DE LA DPEF AU RAPPORT DE DURABILITÉ
Une ordonnance du 6 décembre 2023 transpose en droit français la Directive CSRD du 6 décembre 2023 relative au reporting de durabilité. Cette dernière succède à la Directive NFRD du 22 octobre 2014, qui avait été introduite en droit français par une ordonnance du 19 juillet 2017 et avait imposé à certaines grandes sociétés de publier annuellement une déclaration de performance extra-financière (DPEF) dans leur rapport de gestion : SA, SCA et SE (à l’exclusion des SAS) employant plus de 500 salariés, soit cotées sur un marché réglementé et totalisant plus de 20 M€ de bilan ou plus de 40M€ de CA net, soit non cotées et totalisant plus de 100M€ de bilan ou plus de 100M€ de CA net.
La Directive CSRD substitue à la DPEF un rapport de durabilité beaucoup plus ambitieux et contraignant, le rend plus visible et plus lisible dans le rapport de gestion et le soumet annuellement au contrôle d’un commissaire aux comptes ou d’un organisme tiers indépendant. Ce rapport se présentera sous une forme normée et comportera des rubriques conformes à des standards, les ESRS, proposés par un organisme technique, l’EFRAG, missionné par la Commission européenne. Les informations à publier porteront sur un très vaste domaine, bien plus étendu que celui de la DPEF puisqu’il s’agira, dans sens très large, de l’environnement, du social, du sociétal et de la gouvernance, ce que l’on résume par le sigle ESG. Les informations seront plus pertinentes, plus fiables et donc plus comparables. Elles seront non seulement rétrospectives mais également prospectives puisque l’entreprises devra dire comment améliorer les choses sur les points négatifs. En outre, elles devront être préparées en concertation avec des parties prenantes, ce qui supposera que l’entreprise les définisse et les consulte, ce qui ne sera pas une mince affaire.
LE DOUBLE CONCEPT DE MATÉRIALITÉ
Cependant, seules seront soumises à publication les informations ayant subi le test de « matérialité », pris dans deux sens différents mais complémentaires. Dans un premier sens, ne seront à recenser et publier que les informations considérées comme matérielles par l’entreprise, c’est-à-dire significatives au regard de son activité, sans qu’elle ait besoin d’exposer les raisons pour lesquelles elle ne retient pas les autres (à l’exception des indicateurs relatifs au climat). Mais, dans un autre sens, le test de matérialité devra être effectué dans une double perspective : d’une part, la matérialité entrante ou interne, c’est-à-dire l’incidence ESG venant de l’extérieur sur l’activité de l’entreprise et ses résultats, ce que l’on appelle désormais la matérialité financière ; d’autre part, la matérialité sortante ou externe, c’est à dire l’incidence de l’activité de la société sur son environnement naturel, mais aussi économique, social et sociétal, ce que l’on appelle dorénavant la matérialité d’impact. Certains y voient l’occasion de « passer de la recherche du profit à la recherche du sens ». Mais cette double conception européenne de la matérialité n’est pas partagée par d’autres zones géographiques et fait l’objet d’un débat très vif ; ainsi, l’ISSB, organisme privé international chargé de proposer des normes ESG sous l’égide de la fondation IFRS, ce qui lui donne un grand poids dans le monde, en particulier américain, n’entend viser que la matérialité entrante, c’est-à-dire l’impact de l’ESG sur les résultats financiers de l’entreprise.
ENTRÉE EN VIGUEUR PROGRESSIVE
L’ordonnance française entrera en principe en vigueur le 1er janvier 2024, mais sa mise en œuvre effective sera échelonnée en fonction de la taille des entreprises concernées. Précisons d’emblée qu’y seront soumises toutes les formes de sociétés par actions, y compris les sociétés par actions simplifiées qui échappaient jusqu’alors à la DPEF ; s’y ajouteront également, avec un décalage d’un an, les sociétés à responsabilité limitée.
Sans entrer dans les détails et en se limitant aux entreprises non financières, son application sera progressive selon les principaux critères suivants, qui relèvent de la classification européenne des entreprises édictée par la Directive comptable du 26 juin 2013 et qui viennent d'être rehaussés pour une directive déléguée juste publiée bien que datée du 17 octobre 2023 :
- Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024, donc pour un rapport à publier en 2025 : sociétés cotées ou groupes consolidés cotés qui emploient plus de 500 salariés et qui dépassent l’un des deux seuils suivants : 25M€ de bilan ou 50M€ de CA net ;
- Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2025, donc pour un rapport à publier en 2026 : sociétés ou groupes consolidés, cotés ou non dans les deux cas, qui emploient cette fois seulement plus de 250 salariés et qui dépassent l’un des deux seuils précédents ;
- Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2026, donc pour un rapport à publier en 2027 : sociétés cotées ou groupes consolidés cotés qui emploient plus de 50 salariés ou qui dépassent l’un des deux seuils suivants : 5M€ de bilan ou 10M€ de CA net ; mais la société concernée pourra reporter la mise en œuvre du reporting durabilité au 1er janvier 2028 pour un rapport à publier en 2029.
Une société française soumise à l’établissement d’un rapport de durabilité pourra en être exemptée si elle est consolidée par une société mère dont le siège est en France ou dans l’Union Européenne ou dans l’Espace économique européen et si celle-ci établit un rapport de durabilité consolidé ; cette dernière devra donc établir un rapport portant sur l’ensemble du groupe. Par ailleurs, le rapport de toute société concernée devra s’étendre à sa chaîne de valeur, précisément aux impacts, risques et opportunités matériels liés à celle-ci en raison de ses relations d’affaires directes ou indirectes en aval (sous-traitants) et en amont (fournisseurs).
Au résultat, toutes les entreprises cotées, à l’exception des micro-entreprises cotées (qui ne dépassent pas deux des trois seuils suivants : 10 salariés, 450.000€ de bilan ou 900.000€ de CA net), seront progressivement soumises au rapport de durabilité, mais également et seulement, parmi les non cotées, les grandes entreprises.
EXTRA-TERRITORIALITÉ DE LA DIRECTIVE DURABILITÉ
Ajoutons pour finir que la Directive s’applique à toutes les sociétés situées au sein de l’Union européenne et de l’Espace économique européen, mais que pour éviter des distorsions de concurrence, elle a également un effet extraterritorial, ce qui est exceptionnel, et s’étend aux entreprises situées hors de ces deux ensembles régionaux qui répondent à certains critères : elles seront soumises à l’obligation de publier un rapport de durabilité si elles ont un certain niveau d’intérêt économique dans l’UE, soit via une filiale soit via une succursale.