L’ordonnance transposant la Directive dite CbCR public vient d’être publiée au Journal officiel. Elle introduit en droit interne, pour les exercices ouverts à compter du 22 juin 2024 une nouvelle obligation déclarative tenant à la publication par les entreprises multinationales d’un rapport comportant des informations relatives aux impôts sur les bénéfices supportés dans les pays où elles opèrent. Un décret et un arrêté permettent d’en définir plus précisément les modalités pratiques d’application.

Le Gouvernement a été habilité à transposer, par voie d'ordonnance, la directive (UE) 2021/2101 dite CbCR public, qui impose à certaines entreprises multinationales établies dans l’UE de communiquer publiquement des informations relatives aux impôts sur les bénéfices qu’elles paient dans les pays où elles sont implantées (Loi DDADUE du 9 mars 2023, art. 11).

Cette ordonnance a été publiée au JO du 22 juin 2023 (date limite de transposition de la Directive). Elle introduit à la charge de certains entreprises relevant du droit français une obligation de mise à disposition du public d’un rapport relatif à l’impôt sur les bénéfices supporté par leur groupe.

Des précisions pratiques sont apportées par un décret et un arrêté (seuil d’application; modalités de présentation des informations, de publication et de mise à disposition ; conditions de mise en œuvre de la clause de sauvegarde, etc.).

A noter, un projet de loi de ratification devra désormais être déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois.

UNE PREMIÈRE MISE EN ŒUVRE AU TITRE DU PREMIER EXERCICE OUVERT À COMPTER DU 22 JUIN 2024

L'obligation déclarative nouvelle s'appliquera, pour la première fois, aux exercices ouverts à compter du 22 juin 2024 (Ord., art. 8).

Le rapport (traduit le cas échéant en langue française et certifié conforme) devra être déposé au greffe du tribunal de commerce (pour être annexé au RCS) dans un délai de 12 mois à compter de la date de clôture du bilan. En pratique, une entreprise qui ouvrirait son exercice au 1er janvier 2025 devrait alors déclarer les informations relatives à cet exercice 2025 au plus tard le 31 décembre 2026.

Il est dès son dépôt mis gratuitement à la disposition du public, pour une période de 5 ans, sur le site internet de la société déclarante (société autonome, société consolidante, succursale ou filiale française soumise à l’obligation).

ENTREPRISE CONCERNÉES

Pour qu’une entreprise française soit soumise à l’obligation déclarative, son chiffre d’affaires – ou celui du groupe consolidé auquel elle appartient - doit dépasser un certain seuil (i), elle doit être faire partie d’une catégorie d’entreprises visées (ii), et ne pas bénéficier d’une exclusion (iii) : 

Entreprises visées : autonomes, consolidantes et leurs filiales, succursales, sous réserve d’un seuil de chiffre d’affaires

Les entreprises françaises soumises à l’obligation déclarative sont les suivantes :

  • Les sociétés dites autonomes (C. com., art. L. 232-6, I) dont le chiffre d’affaires, à la clôture de deux exercices consécutifs, excède 750 millions d’Euros ;
  • Les sociétés consolidantes qui ne sont pas contrôlées par une autre société (C. com., art. L. 233-28-1, I) et dont le chiffre d’affaires consolidé excède, à la clôture de deux exercices consécutifs, excède 750 millions d’Euros ;
  • Les filiales de moyenne ou grande taille, contrôlées (contrôle exclusif ou conjoint) par une société hors de l’UE/EEE dont le CA consolidé excède 750 millions d’Euros à la clôture de 2 exercices consécutifs et qui établit des comptes consolidés (C. com., art. L. 233-28-2, I),;
  • Les succursales françaises de sociétés dites autonomes établies dans un Etat tiers à l’UE ou n’étant pas partie à l'accord sur l’EEE qui revêtent une forme juridique comparable aux sociétés par actions et dont le CA consolidé excède 750 millions d’Euros à la clôture de 2 exercices consécutifs, sous réserve que le chiffre d’affaires net de la succursale dépasse 12 millions d’euros (i.e. le seuil prévu par la Directive est fixé à 8 M€), à la clôture de deux exercices consécutifs (C. com., art. L. 232-6-1, I et II) ;
  • Les succursales françaises de sociétés comprises dans les comptes consolidées d’une société  consolidante hors UE/EEE, sous réserve que le chiffre d’affaires net de la succursale dépasse 12 millions d’Euros (i.e. le seuil prévu par la Directive est fixé à 8 M€), à la clôture de deux exercices consécutifs (C. com., art. L. 233-28-2, II).

A noter, pour les sociétés en nom collectif et les sociétés en commandite simple, cette obligation déclarative s'applique seulement à celles dont tous les associés indéfiniment responsables sont des sociétés par actions, des sociétés à responsabilité limitée ou sociétés de droit étranger d'une forme juridique comparable (C. com., art. L. 232-6, III ; C. com., art. L. 233-28-1, III ; C. com., art. L. 233-28-2, VI).

A noter, une société est « considérée comme consolidante » lorsque elle n’est pas contrôlée par une autre société, qu’elle est établie dans un Etat tiers à l’UE ou n’étant pas partie à l'accord sur l’EEE, qu’elle a une forme juridique comparable aux sociétés par actions et aux sociétés à responsabilité limitée et qu’elle établit « les comptes consolidés, dans lesquels les actifs, les passifs, les fonds propres, les produits et les charges sont présentés comme étant ceux d'une seule entité économique, du plus grand ensemble d'entreprises » (C. com., art. L. 233-28-2, III).

A noter, une société est dite autonome, lorsqu’elle ne contrôle ni n’est contrôlée par une autre société, au sens du II ou du III de l'article L. 233-16 du code de commerce (C. com., art. L. 232-6, I).

Exclusions

L'obligation déclarative n’est pas applicable lorsque :

  • Les sociétés – consolidantes, le cas échéant – sont des établissements de crédit et sociétés de financement déjà soumises à l’obligation générale d'information sur leurs activités et implantations (CMF, art. L. 511-45, II ; C. com., art. L. 232-6, III ; C. com., art. L. 233-28-1, III) ;
  • Les sociétés – consolidantes, le cas échéant, ainsi que les sociétés qu’elles contrôlent comprises dans la consolidation – ne disposent pas à l’étranger d’un établissement stable (C. com., art. L. 232-6, III ; C. com., art. L. 233-28-1, III) ;
  • S’agissant de l’obligation déclarative qui incombe aux succursales françaises de sociétés comprises dans les comptes consolidées d’une société considérée comme consolidante (C. com., art. L. 233-28-2, II), si la première société est établie dans un membre de l’UE ou partie à l'accord sur l’EEE, qu’elle revêt une forme juridique qui n'est pas comparable aux sociétés par actions et aux sociétés à responsabilité limitée, ou n'est pas contrôlée par une société considérée comme consolidante (C. com., art. L. 233-28-2, VI) ;
  • S’agissant de l’obligation déclarative qui incombe aux succursales françaises de sociétés comprises dans les comptes consolidées d’une société considérée comme consolidante (C. com., art. L. 233-28-2, II), si une société considérée comme consolidante contrôle, dans un Etat membre de l’UE ou partie à l'accord sur l'EEE, une société qui n'est ni une micro-entreprise, ni une petite entreprise (C. com., art. L. 233-28-2, VI).

A noter, des clauses anti-abus sont prévues si l’objectif recherché est de contourner l’obligation déclarative (Voir not. C. com., art. L. 233-28-2).

CONTENU DU RAPPORT RELATIF À L'IMPÔT SUR LES BÉNÉFICES

Le rapport relatif à l’impôt sur les bénéfices contiendra des informations relatives au dernier exercice clos de la société et selon le cas, pour l’ensemble des activités de la société (C. com., art. L. 232-6, II), de la société consolidante et des sociétés sur lesquelles elle exerce un contrôle et comprises dans la consolidation, au titre de l'exercice concerné (C. com., art. L. 233-28-1, II) et des sociétés considérées comme consolidantes, ainsi que celles des sociétés contrôlées comprises dans la consolidation (C. com., art. L. 233-28-2, IV) :

  • Nom de la société, l'exercice concerné, la devise utilisée,
  • Liste des sociétés contrôlées comprises dans la consolidation qui sont établies dans un Etat membre de l'UE, un autre Etat partie à l'accord sur l’EEE ou une juridiction fiscale figurant sur la liste noire ou grise européenne des Etats et territoires non coopératifs (le cas échéant),
  • Brève description de la nature des activités,
  • Nombre de salariés employés en équivalent temps plein,
  • Chiffre d'affaires,
  • Bénéfice ou pertes avant impôt sur les bénéfices,
  • Impôt sur les bénéfices dû,
  • Impôt sur les bénéfices acquitté sur la base des règlements effectifs,
  • Bénéfices non distribués.

A noter, lorsque le rapport ou les informations requis ne sont pas disponibles, le représentant légal en France de la filiale d’une société considérée comme consolidante, de la succursale de cette filiale ou de la succursale d’une société autonome, selon le cas, ou la personne ayant le pouvoir de l'y engager, demande à la société autonome ou à la société considérée de lui communiquer toutes les informations nécessaires et établit, publie et met à disposition le rapport.

Si la société ne communique pas l'ensemble de ces informations, son représentant légal en France, ou la personne ayant le pouvoir de l'y engager, établit le rapport et y intègre toutes les informations en sa possession, assorties d'une déclaration mentionnant que la société concernée n'a pas mis à sa disposition les informations requises (C. com., art. L. 232-6-1, III ; C. com., art. L. 233-28-2, V).

CLAUSE DE SAUVEGARDE

Les informations dont la divulgation porterait gravement préjudice à la position commerciale des sociétés auxquelles elles se rapportent peuvent être omises du rapport relatif à l’impôt sur les bénéfices, à l’exception des informations relatives aux juridictions figurant sur la liste noire et la liste grise européenne (C. com., art. L. 232-6, IV ; C. com., art. L. 232-6-1, IV ; C. com., art. L. 233-28-1, IV ; C. com., art. L. 233-28-2, VI). Les informations omises devront être publiées dans un rapport ultérieur, au maximum 5 ans après cette omission. En outre, le rapport doit clairement indiquer les motifs de l’omission.

MODALITÉS DÉCLARATIVES

Le décret précise les modalités de présentation de ces informations, y compris les Etats ou juridictions fiscales qui font l'objet d'une présentation spécifique (format agrégé), ainsi que les modalités de leur publication et de leur mise à disposition (C. com., art. L. 232-6, II). On retiendra qu’un modèle et des formats de déclaration électroniques lisibles par machine sont publiés par arrêté du ministère de l’économie.

INJONCTIONS

L’ordonnance introduit la possibilité pour toute personne de demander au président du tribunal statuant en référé d'enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de publier ou mettre à disposition le rapport relatif à l'impôt sur les bénéfices (C. com., art. L. 238-7).

MENTION DANS LE RAPPORT DE GESTION ÉTABLI PAR LE COMMISSAIRE AUX COMPTES

Une nouvelle obligation est mise à la charge des commissaires aux comptes. Ces derniers devront indiquer, dans le rapport joint au rapport de gestion ou au rapport sur la gestion du groupe le cas échéant, si la personne morale ou l'entité est soumise aux obligations déclaratives (C. com., art. L. 823-10, al. 5).

Dans l’affirmative, ils devront alors attester que le rapport relatif à l'impôt sur les bénéfices, pour l'exercice précédant celui pour lequel les comptes sont certifiés, a été publié et mis à disposition comme requis (C. com., art. L. 823-10, al. 6).

RESPONSABILITÉ

Selon le cas, le conseil d'administration, le directoire, les gérants, le représentant légal de la société en France ou à la personne ayant le pouvoir de l'y engager doivent veiller à ce que la société établisse, publie, et mette à disposition le rapport.