LA RESPONSABILITÉ SOCIALE ET ENVIRONNEMENTALE PRODUIT DES TEXTES MAIS AUSSI DES CONCEPTS

La directive CSRD du 14 décembre 2022 et ses deux premières séries de normes techniques en offrent un exemple patent. Il s’agit d’une foule de textes de détail destinés à être mis en œuvre mécaniquement. Pourtant, quelques concepts fondamentaux peuvent être repérés. Evoquons-en quatre.

La durabilité

La durabilité a remplacé la notion d’information extra-financière parce qu’elle a des incidences financières et permet de mesurer une performance. Elle tend à regrouper sous un même chapeau les nombreuses et diverses préoccupations liées au développement durable. On date habituellement son origine d’un rapport Bruntland de 1987 pour les Nations-Unies, qui en a proposé une définition très générale mais évocatrice : « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Ce qu’exprime assez bien l’idée de durabilité.

La matérialité

La matérialité, notion venue de la comptabilité, relève d’une certaine évidence : seules les informations utiles, donc pertinentes, présentent un intérêt. Dans le champ de la RSE, le test de matérialité oblige l’entreprise à évaluer les impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance de son activité dans deux directions (la double matérialité) : la matérialité dite financière, qui vise les effets du milieu ambiant sur l’activité et les résultats de l’entreprise, mais aussi la matérialité dite d’impact, qui prend en compte les effets de l’activité de l’entreprise sur son milieu ambiant.

Les parties prenantes

Les parties prenantes sont apparues dans la littérature gestionnaire nord-américaine sous le vocable de « stakeholders » par opposition aux « shareholders ». Il s’agissait de prendre en compte les intérêts et préoccupations des différentes personnes concernées par l’activité de l’entreprise, mais dans une optique à l’origine purement financière : insérer l’entreprise dans son milieu ambiant pour maintenir la création de valeur à long terme. En France, la loi vigilance du 27 mars 2017 précise que le plan de vigilance « a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société » (L. 225-102-4 C. com.). Pour la mise en œuvre de la durabilité, les deux premiers jeux de normes techniques adoptées par la Commission européenne (règlement délégué du 31 juillet 2023) en propose une liste indicative sous l’appellation nouvelle de « parties intéressées » et en distingue deux groupes : les parties « touchées », c’est-à-dire celles dont les intérêts peuvent être influencés par les activités de l’entreprise, et les « utilisateurs » des informations de durabilité.

La chaîne de valeur

Enfin, dernière venue, la chaîne de valeur. Elle est devenue usuelle pour exprimer l’expansion des obligations de vigilance et de durabilité. Selon la loi française de vigilance de 2017, il s’agit des « sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation » (art. L. 225-102-4 C. com.).  Le projet de directive vigilance reprend à peu près la définition française : « entités avec lesquelles l’entreprise entretient une relation commerciale bien établie ». Mais la directive CSRD l’évoque sans la définir et les normes techniques ne sont guère précises : « relations d’affaires directes et indirectes en aval et/ou en amont de la chaîne de valeur » (Annexe 1, ESRS 1, § 5).

ALORS, EST-CE QUE CES CONCEPTS SONT PUREMENT ÉVOCATEURS ET SANS LA MOINDRE PORTÉE JURIDIQUE ?

Le concept de matérialité pourrait être le premier à donner lieu à discussion car très vite les organismes de contrôle vont devoir s’en emparer pour exercer leur mission. Il pourrait en aller de même pour le concept de parties prenantes : des discussions pourraient un jour s’élever devant les tribunaux pour savoir si telle ou telle partie prenante n'aurait pas dû être consultée. Et l’on peut certainement évoquer un risque de contentieux pour la notion de chaîne de valeur cas par cas.

Mais qu’en est-il pour le concept global de durabilité ? On peut penser qu’il n’a aucune potentialité juridique tant il est évanescent et mis en musique par de très nombreuses normes de détail. Pourtant, rien ne dit qu’un jour un juge ne sera pas tenté de s’en emparer pour apprécier globalement, au-delà des obligations réglementaires de détail, la responsabilité d’une direction générale ou d’un conseil ou d’un comité.


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