L’existence de censeurs dans les sociétés anonymes est longtemps restée dans l’ombre parce que la pratique n’en est pas très répandue et parce qu’aucun texte légal ni même de droit souple ne vient l’officialiser et l’encadrer. Il s’agit d’une création spontanée relativement ancienne, qui a retrouvé une certaine réalité dans quelques grandes sociétés et se trouve parfois contestée aujourd’hui. Selon les chiffres recensés par Scalens, il y aurait actuellement 78 censeurs dans les grandes sociétés, dont 10 au sein des sociétés du CAC 40, 38 au sein du SBF120 et une trentaine dans des entreprises non cotées, ce qui au total reste marginal.
Contrairement à leur appellation, les censeurs n’ont pas une fonction de contrôle et ne se confondent pas avec un conseil de surveillance. Ils font partie du conseil d’administration et sont associés à ses travaux, mais ne peuvent pas prendre part à ses décisions car ils empièteraient sur les pouvoirs légaux réservés aux seuls administrateurs. Traditionnellement, ils sont nommés pour faire bénéficier le conseil de compétences dont les administrateurs ne sont pas nécessairement pourvus. Il arrive également qu’une nomination permette à un actionnaire minoritaire d’obtenir un représentant sans pour autant entrer pleinement au conseil. Leur désignation, les critères de celle-ci, leur rôle, leur organisation et leur rémunération sont librement arrêtés par la société, qui peut les déterminer soit par une simple décision du conseil, soit plus officiellement par une clause des statuts ou du règlement intérieur. Sous ces réserves, ils peuvent être librement choisis.
Qu’est-ce qui fait que l’on commence à en parler aujourd’hui ? Parce que sans que leur nombre augmente sensiblement, la pratique se diversifie, ce qui provoque ici ou là des critiques car un usage plus récent montre que le procédé est aussi utilisé à titre d’antichambre ou de point de chute : à titre d’antichambre pour permettre à une personne d’entrer ultérieurement au conseil en se familiarisant peu à peu avec son rôle et son fonctionnement, voire pour retenir des talents qui pourraient partir ailleurs entre-temps, ce qui n’est pas critiqué ; à titre de point de chute pour permettre à un administrateur dont le mandat est arrivé à échéance ou qui est atteint par le cumul des postes ou la limite d’âge de se maintenir au conseil, s’agissant parfois de l’ancien président qui trouve-là le moyen de prolonger son influence, ce qui commence à être contesté. L’AMF, dans son rapport 2021, s’est inquiétée de cette dernière pratique et a même nommément pointé du doigt une société dans laquelle l’ancien président du directoire est devenu censeur au sein du conseil de surveillance et conseil salarié personnel du président du directoire, tout en étant l’actionnaire de contrôle.
Il est vrai que la pratique des censeurs permet d’échapper aux contraintes légales imposées aux administrateurs, comme celles relatives à la mixité des conseils (28 % seulement des censeurs sont des femmes) et à celle des instances dirigeantes, aux limites de cumul de postes, au Say on pay, au contrôle des conventions réglementées ou au devoir légal de discrétion. Mais la pression monte en faveur d’une extension au moins volontaire de ces règles. Aussi, l’Institut français des administrateurs, l’IFA, a-t-il récemment formulé plusieurs recommandations au nom de la bonne gouvernance : il propose d’officialiser la pratique des censeurs dans les statuts, ou dans le règlement intérieur en faisant avaliser celui-ci par les actionnaires, d’y préciser les modalités de leur nomination, la durée de leur fonction et leur rémunération, et d’édicter des règles de bonne conduite ; il suggère également que le rapport sur la gouvernance d’entreprise fasse état annuellement du nombre et de la nature des censeurs et de leur rôle. Par ailleurs, de grands investisseurs institutionnels, comme Glass Lewis et ISS, commencent à contester l’opacité de la pratique et, en particulier, le fait que des postes de censeurs puissent permettre à d’anciens administrateurs de poursuivre de fait leur mandat.