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Dans des circonstances particulières (cas d’une société en cessation progressive d’activité dont l’actif net était essentiellement constitué de liquidités), lorsque la valeur des titres cédés peut être déterminée en ayant recours à la seule méthode d’évaluation dite patrimoniale ou mathématique, un écart de moins de 20 % entre le prix de cession et la valeur vénale des titres peut être regardé comme significatif, laissant présumer l’existence d’un acte anormal de gestion.

CADRE JURIDIQUE

Une cession de titres non cotés peut être regardée comme constitutive d’un acte anormal de de gestion, dissimulant une libéralité accordée par le cédant au cessionnaire, lorsque l’Administration, « qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise », établit l’existence d’un écart significatif entre le prix de cession et la valeur vénale des titres qu’elle a retenue, sans que le contribuable ne remette en cause cette évaluation, la preuve du caractère anormal de l'acte de cession étant alors présumée. Le contribuable peut combattre cette présomption en justifiant que cet appauvrissement a été réalisé dans son intérêt, soit qu’il se soit trouvé « dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit [qu'il] en ait tiré une contrepartie » (CE, 21 décembre 2018, n° 402006, société Croë Suisse).
 
A noter, la valeur vénale des titres non cotés « doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue » (CE, 22 mars 1961, n° 41687, Société d'Etudes). L'évaluation des titres d'une telle société doit être effectuée, en priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires. En l'absence de telles transactions, l'Administration peut légalement se fonder sur l'une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l'actif ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes (CE, 6 février 2019, n° 410248, SARL Alternance, 30 septembre 2019, n° 419860, Société VP Santé et 30 septembre 2019, n° 419855, Société Hôtel Restaurant Luccotel).
 

L’exigence d’un tel écart pour caractériser une libéralité a été consacrée par la décision Thérond (CE, 28 février 2001, n° 199295) rendue dans le cadre du contentieux des avantages occultes, sans que le Conseil d’Etat ne précise le seuil permettant de considérer un écart comme étant significatif ou non. Un « standard non écrit dans la jurisprudence » (selon les termes de la rapporteure publique Céline Guibé) fixant ce seuil à 20 % est apparu dans les conclusions de Laurent Olléon (Conclusions sous CE, 3 juillet 2009, n° 301299, Hérail et n° 306363, du Plessis de Pouzilhac), par la suite régulièrement visées dans les conclusions des rapporteurs publics.

A noter, la formule de Céline Guibé relative au « standard non écrit dans la jurisprudence » s’explique par le fait qu’en matière d’acte anormal de gestion, ainsi que l’indique expressément le Conseil d’Etat, le caractère significatif de l’écart doit être apprécié par le juge « compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce » (Voir déjà en ce sens, la 1ère cassation dans cette affaire ; CE, 26 octobre 2021, n° 426462).

EXISTENCE D'UN ÉCART SIGNIFICATIF INFÉRIEUR À 20 %

Dans l’affaire en cause, le Conseil d’Etat s’est écarté pour la première fois de ce standard de 20 % permettant de considérer un écart comme significatif, mais sans le remettre en cause. Cette solution se justifie par les circonstances particulières de l’espèce, dans lesquelles la part d’aléa susceptible d’affecter l’évaluation des titres a été jugée comme négligeable. En d’autres termes, en présence d’une évaluation quasi-certaine des titres en raison de l’absence d’aléa sur leur valeur, un écart de moins de 20 % entre le prix de cession et la valeur vénale des titres peut être regardé comme significatif.

A noter, la rapporteure publique Céline Guibé indique que l’exigence d’un écart significatif a principalement une finalité économique (prise en compte de l’imprécision de la valorisation des titres non cotés ou de l’incertitude autour des prix des transactions dans un marché peu liquide) mais également un rôle d’encadrement de l’immixtion de l’Administration dans la vie des entreprises.

En l’espèce, une société avait cédé à une société de son groupe, en vue de son absorption, les titres non cotés d’une filiale du même groupe. La société cédée était en cessation progressive d’activité et son actif net était essentiellement constitué de liquidités. Selon l'Administration, la cession par la société requérante, à une filiale du même groupe, de l'intégralité des titres non cotés d’une autre société du groupe avait été réalisée à un prix inférieur à leur valeur réelle (écart de 14,1 % entre le prix de cession et la valeur retenue par l’Administration – qui s’est fondée sur la méthode d’évaluation dite patrimoniale ou mathématique), constituant une libéralité qui devait être réintégrée.  

Le Conseil d'Etat relève que la CAA a validé le recours à la seule méthode d’évaluation dite patrimoniale ou mathématique pour déterminer la valeur vénale des titres de la société, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce (i.e. cessation progressive d’activité et actif net essentiellement composé de liquidités) et qu’elle a par ailleurs considéré que ces mêmes circonstances étaient susceptibles « d’avoir une influence sur le caractère significatif de l'écart de prix ». En statuant ainsi, la Cour a entaché son arrêt d'une contradiction de motifs.

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat confirme la possibilité pour l’Administration, « dans ces circonstances particulières », de déterminer la valeur des titres en recourant à la seule méthode d’évaluation dite patrimoniale et valide la valorisation des titres selon la méthode employée par l’Administration. Il rejette ensuite la demande de la société tenant à l'application de plusieurs décotes à l’évaluation retenue par l’administration fiscale, « la part d'aléa susceptible d'affecter l'évaluation contestée étant par ailleurs […] négligeable ».

Enfin, eu égard à la situation particulière de la société, le Conseil d’Etat juge significatif l’écart de 14,1 % entre le prix de cession et la valeur retenue par l’Administration et confirme l’existence d’une libéralité imposable.

A noter, dans ses conclusions, Céline Guibé donne des exemples de circonstances qui pourrait justifier de qualifier de significatif un écart inférieur à 20 % (situations dans lesquelles la valeur vénale des titres est certaine ou quasi-certaine en raison de l’absence d’aléa sur leur évaluation).