• 1000

La circonstance qu’un contribuable aurait pu réduire sa charge fiscale de manière identique en faisant le choix de passer par d’autres actes (c’est-à-dire en choisissant une voie alternative licite) ne permet pas d’écarter l’existence d’un abus de droit.



La caractérisation d’un abus de droit prévu à l’article L. 64 du LPF nécessite la réalisation  d’un gain fiscal pour le contribuable. A cet égard, le Conseil d’Etat a déjà jugé que l’Administration ne peut écarter, au motif qu’ils procèderaient d’un abus de droit, des actes qui, bien qu’uniquement inspirés par le motif d’éluder ou d’atténuer la charge fiscale supportée par le contribuable, ne modifient pas en réalité cette charge (c’est-à-dire lorsque la charge fiscale du contribuable est quasiment identique à celle qu’il aurait supportée s’il n’avait pas réalisé cet acte ; CE, 5 mars 2007, n° 284457, SELARL Pharmacie des Chalonges ; exemple d’application : CE, 24 juillet 2019, n° 411382, Van Hoven). Dans cette hypothèse, l’acte passé est dépourvu d’incidence sur la charge de fiscale (sorte d’abus de droit « raté »).

La question se posait de savoir si un contribuable pouvait se prévaloir de la circonstance qu’il aurait pu opter alternativement pour une autre voie licite lui permettant d’obtenir le même avantage fiscal afin de contester la caractérisation d’un abus de droit.

En l’espèce, deux frères avaient hérité à parts égales en 2006 de titres d’une société française. En 2008, ils avaient créé ensemble une société de droit luxembourgeois à laquelle ils avaient apporté en 2009 l’intégralité des parts qu’ils détenaient dans la société française, pour environ 7 millions d’euros. Au cours des exercices suivants, la société française a distribué des dividendes de plus de 4 millions d’euros à sa société mère luxembourgeoise et a procédé à une réduction de capital, via la réduction de la valeur nominale des titres, d’environ 2 millions d’euros. Ces distributions importantes n’ont donné lieu à aucune imposition en France, la société française ayant appliqué l’exonération de retenue à la source prévue à l’article 119 ter du CGI en faveur des distributions intra-européennes. La société luxembourgeoise a ensuite procédé à deux réductions de capital qui ont permis aux héritiers d’appréhender des liquidités d’environ 3 millions d’euros.

L’Administration fiscale a considéré que l’interposition de la société luxembourgeoise était dépourvue de substance économique et présentait le caractère d’un montage artificiel réalisé dans le but exclusif de permettre aux deux héritiers – véritables bénéficiaires de ces distributions – de s’approprier en franchise d’impôt le produit de la cession des actifs de la société française.

Les deux frères n’ont pas contesté l’artificialité de la société luxembourgeoise mais ont soutenu devant les juges du fond qu’ils auraient pu envisager d’autres solutions alternatives licites qui leur aurait permis d’obtenir le même résultat. Ainsi, ils ont fait valoir qu’ils auraient pu (i) céder les titres de la société à un tiers – ce qui n’aurait dégagé qu’une faible plus-value, compte tenu de leur prix de revient élevé – ou (ii) appréhender la trésorerie de la société française via un rachat de ses titres par la société elle-même suivie de leur annulation, qui n’était pas non plus taxable (car selon l’article 161 du CGI, était seul imposé l’excédent de remboursement des droits rachetés sur le prix d’acquisition de ces droits dans le cas où ce dernier était supérieur à l’apport).

Le Conseil d’Etat juge de façon inédite que la circonstance que le contribuable aurait pu réduire la charge fiscale qu’il a supportée de manière identique en faisant le choix de passer ou de réaliser d’autres actes que ceux argués d’abus de droit (c’est-à-dire. en ayant recours à autre voie licite qui lui aurait permis d’obtenir le même résultat) n’est pas de nature à faire obstacle à ce que soient écartés comme procédant d’un abus de droit des actes passés ou réalisés dans le seul but d’atténuer cette charge. Ainsi, pour caractériser un abus de droit, la comparaison à mener s’établit entre le bilan fiscal des opérations litigieuses et celui qui aurait été constaté si le contribuable s’était abstenu d’effectuer ces opérations. La possibilité qu’il ait pu opérer d’autres choix fiscaux est sans incidence sur l’existence d’un montage artificiel.