Cette année, la négociation commerciale entre fournisseurs de l’agro-alimentaire et distributeurs a été marquée par une tension accrue sur les difficultés d’application de la loi EGAlim. Dans ce contexte, le Gouvernement a annoncé le renforcement des contrôles menés par la DGCCRF pour s’assurer de l’application de la réglementation et la présentation, l’été prochain, d’un projet de loi constituant un nouveau volet des lois EGAlim.

Face à la complexité de cette réglementation, largement partagée par les acteurs du secteur, en ce compris le député Frédéric Descrozaille qui a prêté son nom à la loi dite EGAlim 3, toute clarification est dans ce contexte bienvenue. C’est ce à quoi s’est attelée la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales (« CEPC ») a récemment rendu deux avis visant à apporter des éclaircissements sur (i) le champ d’application de la notion de grossiste dans le contexte de la fourniture de produits alimentaires à marque de distributeur (« MDD »), et (ii) l’application en cas de vente en circuit court de l’obligation de conclure un contrat écrit entre producteurs et premiers acheteurs.

Parallèlement, la Cour des comptes a publié le 14 février 2024 un audit flash relatif au contrôle de la contractualisation dans le cadre des lois EGAlim et plus précisément dans la filière bovine.

QUALIFICATION DE GROSSISTE DANS LE CADRE D'UN CONTRAT DE MDD

La CEPC était interrogée sur l’éventuelle qualification de grossiste s’agissant d’une entreprise fournissant à des enseignes de la grande distribution des produits alimentaires MDD, dont elle sous-traite la fabrication à des tiers1. L’entreprise estimait répondre à la qualification de grossiste dans la mesure où son activité se limiterait à de l’achat-revente. Dès lors, elle considérait ne pas être soumise au régime posé par l’article L. 441-7 du code de commerce, applicable aux « fournisseurs » de produits MDD.

La distinction entre grossiste et fournisseur est importante car elle détermine les obligations légales applicables aux relations commerciales entre les parties, lesquelles sont moins contraignantes à l’égard du grossiste. En particulier, les contrats conclus par un grossiste échappent à l’obligation de prévoir une clause de révision automatique des prix.

En application de l’article L. 441-1-2 du code de commerce, la CEPC rappelle que la notion de grossiste se caractérise par l’exercice d’une activité d’achat-revente de produits.

Or, un contrat MDD aux termes duquel une entreprise s’engage à fabriquer des produits pour un distributeur dans le respect de ses spécifications afin que celui-ci y appose sa marque ne relève pas à proprement parler d’une opération d’achat-revente (tel qu’avait déjà pu le rappeler la CEPC dans sa Recommandation n° 22-1 relative à un guide de bonnes pratiques en matière de contrats portant sur des produits à marque de distributeur (MDD)). Il s’agit d’un contrat d’entreprise, et non d’un contrat de vente.

Sans grande surprise, la CEPC considère que l’entreprise fournissant des produits MDD à des distributeurs, sans les fabriquer elle-même, doit être qualifiée de fournisseur et non de grossiste. Elle doit dès lors respecter les dispositions de l’article L. 441-7 du code de commerce, qui imposent notamment la conclusion d’un contrat écrit comportant une clause de révision automatique des prix.

L'OBLIGATION DE CONTRACTUALISATION ÉCRITE APPLICABLE AUX VENTES DE PRODUITS AGRICOLES ENTRE PRODUCTEUR ET PREMIER ACHETEUR

L’applicabilité aux ventes en circuit court de l’obligation de contractualisation écrite

Le 30 janvier 2024, la CEPC s’est prononcée sur la nécessité pour un producteur de conclure un contrat écrit dans le cadre de ventes en circuit court2.

Depuis le 1er janvier 2023, en application de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime (« CRPM »), un contrat écrit d’une durée minimum de trois ans, contenant notamment une clause fixant la durée de préavis et précédé d’une proposition du producteur agricole, doit être conclu pour les ventes de produits agricoles entre ce dernier et un premier acheteur.

L’association auteur de la saisine estimait que les obligations prévues par ce texte n’étaient pas adaptées au circuit court, défini comme une vente présentant un intermédiaire au plus, en ce compris la vente directe au consommateur. Plus précisément, la saisine visait expressément la vente à « de petites, moyennes ou grandes surfaces locales ».

La CEPC énumère les exceptions prévues par la réglementation :

  • le cas d’une vente directe au consommateur,
  • l’hypothèse d'une cession réalisée au bénéfice des organisations caritatives pour la préparation de repas destinés aux personnes défavorisées ; ou encore
  • le cas d'une cession à prix ferme de produits agricoles sur les carreaux affectés aux producteurs et situés au sein des marchés d'intérêt national ou sur d'autres marchés physiques de gros de produits agricoles ;
  • l’application de seuils de chiffre d’affaires annuel réalisés par l’acheteur d’une part et par le producteur d’autre part pour certaines productions animales et végétales en-deçà desquels l’obligation de contractualisation écrite est inapplicable3 ;
  • si un accord interprofessionnel étendu ou un décret en Conseil d’Etat le prévoit. Le décret 2022-1668 du 26 décembre 2022 fixant les produits et les catégories de produits pour lesquels le contrat de vente ou l’accord-cadre peut ne pas être conclu sous forme écrite couvre notamment les céréales, les fruits et légumes, certaines appellations viticoles, produits de l’apiculture.

La CEPC fait une application stricte de ces exceptions et en conclut que la vente à un distributeur en circuit court est soumise à l’obligation de contractualisation écrite, sauf à ce qu’elle bénéficie des dérogations susmentionnées.

Les enseignements de l’audit flash mené par la Cour des comptes dans l’élevage bovin

Le 14 février 2024, la Cour des Comptes a rendu public son audit flash intitulé « Contrôle de la contractualisation dans le cadre des Lois EGAlim : Premiers enseignements pour les éleveurs bovins ». En effet, au regard de la liste établie par le décret susmentionné, demeure notamment concernée par l’obligation de contractualisation écrite la quasi-totalité des productions animales.

Cet audit vise à tirer les enseignements des contrôles réalisés par la DGCCRF dans ce cadre, rare source d’information disponible sur la contractualisation. Il ressort notamment de ces contrôles :

  • un faible recours à la contractualisation dans la filière de bovins viande ;
  • un dispositif de sanctions inappliqué à ce jour, auxquelles des rappels à la réglementation sont pour l’instant préférés. Cette approche pédagogique est notamment justifiée par le contexte inflationniste, la difficulté à déterminer les responsabilités respectives des parties dans l’absence de contrat ainsi que la technicité des contrats ;
  • la complexité des relations contractuelles que révèlent notamment de grandes disparités dans les formules de prix, et notamment dans la prise en compte des coûts de production et les clauses contractuelles. Cette situation explique les difficultés des producteurs de proposer un contrat.

Sur la base de ces constats, la Cour des comptes formule trois recommandations :

  1. Mettre en place une plateforme de signalement destinée aux agricultures avec des garanties de confidentialité, étant précisé que cet outil existe déjà et qu’il conviendrait désormais d’en assurer la visibilité et la promotion ;
  2. Proposer au comité de règlement des différends commerciaux agricoles de rendre publiques des lignes directrices pour lever les difficultés d’application des articles L. 631-24, L. 631-24-2 et L. 631-24-3 du CRPM ; et
  3. Établir et rendre public un bilan annuel des contrôles réalisés sur le fondement de l’article L. 631-25 du CRPM, présentant les principaux enseignements tirés.

Ces recommandations visent principalement à permettre une meilleure compréhension de la réglementation applicable et un renforcement de la transparence des contrôles réalisés. 


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INDEX

1 Avis n° 24-1 du 26 janvier 2024 relatif à une demande d’avis d’un cabinet d’avocats portant sur le champ d’application de la notion de grossiste dans un contexte de fourniture de produits alimentaires à marque de distributeur

2 Avis n° 24-3 du 30 janvier 2024 relatif à une demande d’avis d’une association portant sur le champ d’application de l’obligation de contractualisation écrite pour les ventes de produits agricoles entre producteurs et premiers acheteurs.

3 À titre d’exemple, l’article R. 631-6 I du CRPM fixe ce seuil : le producteur, l'organisation de producteurs ou l'association d'organisation de producteurs réalise un chiffre d'affaires annuel inférieur à 10 000 euros.