Le Conseil constitutionnel juge que la différence de traitement qui existe entre les sociétés déficitaires établies dans un Etat membre de l’UE et un Etat tiers est fondée sur une différence de situation tenant à la localisation de leur siège, qui est en rapport avec l’objet initial de la loi (à savoir, garantir le recouvrement de l’imposition). La retenue à la source applicable aux distributions de bénéfices à des sociétés déficitaires établies dans un Etat tiers à l’UE lorsqu’ils impliquent des investissements directs (en application de la clause de gel) est donc conforme à la Constitution.
CONTEXTE
Les dividendes de source française versés à des personnes morales non-résidentes sont soumis à une retenue à la source au taux de droit commun de l’impôt sur les sociétés (CGI, art. 119 bis, 2). Un taux moins élevé, voire une exonération totale d’imposition, peut être prévu par les conventions fiscales.
L’application de cette retenue à la source à des dividendes versés à des sociétés non-résidentes déficitaires dans leur Etat de résidence a été jugée contraire à la liberté de circulation des capitaux (CJUE, 22 nov. 2018, Sofina, aff. C-575/17; CE, 27 février 2019, n° 398662).
Par suite, afin de mettre le droit français en conformité avec le droit de l’Union, une procédure spéciale de restitution a été instaurée pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2020. Elle permet aux sociétés étrangères déficitaires de demander la restitution de la retenue à la source acquittée, assortie d’une nouvelle imposition des revenus en cause, placée en report d’imposition jusqu’à ce que, notamment, la société redevienne bénéficiaire (LF 2020, art. 42 ; CGI, art. 235 quater).
Deux catégories de sociétés étrangères déficitaires sont éligibles à ce mécanisme :
- Les sociétés établies dans un Etat membre de l’UE, dans un Etat de l’EEE doublement conventionné et qui n’est pas non coopératif au sens de l’article 238-0 A du CGI ;
- Les sociétés établies dans un Etat tiers (doublement conventionné et qui n’est pas non coopératif), sous réserve toutefois des cas où la clause de gel est applicable, à savoir lorsque la participation dans la société distributrice peut être qualifiée d’investissement direct au sens de l’article 64 du TFUE. Sont concernées par ce dernier point toute participation détenue dans la société ou l’organisme distributeur qui ne permet pas au bénéficiaire « de participer de manière effective à la gestion ou au contrôle de cette société ou de cet organisme ».
À noter, en application de la clause de gel, les restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou européen concernant les mouvements de capitaux à destination ou en provenance des pays tiers restent admises pour les investissements directs, qui permettent à la société bénéficiaire de participer de manière effective à la gestion ou au contrôle de la société distributrice (TFUE, art. 64).
La retenue à la source applicable aux distributions de bénéfices à des sociétés déficitaires établies dans un Etat tiers à l’UE qui impliquent des investissements directs est conforme à la Constitution
LA RETENUE À LA SOURCE APPLICABLE AUX DISTRIBUTIONS DE BÉNÉFICES À DES SOCIÉTÉS DÉFICITAIRES ÉTABLIES DANS UN ETAT TIERS À L'UEQUI IMPLIQUENT DES INVESTISSEMENTS DIRECTS EST CONFORME À LA CONSTITUTION
Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une QPC relative à la constitutionnalité de la retenue à la source prévue au 2 de l’article 119 bis du CGI, en ce qu’elles prévoient :
- que les revenus distribués de source française perçus par des sociétés déficitaires établies à l’étranger donnent lieu à l’application d’une retenue à la source, quand ils ne sont pas imposés au cours de l’exercice concerné lorsqu’ils sont perçus par des sociétés établies en France ;
- que les revenus distribués perçus par une société déficitaire établie dans un autre Etat membre de l’UE ne sont plus soumis à la retenue à la source prévue à l’article 119 bis, 2 (le Conseil d’Etat interprétant les dispositions en conformité avec le droit de l’UE), alors qu’elle continue à s’appliquer aux revenus distribués à des sociétés établies en-dehors de l’UE lorsque la clause de gel est applicable (CE, 13 juillet 2023, n° 455810, Sté Compagnie Gervais Danone).
La QPC transmise au Conseil constitutionnel porte sur la version issue de la loi de finances rectificative pour 2009 du 2 de l’article 119 bis du CGI.
Si la société requérante imputait aux dispositions contestées deux discriminations successives, l’une ayant été instituée depuis leur origine, et l’autre à compter de leur mise en conformité, par voie prétorienne, avec le droit de l’Union européenne, le Conseil constitutionnel a choisi de ne pas dissocier l’examen de ces dispositions au regard de leur évolution. Il a ainsi considéré que « dans la mesure où le grief de la société requérante visait les distributions bénéficiant à des sociétés établies hors de France, […] la QPC portait uniquement sur les mots « ou leur siège en France » figurant à la première phrase du premier alinéa du 2 de l’article 119 bis du CGI (paragr. 3) ». Il se prononce néanmoins sur l’existence d’une rupture d’égalité résultant des dispositions contestées à la lumière de l’interprétation du Conseil d’État pour les rendre conformes aux exigences du droit de l’Union Européenne (i.e. conforme à l’arrêt Sofina ainsi qu’à l’article 64 du TFUE qui prévoit la clause de gel).
Le Conseil constitutionnel, faisant application d’un raisonnement désormais classique en matière de discrimination à rebours, juge que ces dispositions ne portent pas atteinte au principe d’égalité devant la loi :
Reconnaissance d’une différence de traitement
Le Conseil constitutionnel reconnait que les dispositions contestées, telles qu’interprétées par une jurisprudence constante du Conseil d’Etat, instaurent une différence de traitement entre les sociétés déficitaires percevant des revenus distribués selon la localisation de leur siège. Cette interprétation du Conseil d’Etat interdit le prélèvement de toute retenue à la source sur les revenus distribués par une société française à une société déficitaire établie dans un Etat membre de l’UE. Il en va différemment pour les revenus distribués perçus par une société déficitaire établie dans un État tiers lorsqu’ils impliquent des investissements directs (i.e. lorsque la clause de gel est applicable).
Identification de l’objet initial des dispositions
Le Conseil constitutionnel considère que, lors de leur adoption, les dispositions contestées avaient pour objet de garantir le recouvrement de l’imposition due à raison de revenus distribués de source française perçus par des personnes n’ayant pas leur domicile fiscal ou leur siège en France.
Absence de caractérisation d’une dénaturation de l’objet initial de la loi
Les dispositions de l’article 119 bis, 2, telles qu’interprétées par la jurisprudence du Conseil d’Etat, en maintenant l’application d’une retenue à la source aux revenus distribués perçus par une société établie dans un Etat tiers lorsqu’ils impliquent des investissements directs, se sont bornées à adapter le champ d’application de la retenue à la source dans le respect du droit de l’Union européenne (i.e. arrêt Sofina et article 64 du TFUE). Il n’en résulte donc pas une dénaturation de l’objet initial de la loi par le droit de l’UE.
Une différence de traitement justifiée par une différence de situation en rapport avec l’objet initial de la loi
Aussi, la différence de traitement instaurée par le 2 de l’article 119 bis du CGI est ainsi fondée sur une différence de situation tenant à la localisation de leur siège, entre les sociétés déficitaires percevant des revenus distribués établies dans un Etat membre de l’UE ou dans un Etat tiers, qui est en rapport direct avec l’objet de la loi.