Tenu d’une obligation de sécurité à l’égard des salariés, l’employeur, qui envisage de procéder à un licenciement collectif, doit évaluer si la restructuration projetée est susceptible de générer des risques pour la santé et sécurité des travailleurs concernés et, le cas échéant, d’accompagner le plan de sauvegarde de l’emploi de mesures de prévention des risques et de protection des salariés concernés. Dans deux arrêts du 21 mars 2023, le Conseil d’Etat vient pour la première fois préciser le contrôle que doit opérer l’administration du travail sur cette question lorsqu’elle est saisie d’une demande d’homologation du PSE[1].

Respect par l’employeur de son obligation de sécurité à l’occasion de la mise en place d’un PSE : le juge administratif précise son contrôle

L’OBLIGATION DE SECURITE DE L’EMPLOYEUR A L’OCCASION DE LA MISE EN PLACE D’UN PLAN DE SAUVEGARDE DE L’EMPLOI

L’employeur est, en vertu des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code de la sécurité sociale, tenu à l’égard des salariésdes salariés d’une obligation de sécurité à l’égard des travailleurs de l’entreprise. Cette obligation d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects du travail doit tout particulièrement être respectée en cas de réorganisation de l’entreprise.

La réorganisation peut, en effet, conduire à des évolutions du fonctionnement de l’entreprise susceptibles d’affecter les conditions et/ou la charge de travail des salariés. Elle peut également générer des incertitudes pour les salariés quant à leur avenir et être source de risques psychologiques.

L’employeur doit donc évaluer l’impact que l’opération envisagée est susceptible d’avoir sur la santé et la sécurité des travailleurs et, le cas échéant, définir les mesures nécessaires à les éviter ou les limiter[2].

En cas de projet de licenciement collectif impliquant d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi, l’article L. 1233-31 du code du travail impose à l’employeur d’adresser au conseil social et économique, parmi les renseignements relatifs au projet, « le cas échéant, les conséquences de la réorganisation en matière de santé, de sécurité et conditions de travail ».

Le plan de sauvegarde de l’emploi doit, selon qu’il est établi par décision unilatérale ou un accord collectif, faire l’objet d’une homologation ou d’une validation de la part de l’autorité administrative qui doit contrôler la régularité de la procédure d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel ainsi que les mesures prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi. L'autorité administrative doit donc, à cette occasion, vérifier le respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Dans la mesure où la régularité de la procédure et le contenu du plan ne peuvent être contestés que devant le juge administratif dans le cadre du contentieux à l’encontre de la décision relative à l’homologation ou à la validation du plan (art. 1235-7-1 CT), le tribunal des conflits a jugé que les contestations relatives à l'évaluation et à la prévention des risques dans le cadre d'un projet de réorganisation donnant lieu à élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi relevait de la compétence exclusive du juge administratif[3].

La méconnaissance par l’employeur de son obligation de sécurité est désormais un moyen d’annulation fréquemment soulevé à l’occasion des contestations à l’encontre des décisions d’homologation et de validation. Rendus en matière d’homologation, les deux arrêts du 21 mars dernier viennent pour la première fois définir la nature du contrôle que doivent opérer l’administration et le juge de l’excès de pouvoir en la matière. Ces décisions fixent également en creux les précautions que doit prendre l’employeur pour éviter de se heurter à un refus d’homologation ou de courir le risque d’une annulation de la décision administrative.

LE CONTROLE PAR L’ADMINISTRATION DES MESURES DE PREVENTION DEVANT ACCOMPAGNER LE PSE

Le Conseil d’Etat précise que le rôle de l’administration du travail est double.

Elle doit, d’abord, veiller à la prise en compte par l’employeur de ses obligations en matière de sécurité tout au long de la procédure d’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi. Elle peut ainsi, non seulement adresser des observations et propositions à l’employeur, mais également lui enjoindre de fournir des informations sur les conséquences de la réorganisation en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail des travailleurs et, en présence de telles conséquences, sur les actions arrêtées pour prévenir les risques et protéger les travailleurs. L’administration est ainsi force de proposition.

L’administration doit, ensuite, lorsqu’elle statue sur la demande d’homologation, contrôler :

  • d’une part, dans le cadre du contrôle de la régularité de la procédure d’information-consultation du CSE, que l’employeur a bien fourni des éléments relatifs à l’identification et à l’évaluation des risques induits par la réorganisation et, le cas échéant, sur les mesures prises pour les prévenir,
  • d’autre part, dès lors qu’il apparaît que la réorganisation présente effectivement des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, que des actions ont été arrêtées pour y remédier et qu’elles correspondent à des mesures précises et concrètes qui, prises dans leur ensemble, sont propres à prévenir les risques identifiés et à en protéger les travailleurs.

Ainsi, l’autorité administrative s’assure, non seulement de l’évaluation des risques et de la correcte information du CSE en la matière, mais également de la teneur des mesures de prévention prévues par l’employeur et de leur caractère suffisant pour prévenir ou limiter autant que possible la survenance des risques professionnels identifiés.

Respect par l’employeur de son obligation de sécurité à l’occasion de la mise en place d’un PSE : le juge administratif précise son contrôle

Dans les affaires qui lui étaient soumises, le Conseil d’Etat approuve le juge du fond d’avoir annulé les décisions d’homologation qui lui étaient soumises :

  • dans une hypothèse où il avait été relevé, notamment par l’expert mandaté par le CSE, que la cessation d’activité et la disparition de tous les emplois étaient de nature à avoir des incidences sur la santé physique et mentale des salariés et où le document unilatéral soumis à homologation ne comportait pourtant aucune mesure de prévention permettant de répondre à cette situation[4],
  • dans une hypothèse où il avait été relevé que l’administration n’avait pas contrôlé le contenu du document unilatéral et le caractère suffisant des mesures de prévention prises par l’employeur[5] ; à cet égard, le juge de l’excès de pouvoir statue uniquement sur la légalité de la décision d’homologation et n’est pas en mesure, si l’administration n’a pas exercé son contrôle, de statuer lui-même sur les mesures prévues dans le plan de sauvegarde de l’emploi.

Le caractère suffisant des mesures prévues ne s’apprécie pas au regard des moyens de l’entreprise mais au regard des risques identifiés et de l’ensemble des mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail[6].

Les deux arrêts ne fournissent aucun renseignement sur la nature des mesures de prévention devant accompagner la mise en place d’un PSE. Celles-ci s’apprécient nécessairement au cas par cas et dépendent des modalités concrètes de réorganisation et leur impact sur les conditions de travail tant des salariés dont l’emploi est concerné que de ceux qui ont vocation à rester dont la charge de travail peut par exemple être impactée par la mesure.

Quelles qu’en soit l’ampleur, toute réorganisation entrainant des licenciements collectifs risque d’être considérée comme générant des inquiétudes pour les salariés et de nature à entraîner des troubles psychosociaux. Si le seul fait que la réorganisation soit mal ressentie par les travailleurs concernés ne saurait caractériser un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, il semble prudent que le plan de sauvegarde de l’emploi soit a minima accompagné de mesures d’assistance et de soutien des salariés (assistance sociale, dispositif d’écoute et d’accompagnement, de suivi des conditions de travail, etc.)[7].

Il convient, enfin, de noter que les décisions du Conseil d’Etat portent sur l’homologation de documents unilatéraux et l’on ignore si le contrôle opéré sera identique lorsque le plan de sauvegarde de l’emploi a été défini par accord collectif et a fait l’objet d’une décision de validation. La question ne manquera pas de se poser si, à l’instar du contrôle opéré sur les mesures visant à reclasser les salariés, le contrôle de l’administration devra porter uniquement sur la présence de mesures de prévention et non sur leur caractère suffisant ou si la sécurité des travailleurs justifie en toute hypothèse un contrôle plein de la part de l’administration[8]

SUR LES CONSEQUENCES DE L’ANNULATION DE L’HOMOLOGATION FONDEE SUR LA MECONNAISSANCE DES EXIGENCES EN MATIERE DE SECURITE

En cas d’annulation de la décision d’homologation, les salariés licenciés dans le cadre du PSE peuvent contester leur licenciement devant le conseil de prud’hommes. Le code du travail distingue deux situations :

  • celle dans laquelle l’annulation de la décision administrative en raison d’une insuffisance de plan de sauvegarde de l’emploi « mentionné à l’article L. 1233-61 » et où le juge peut ordonner la réintégration du salarié, dès lors que celui-ci en fait la demande et qu’elle n’est pas matériellement impossible (art. L. 1235-10 et L. 1235-11 C. trav) ;
  • celle dans laquelle l’annulation intervient pour un autre motif – qui suppose soit qu’aucun moyen relatif à l’insuffisance du PSE n’ait été présenté soit que ce moyen ait préalablement été rejeté par le juge administratif[9] - et où, sauf accord des parties sur une réintégration, le juge peut seulement allouer une indemnisation au salarié (art. L. 1235-16 C. trav.).

Comme l’exposait le rapporteur public dans ses conclusions devant le Conseil d’Etat, l’article L. 1233-61 du code du travail vise les mesures inhérentes au plan de sauvegarde de l’emploi, c’est-à-dire celles qui ont pour objet d’éviter les licenciements ou d’en limiter le nombre. Le respect de l’obligation de sécurité ne rentre pas dans ce cadre et, dans ces conditions, l’annulation de la décision d’homologation ou de validation en raison d’une méconnaissance des exigences en matière de sécurité.

Enfin, il peut s’avérer – notamment au regard des observations et injonctions données par l’administration au cours de la procédure précédant la demande d’homologation ou de validation – que l’administration a bien contrôlé le respect par l’employeur de son obligation de sécurité et que l’absence de mention dans la décision ne révèle donc pas une absence de contrôle mais une simple insuffisance de motivation. Dans l’hypothèse où l’annulation intervient en raison d’une telle insuffisance, l’autorité administrative doit prendre une nouvelle décision d’homologation ou d’homologation suffisamment motivée. Dès lors qu’une nouvelle décision a régulièrement été prise, l’insuffisance de motivation de la décision initiale est sans incidence sur la validité des licenciements prononcés et ne peut donner lieu ni à réintégration, ni à indemnisation.

Respect par l’employeur de son obligation de sécurité à l’occasion de la mise en place d’un PSE : le juge administratif précise son contrôle
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RÉFÉRENCES

[1] CE, 21 mars 2023, n°460660 et 460924, Sociétés L’Equipe et Presse Sport Investissement ; CE, 21 mars 2023, n°450012, Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA).

[2] Par ex., Soc. 5 mars 2008, Snecma, n°06-45.888, P. ; Soc. 5 mars 2015, Relais Fnac, n°13-26.231 ; Soc. 22 oct. 2015, Areva, n°14-20.173 P.

[3] TC, 8 juin 2020, n° C4189 ; le juge judiciaire reste compétent pour s’assurer du respect par l’employeur de son obligation de sécurité à l’occasion d’une restructuration ne donnant pas lieu à l’établissement d’un plan de sauvegarde de l’emploi ou lorsque la situation à l’origine du litige à l’occasion de la mise en œuvre en œuvre du plan.

[4] Arrêt sociétés L’Equipe et Presse Sports Investissements.

[5] Arrêt AFPA.

[6] Le Conseil d’Etat applique ici les principes dégagés par la Cour de cassation selon lesquels « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail » (Soc., 25 novembre 2015, Air France, n° 14-24.444, P. ; Soc., 1er juin 2016, n° 14-19.702, P.).

[7] V. par ex. Soc. 22 oct. 2015, Areva, préc.

[8] Sur ce point, le rapporteur public penchait très clairement pour la seconde solution et indiquait notamment, dans ces conclusions, que « le sort des PSE régis par un accord majoritaire […] appelleront sans doute des adaptations mais non des solutions fondamentalement différentes de celles que vous allez retenir dans les affaires soumises aujourd’hui à votre examen ».

[9] CE, 15 mars 2017, n°387728.

AUTEURS

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