Le Conseil d’Etat a transmis au Conseil constitutionnel une QPC portant sur l’éventuelle discrimination que seules subiraient certaines sociétés déficitaires établies dans un Etat tiers à l’UE percevant des dividendes de source française.
Cette QPC porte sur la version issue de la loi de finances rectificative pour 2009 de la retenue à la source sur dividendes (CGI, art. 119 bis, 2 ancienne rédaction). Toutefois, la rédaction actuelle est similaire, à l’exception de l’exclusion du champ d’application de certains organismes dont ceux de placement collectifs.
L’application de cette retenue à la source à des dividendes versés à des sociétés non-résidentes déficitaires dans leur Etat de résidence a été jugée contraire à la liberté de circulation des capitaux (CJUE, 22 nov. 2018, aff. C-575/17 ; CE, 27 février 2019, n° 398662).
Par suite, afin de mettre le droit français en conformité avec le droit de l’Union, une procédure spéciale de restitution a été instaurée pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2020, permettant aux sociétés étrangères déficitaires de demander la restitution de la retenue à la source acquittée, assortie d’une nouvelle imposition des revenus en cause, placée en report d’imposition jusqu’à ce que, notamment, la société redevienne bénéficiaire (LF 2020, art. 42 ; CGI, art. 235 quater).
Deux catégories de sociétés étrangères déficitaires sont éligibles à ce mécanisme :
- les sociétés établies tant dans l'UE, dans un Etat de l’EEE doublement conventionné qui n’est pas non coopératif,
- les sociétés établies dans un Etat tiers (doublement conventionné et qui n’est pas non coopératif), sous réserve toutefois dans ce dernier cas « que la participation détenue dans la société ou l'organisme distributeur ne permette pas au bénéficiaire de participer de manière effective à la gestion ou au contrôle de cette société ou de cet organisme ». En effet, le mécanisme de restitution tire les conséquences d’une restriction à la liberté de circulation des capitaux, sous réserve des cas où la clause de gel est applicable et la retenue à la source peut être maintenue c’est-à-dire dans le cas des investissements qui permettent à l’actionnaire de participer effectivement à la gestion ou au contrôle de cette société.
A noter, en application de ladite clause de gel, les restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou européen concernant les mouvements de capitaux à destination ou en provenance des pays tiers, lorsqu’ils impliquent des investissements directs, restent admises (TFUE, art. 64).
La question transmise invoque une atteinte au principe d’égalité devant la loi (DDHC, art. 6) de la retenue à la source du 2 de l’article 119 bis au double motif :
- de la différence de traitement injustifiée, instaurée entre les sociétés déficitaires percevant des revenus de source française selon qu’elles sont établies en France ou à l’étranger (restriction originelle),
- de la discrimination au détriment des seules sociétés déficitaires résidentes d’un Etat tiers à l’UE pour leur investissements directs pour lesquelles la clause de gel s’applique (restriction créée par la mise en conformité par le juge de l’impôt avec le droit de l’Union).
A noter, en transmettant cette QPC, le Conseil d’Etat tient compte de l’évolution de la jurisprudence. Antérieurement à l’arrêt de la CJUE, il avait refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une QPC portant sur la constitutionnalité de la retenue à la source sur les dividendes, se fondant sur la différence de technique d'imposition consistant dans le décalage dans le temps entre la perception de la retenue à la source afférente aux dividendes payés à une société non-résidente et l'impôt établi à l'encontre d’une société française au titre de l'exercice où ses résultats redeviennent bénéficiaires (CE, 23 décembre 2016, n° 398662, société Sofina et a.).
QUELLES SONT LES SOCIÉTÉS ÉTRANGÈRES QUI SERAIENT SUSCEPTIBLES DE BÉNÉFICIER DE L’INCONSTITUTIONNALITÉ DE LA RETENUE À LA SOURCE ?
La question transmise au Conseil constitutionnel est susceptible de concerner principalement les sociétés déficitaires établies dans un Etat tiers à l’UE, pour lesquelles la clause de gel est applicable (celles détentrice d’un investissement permettant la participation de manière effective à la gestion ou au contrôle de la société distributrice).
Nous suivrons avec attention la suite de ce contentieux. Le Conseil constitutionnel dispose désormais de 3 mois pour se prononcer. S'il rendait une décision de non-conformité, cette dernière pourrait, s'il le juge utile, être assortie d'une limitation de ses effets pour le passé. Il convient ainsi aux entreprises qui seraient concernées d'examiner l'opportunité de sauvegarder dès à présent leurs droits.