Le respect des conditions relatives au régime mère-fille doit être apprécié au niveau de la société et non pas uniquement au niveau de la succursale française percevant les dividendes. La seule circonstance que les titres ne soient pas inscrits à l'actif fiscal de la succursale ne saurait faire obstacle à l'application du régime.
Le régime dit mère-fille permet aux sociétés mères françaises de bénéficier, sous certaines conditions, d’une exonération à hauteur de 95% (99% dans certains cas) des dividendes versés par leurs filiales. Le Conseil d’Etat vient de préciser les modalités d’application de ce régime lorsque les dividendes ont été alloués à sa succursale française par une société non-résidente.
MODALITÉS D’APPRÉCIATION DES CONDITIONS D’ÉLIGIBILITÉ AU RÉGIME : SEUIL DE DÉTENTION ET DURÉE DE CONSERVATION
Pour bénéficier du régime mère-fille, les titres de participations doivent notamment revêtir la forme nominative, être détenus en pleine ou en nue-propriété et représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice et avoir été conservés pendant un délai de 2 ans (CGI, art. 145, 1, a à c).
Lorsque les dividendes qu’elle a reçus de ses propres filiales sont alloués par une société non-résidente à sa succursale établie en France, le Conseil d’Etat juge que le respect des conditions de seuil et de durée de détention relatives aux titres en cause s’apprécie globalement, c’est-à-dire « au niveau de la société et non pas uniquement au niveau de la succursale ».
A noter, la rédaction de l’article 145 du CGI rend éligibles au régime mère-fille les succursales françaises de sociétés non-résidentes en ce qu’il n’est plus requis que la société mère soit française (Loi de finances pour 1989, art. 73 ; voir également en ce sens, BOI-IS-BASE-10-10-10-10, n° 90). Autrement dit la nationalité de la société mère n’est pas une condition d’entrée dans le régime.
Dans ses conclusions, la rapporteure publique Emilie Bokdam-Tognetti, fonde une telle analyse notamment sur un argument de texte qualifié de solide. Selon les termes de l’article 145 du CGI, « le régime fiscal des sociétés mères […] est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal ». La notion d’« autres organismes », vise « uniquement les organismes autres que les sociétés entrant dans le champ de l’IS par application de l’article 206 ». Les succursales ne sauraient se trouver dans cette catégorie. Aussi, c’est bien eu égard à la première proposition (celles relative aux sociétés) que se trouve leur clé d’entrée dans le régime.
A cet égard, pour apprécier si une société est passible de l’IS en France, le Conseil d’Etat raisonne au regard des caractéristiques de la société étrangère – et non sa succursale prise isolément – en cherchant à l’assimiler à une société française (CE, 24 novembre 2014, n° 363556, Société Artémis).
Les conditions d’éligibilité au régime doivent alors s’apprécier « au niveau de la société qui en demande le bénéfice à raison des dividendes compris dans le bénéfice imposable à l’IS de son établissement français ».
A noter, pour apprécier la condition tenant à la détention du capital d’une société étrangère, répartie entre le siège français de la société mère et sa succursale exploitée à l’étranger, l’Administration applique d’ailleurs ce même principe en permettant de faire masse de la participation (BOI-IS-BASE-10-10-10-20, n° 190).
NON INCIDENCE DE L’INSCRIPTION DES TITRES DE PARTICIPATION À L'ACTIF DU BILAN FISCAL DE L'ÉTABLISSEMENT STABLE
Un établissement stable est considéré comme ayant une quasi-personnalité fiscale, bien qu’il soit dépourvu de personnalité juridique. Sur le plan comptable, en l’absence de dispositions spéciales imposant la tenue d’une comptabilité propre aux établissements étrangers en France, un établissement stable n’est pas tenu d’établir de comptes annuels (Mémento Comptable, n° 70590). Pour les besoins de la fiscalité, devra toutefois être souscrite une déclaration annuelle de résultats et présentés à l’Administration, sur demande, les documents comptables et pièces justificatives des résultats déclarés (CGI, art. 53 A et 54 ; CE, 13 juillet 2011, n° 313440, société Stanford Research Institute International). C’est donc uniquement à des fins fiscales qu’un établissement stable français établira ces éléments.
Aussi, se posait la question de savoir si le bénéfice du régime mère-fille était conditionné à l’inscription des titres de participations concernés au bilan fiscal de la succursale française ainsi que le prévoit la doctrine administrative, maintenue lors d’une mise à jour postérieure à la présente décision, donc sans en tenir compte(BOI-IS-BASE-10-10-10-10, n° 90).
Le Conseil d’Etat juge que « la seule circonstance » que les titres ne soient pas inscrits au bilan fiscal de la succursale française ne saurait faire obstacle à l’application du régime. Aussi, cette inscription n’est pas une condition de fond du régime de quasi-exonération.
En l’espèce, une société d’assurance britannique avait alloué en 2011 une fraction des dividendes tirés de ses participations dans des filiales étrangères, à sa succursale française, selon une clé de répartition déterminée sur la base de la quote-part de la succursale en cause dans le montant total des provisions techniques.
Le Conseil d’Etat considère ainsi que la CAA de Paris n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que les dividendes alloués à la succursale pouvaient bénéficier du régime mère-fille « quand bien même les titres de participation correspondants n'avaient pas été inscrits au bilan fiscal de cette succursale ni mentionnés dans la rubrique prévue à cet effet de la déclaration de résultats ».
A noter, l’approche autorisée de l’OCDE (Rapport de 2010 sur l’attribution de bénéfice aux établissements stables) fait état de la nécessité de supposer que l’établissement stable est une entreprise distincte et indépendante, ce qui implique de déterminer fictivement quels actifs en sont la « propriété économique ». Selon l’approche autorisée, ces actifs doivent être attribués à « la partie de l’entreprise qui accomplit les fonctions humaines significatives pertinentes pour déterminer la propriété économique d’actifs » (Rapport, §18). On relèvera que dans le secteur de l’assurance, les modalités d’attribution des actifs consistent à attribuer des actifs pour couvrir le risque d’assurance assumé par l’établissement stable (Rapport, §127 et s.).
En l’espèce, l’existence de modalités d’allocation des actifs/revenus propres au secteur de l’assurance ne prive pas la décision rendue de son caractère général. Toutefois, ainsi que le souligne la rapporteure publique, l’inclusion des dividendes perçus par une société étrangère dans son bénéficie passible de l’IS en France suppose que les dividendes en cause puissent être rattachés à l’entreprise exploitée en France (CGI, art. 209). Si l’inscription à l’actif du bilan n’est pas, en elle-même, une condition d’éligibilité au régime mère fille, elle constitue une décision de gestion prenant acte du rattachement effectif à la succursale (et permettra de justifier de la perception des dividendes et de l’application à ceux-ci du régime de quasi-exonération).