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Selon la chambre commerciale de la Cour de cassation, les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité seraient désormais opposables aux tiers !

« Pour ne pas déjouer les prévisions du débiteur, qui s'est engagé en considération de l'économie générale du contrat et ne pas conférer au tiers qui invoque le contrat une position plus avantageuse que celle dont peut se prévaloir le créancier lui-même, le tiers à un contrat qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un dommage peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s'appliquent dans les relations entre les contractants ».

ENJEU

La société face à un pacte d’associés, un NDA, un SPA ou tout autre contrat liant des associés et qui serait mal exécuté ou inexécuté, l’acquéreur confronté à un rapport d’audit incomplet dans une VDD, et plus généralement tout tiers qui souhaite se prévaloir d’un contrat mal exécuté ou inexécuté (l’acheteur d’un bien immobilier victime d’un diagnostic technique erroné, le maître de l’ouvrage victime d’une mauvaise exécution du contrat de sous-traitance, ou encore le locataire-gérant d’un fonds de commerce victime d’un défaut d’entretien des locaux de la part du bailleur) : tous sont autant de personnes susceptibles de subir un préjudice en raison de l’inexécution d’un contrat auquel ils ne sont pourtant pas partie.

Ils ne peuvent donc engager la responsabilité du contractant fautif que sur le terrain de la responsabilité civile extracontractuelle.

Deux questions principales se sont successivement posées.

  • Le tiers peut-il engager la responsabilité civile du contractant fautif au regard du seul manquement contractuel ou doit-il établir, à son égard, une faute extracontractuelle distincte de ce manquement ?
  • Le tiers peut-il se voir opposer les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité contenues dans le contrat ?

SUR LA PREMIÈRE QUESTION

Tranchant une divergence au sein même de la Cour de cassation, l’Assemblée plénière a récemment considéré que « le tiers au contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu’il subit n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement » (Cass. Ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963).

Bootshop

Cet arrêt avait marqué le maintien de la jurisprudence « Bootshop ». Pour rappel, l’arrêt Bootshop, également rendu par l’Assemblée plénière, avait lui-même tranché un débat qui opposait la première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation en considérant « que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (Cass. Ass. Plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255, Bootshop).

Résistance

Mais cet arrêt avait été sévèrement critiqué en doctrine essentiellement au motif qu’il plaçait le tiers dans une situation préférable à celle du créancier dans le contrat. Pourquoi ? Parce que le tiers, agissant sur le terrain de la responsabilité civile extracontractuelle, ne pouvait pas se voir opposer les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité. De nombreux arrêts avaient donc maintenu ce que l’on a dénommé « l’identité des fautes contractuelle et délictuelle », mais beaucoup d’autres ont considéré que le tiers devait démontrer une faute extracontractuelle distincte (Cass. civ. 3ème, 22 oct. 2008, n° 07-15.692 ; civ. 1ère, 15 déc. 2011, n° 10-17.691 ; civ. 1ère, 28 sept. 2016, n° 15-17.033 ; com., 18 janv. 2017, n° 14-18.832 ; civ. 3ème,18 mai 2017, n° 16-11.203 ; civ. 3ème, 22 mars 2018, n° 17-11.449 ; civ. 3ème, 12 avr. 2018, n° 16-24.521 ; civ. 3ème, 29 nov. 2018, n° 17-27.766 ; com., 25 sept. 2018, n° 18-15.655). Cela permettait, alors, de justifier qu’il échappe aux clauses limitatives ou exonératoires du contrat : en exigeant qu’il prouve une faute distincte, on le plaçait dans une situation distincte.

Perspectives

Pour régler cette difficulté, un projet de réforme de la responsabilité civile élaboré par la Chancellerie (mars 2017) envisageait de permettre aux « tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat » d’invoquer le manquement contractuel, « sur le fondement de la responsabilité contractuelle ». À la suite de la proposition de plusieurs auteurs, le projet de texte indique désormais que « les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants lui sont opposables » (art. 1234).

SUR LA DEUXIÈME QUESTION

Dans l’arrêt du 3 juillet 2024, la Chambre commerciale de la Cour de cassation apporte à la fois une réponse à la seconde question qui se posait et, dans le même temps, lève la principale objection formulée à l’encontre de la jurisprudence Bootshop.

Elle emprunte en partie la solution envisagée par le projet de réforme de la responsabilité civile et considère que les « conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants » s’appliqueront de la même façon aux tiers déçus qui invoqueront un manquement contractuel à leur profit. Cela vise, en particulier, les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité.

Tenue par les dispositions actuelles du Code civil, elle ne va cependant pas jusqu’à placer le tiers sur le terrain contractuel comme l’envisage, pour sa part, le projet de réforme.

Cette solution aura de nombreuses incidences en pratique et il reste, à présent, à voir si elle sera suivie par les autres chambres de la Cour de cassation.



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