rappelons que l’article L 225-18-1 (et L 226-4-1) du code de commerce dispose, pour toutes les sociétés anonymes, que :
« La proportion des administrateurs [auxquels il faut assimiler les membres du conseil de surveillance] de chaque sexe ne peut être inférieure à 40 % à l'issue de la plus prochaine assemblée générale ayant à statuer sur des nominations, dans les sociétés qui, pour le troisième exercice consécutif, emploient un nombre moyen d'au moins deux cent cinquante salariés permanents et présentent un montant net de chiffre d'affaires ou un total de bilan d'au moins 50 millions d'euros. Dans ces mêmes sociétés, lorsque le conseil d'administration est composé au plus de huit membres, l'écart entre le nombre des administrateurs (membres du conseil de surveillance) de chaque sexe ne peut être supérieur à deux ».
Rappelons que les dispositions précédentes s’appliquent également aux sociétés cotées sur un marché réglementé, mais sans condition de seuil.
A l’issue de la transposition, ces textes demeurent dans leur principe, mais l’ordonnance impose des obligations plus contraignantes aux sociétés qui sont cotées sur un marché réglementé et qui dépassent certains seuils à la clôture du dernier exercice : entreprises qui emploient un nombre moyen d’au moins 250 salariés permanents et présentent un montant net de chiffre d’affaires d’au moins 50 millions d’euros ou dont le total du bilan excède 43 millions d’euros, à savoir :
- exigence de parité étendue aux membres du directoire selon des règles à définir par le conseil de surveillance ;
- communication obligatoire des informations requises à une autorité qui sera désignée par décret ;
- procédure de sélection spécifique à préciser par décret pour la désignation de tout administrateur ou membre d’un conseil de surveillance au cas de méconnaissance des règles relatives à la représentation équilibrée.
Rappelons que pour toutes les autres sociétés, l’article L. 225-58 dispose simplement que la composition du directoire s’efforce de rechercher une représentation équilibrée des femmes et des hommes et que le directoire doit déterminer un processus de sélection qui garantit jusqu’à son terme la présence d’au moins une personne de chaque sexe.
LE RESPECT D'UNE PROPORTION MINIMALE DE 40 % DU SEXE LE MOINS REPRÉSENTÉ, QUELLE QUE SOIENT LES MODALITÉS DE DÉSIGNATION
Ensuite, la loi d’habilitation prévoyait que l’ordonnance devait garantir que, dans les conseils d’administration et de surveillance des sociétés commerciales, soit exigée une proportion minimale de 40 % du sexe le moins représenté, pour l’ensemble de leurs membres, quelles que soient les modalités de désignation.
En application de cet objectif, le dispositif - déjà existant en droit français - d’équilibre entre hommes et femmes est étendu aux administrateurs représentants des salariés et aux administrateurs (et membres du conseil de surveillance dans les deux cas) représentants des salariés actionnaires. Mais, comme la directive autorise l’application de la règle d’équilibre à des collèges distincts, l’article 22 de l’ordonnance crée un collège autonome pour les administrateurs représentants les salariés.
PAS DE SANCTIONS NOUVELLES
La loi d’habilitation précisait également que l’ordonnance ne devait pas ajouter de nouvelles sanctions en cas de méconnaissance des obligations relatives à la représentation équilibrée.
La sanction actuelle la plus redoutable, commune à toutes les sociétés, cotées ou non, est la nullité de toute nomination intervenue en violation des exigences légales (art. L. 225-18-1). Mais le non-respect de la proportion de 40 % ou de l’écart maximal de deux membres entraîne également la suspension du versement des rémunérations versées au titre des fonctions d’administrateur ou de membre du conseil de surveillance. Rappelons également que la loi PACTE avait supprimé de l’article L. 225-18-1 la formule auparavant existante selon laquelle « cette nullité n'entraîne pas celle des délibérations auxquelles a pris part l'administrateur irrégulièrement nommé » et que cette suppression a eu pour conséquence d’appeler à encore davantage de vigilance dans la mise en place du dispositif.
Il n’y a pas de sanction nouvelle dans l’ordonnance. Observons toutefois l’existence de procédures de régularisation annoncées comme devant être “particulièrement exigeantes » (Rapport au Président de la République, p 2) dans le cas où l’équilibre requis n’aurait pas été réalisé, procédures dépendant de décrets à venir. Cette mesure rejoint la tendance déjà en cours, qui préfère les remèdes (en particulier les injonctions) aux sanctions.
Ainsi, dans les sociétés cotées dépassant les seuils prévus par les textes nouveaux, une procédure de sélection spécifique devra être prévue par décret pour la désignation de tout administrateur ou membre du conseil de surveillance au cas de méconnaissance des règles relatives à la représentation équilibrée. De même, le processus de sélection des candidats en vue d’une nomination comme membre du directoire devra satisfaire à des conditions à fixer par décret lorsque les objectifs de parité n’auront pas été atteints (L. 22-10-18-2).
LE SUIVI DE L'ÉQUILIBRE PAR UNE OU DES AUTORITÉS
La loi d’habilitation prévoyait encore la désignation d’un ou plusieurs organismes chargés de suivre, d’analyser et de soutenir l’équilibre entre les femmes et les hommes dans la composition des conseils.
L’article 13 de l’ordonnance requiert la communication à « l’autorité compétente » qui sera désignée par voie de décret d’une description précise de la politique de diversité appliquée aux membres du conseil d'administration (et du conseil de surveillance) au regard de critères tels que l'âge, le sexe ou les qualifications et l'expérience professionnelle, ainsi qu'une description des objectifs et des modalités de mise en œuvre et des résultats obtenus au cours de l'exercice écoulé. Cette description devra être complétée par des informations sur la manière dont la société recherche une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein dans les comités mis en place par la direction générale en vue de l'assister régulièrement dans l'exercice de ses missions générales, et sur les résultats en matière de mixité dans les 10 % de postes à plus forte responsabilité. Si la société n'applique pas une telle politique, le rapport devra exposer les raisons le justifiant.
On peut penser, à ce stade, que l’autorité désignée en France sera le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
L’EXTENSION DE LA PARITÉ DANS LES GROUPES PUBLICS
Enfin, la loi d’habilitation prévoyait l’extension des exigences de parité aux groupements publics.
Ainsi, dans les sociétés à participation de l’Etat, l’ordonnance prend en compte les règles spécifiques relatives à la représentation des salariés issues de la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public.
EN CONCLUSION
En dépit du sentiment que l’on pouvait avoir que l’ordonnance impacterait peu le droit français déjà très en avance sur le sujet, on s’aperçoit que le résultat est d’une assez grande complexité parce qu’il faut désormais distinguer le régime des sociétés non cotées, celui des sociétés cotées sur un marché réglementé ou un SMN, et celui des sociétés cotées sur un marché réglementé dépassant certains seuils, donc trois couches de réglementation au lieu d’une. Tout se passe comme s’il y avait eu une surtransposition par anticipation.