Certains réseaux sociaux ont, à titre principal ou accessoire, une finalité professionnelle. Il est donc assez normal que les membres de ces réseaux essaient de valoriser leurs diplômes et expériences dans la perspective possible d’attirer le regard. A chacun de faire montre d’habileté. Les seules conséquences négatives immédiates sont parfois un commentaire ironique ou le désintérêt de la communauté.

Quoique rarement, les affirmations avancées peuvent susciter des conséquences juridiques, au moins indirectes. On laisse bien sûr de côté le propos diffamatoire qui n’a guère de chance d’apparaître dans le portrait que chacun dresse de lui-même... Ces conséquences se retrouvent dans la jurisprudence. On se souvient de la tentation de certains plaideurs de prétendre, dans le cadre d’une procédure disciplinaire, que l’appartenance de deux membres d’une commission disciplinaire à un même réseau social (Facebook en l’espèce), pouvait constituer un risque de collusion : la Cour de cassation avait rejeté cette thèse fantaisiste en décidant qu’un ami Facebook n'est pas ami « au sens traditionnel1 ». Sensiblement à la même époque, la même solution avait été adoptée par le Tribunal fédéral suisse2, qui avait décidé que le fait qu’un magistrat soit « ami sur Facebook » avec l’une des parties ne constituait pas un motif de récusation.

Jurisprudence également dans le domaine des rapports de travail. Aux termes d’un arrêt du 30 mars 20223, la Cour de cassation a admis la possibilité pour l’employeur d’utiliser, à titre de preuve, le profil LinkedIn du salarié pour montrer quelle était sa situation professionnelle postérieurement à la rupture du contrat de travail. L'ex-employeur avait en effet versé aux débats un extrait du profil LinkedIn du salarié faisant apparaître que celui-ci avait retrouvé un emploi en dépit de son statut de chômeur. Le juge avait donc limité le montant des dommages et intérêts4.

Plus récemment, la question s’est posée dans les rapports entre une banque et une caution La banque avait consenti à une société un prêt pour financer le lancement d’une activité de pizzeria. En garantie, le dirigeant s'était rendu caution de 50 % de l'encours de crédit. Par la suite, la société étant mise en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire, la banque a assigné le dirigeant caution en paiement de sa créance, mais celui-ci lui a opposé un manquement à son obligation de mise en garde. Toute la question fut alors de savoir s’il s’agissait d’une caution inexpérimentée ou d’une caution avertie.

La caution se décrivait dans ses conclusions avec des termes témoignant d’une grande humilité quant à l’appréciation de son expérience passée. Elle soutenait n’avoir aucune qualification, compétence ou expérience dans la gestion d'un commerce de restauration et ne disposer d'aucune expérience pour apprécier la pertinence et le réalisme des documents prévisionnels établis par le franchiseur en vue de l'exploitation de la pizzeria.

Mais la Cour d’appel ne s’en tînt pas là et considéra qu’il s’agissait au contraire d’une caution avertie en raison du fait qu’elle se présentait sur Linkedin assortie de qualités témoignant de ses compétences. « L'arrêt …constate que, sur son profil LinkedIn, M. [F] indique être titulaire d'une maîtrise en sciences économiques et gestion, disposer de compétences en management, en « business dévelopment », en « business analysis », en gestion d'équipe et en négociation, et avoir, au titre de son expérience en qualité de « responsable achats textile chaussures » de la société [X], piloté et arbitré les marchés chaussures, linge de maison, accessoires et bébé puériculture sur un plan commercial et financier et élaboré et mis en œuvre les plans d'action validés en s'appuyant sur une équipe de category managers. Il retient que, par sa formation, son expérience professionnelle et ses compétences, M. [F] était apte à évaluer les risques propres à la garantie qu'il a apportée au projet de la société [Y], société qu'il a créée et dont il a pris la direction pour exploiter une activité de restauration pizzeria sous franchise, après études préalables de marché ».

La Cour de cassation valide l’arrêt : « En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel a pu juger que M. [F] était une caution avertie à l'égard de laquelle la banque n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde ».

La conclusion à tirer de ces décisions est que les portraits que l’on peut établir de soi-même constituent des preuves que l’on peut se voir opposer, en dépit même du caractère privé de certains réseaux sociaux, pour autant qu’ait été respecté le principe de loyauté dans l’administration de la preuve. Le curriculum vitae était une pièce privée : il s’affiche aujourd’hui publiquement sur certains réseaux ou est accessible à des « amis », qui peuvent en faire usage sans que soit opposable une déloyauté dans l’administration de la preuve. Tout ce que vous écrirez pourra être retenu contre vous...


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INDEX

1 5 janvier 2017, n° 16-12394

2 14 mai 2018, 5A 701/2017

3 N° 20-21.665

4 On songe également à l’arrêt Petit-Bateau (Sociale 30 septembre 2020, n° 19-12.058,FS-P+B+R+I décidant que la preuve obtenue par l’employeur issue du compte Facebook d’une de ses salariées est recevable  La Chambre sociale avait admis que la révélation de la publication d’une nouvelle collection de vêtements sur le compte Facebook d’une salariée de l’entreprise par une de ses collègues autorisée a accéder « comme amie » sur  le dit compte ne constituait pas un mode de preuve déloyal. Mais l’intéressée en l’espèce ne parlait pas d’elle-même, mais des œuvres d’un tiers. Voir Ch.Radé Salariés : attention à ce que vous publiez sur Facebook ! Lexbase n° N4864BYS


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