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A l’heure du bilan des assemblées générales tenues au cours de l’année 2022, une question semble avoir ressurgi qui est celle du statut qu’il convient de conférer aux résolutions présentées par des actionnaires minoritaires

   

Sous certaines conditions, un actionnaire minoritaire peut demander l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée de projets de résolution. Ce sont des résolutions externes en ce sens qu’elles n’émanent pas du conseil d’administration. Elles deviennent des résolutions dissidentes lorsqu’elles sont présentées à l’assemblée dans un contexte d’échec de la négociation avec le conseil d’administration. Cette négociation réussit parfois comme on a pu le voir récemment dans une affaire largement commentée par la presse.

LA MONTÉE EN PUISSANCE DE LA PRATIQUE DES RÉSOLUTIONS EXTERNES

En 2022, la pratique des résolutions externes acquiert une certaine importance dans le vécu des assemblées générales1.

Une importance quantitative

D’abord une importance quantitative : pour la saison des AG 2022, on a relevé selon les chiffres fournis par SCALENS, 77  résolutions dissidentes en Europe repérées dans les assemblées générales de 22 sociétés ciblées, et 18 au moins pour la France (6 en 2021), ce qui reste faible cependant eu égard au nombre de résolutions discutées Aux Etats-Unis, en 2016, 25 % des résolutions soumises au vote de l’assemblée générale étaient émises par des actionnaires individuels2.

En mai 2022, toujours aux USA, 529 résolutions externes avaient déjà été déposées sur des questions environnementales, sociales et de gouvernance, soit 20 % de plus qu'en 20213.

Une importance qualitative

Ensuite, une importance qualitative avec le dépôt de résolutions climatiques suscitant toujours un très fort intérêt dans les médias. Avec également le score étonnant obtenu en 2022 (+ de 59 % des  votes) par une résolution concernant le statut de l’ancien président d’une société cotée devenu président d’honneur de cette société, inefficace cependant car la majorité des deux tiers était requise s’agissant d’une modification des statuts. On a pu relever d’autres scores moins importants mais cependant significatifs se situant entre 20 et 40 %(Source SCALENS).

Le régime actuel est discuté et parfois considéré comme trop restrictif, les reproches portant sur divers aspects de la procédure4. L’AMF a eu l’occasion de souhaiter certaines évolutions. Le débat qui oppose les investisseurs aux émetteurs met en présence plusieurs arguments que l’on va essayer de reprendre ici. On retiendra d'abord les quatre principaux parmi ceux des investisseurs.

 

LES SEUILS DE DÉTENTION POUR DÉPOSER UNE RÉSOLUTION SERAIENT TROP ÉLEVÉS

C’est un point de discussion traditionnel en la matière. Les chiffres retenus par le législateur l’ont été à une époque relativement ancienne ; depuis, les capitalisations boursières n’ont cessé de s’accroître. Pour pouvoir déposer un projet, il faut posséder au moins 5 % du capital dès lors que celui-ci est au plus égal à 750 000 euros5.

Au-delà, le montant est dégressif6 :

■    4 % pour les premiers 750 000 euros,

■    2,50 % pour la tranche comprise entre 750 000 et 7 500 000,

■    1 % pour la tranche comprise entre 7 500 000 et 15 000 000,

■    0,50 % pour le surplus.

Les émetteurs sont hostiles à l’idée que ces seuils soient abaissés redoutant la tentation pour des actionnaires activistes de profiter des opportunités qui seraient offertes par une éventuelle réforme. Certains investisseurs considèrent également les exigences actuelles comme légitimes, un seuil relativement élevé obligeant à fédérer une population d’actionnaires et donc à donner un plus grand crédit à la démarche entreprise.

L’AMF est favorable à une révision des règles du code, prenant notamment appui sur les pratiques de certains de nos voisins. Aux Etats-Unis, il suffit de disposer de 2.000 dollars d'actions pour déposer une résolution. est-il fréquemment rappelé. En 2017, la commission consultative épargnants avait fait des propositions.. (« Pour un vote transparent et effectif en assemblée générale à l'ère du numérique »). Le Collège de l’AMF avait retenu (24 octobre 2017) une proposition visant à favoriser la possibilité pour les actionnaires de proposer des points et des projets de résolutions en assemblée générale .Il s'agissait de la proposition n° 17.1 du rapport qui préconisait de diviser par deux les seuils de détention requis pour inscrire des points et des projets de résolutions en assemblée générale...

On pourrait imaginer un raisonnement ne reposant plus sur le capital détenu mais sur le nombre d’actionnaires requis, celui-ci étant par exemple fixé à 100 comme cela se voit parfois chez nos voisins et plus particulièrement en Angleterre. L’AMF n’est pas favorable à cette formule qui avait été cependant envisagée par sa Commission consultative « Epargnants ».

On pourrait imaginer également que les sociétés puissent insérer dans leurs statuts des seuils moins élevés que les seuils impératifs actuels (Rapport Poupart-Lafarge 2012), ce qui ne se produirait sans doute pas très souvent.

LES RÈGLES D’INSCRIPTION DES RÉSOLUTIONS À L’ORDRE DU JOUR SERAIENT EXCESSIVEMENT CONTRAIGNANTES

La demande doit être adressée au siège social par LRAR ou par télécommunication électronique. Il est nécessaire d’établir sa qualité d’actionnaire : une première attestation doit être fournie lors du dépôt de la résolution. Une deuxième attestation, lors de l’examen par l’assemblée générale, justifiant de l’inscription des titres dans les mêmes comptes au deuxième jour ouvré précédant l’assemblée à zéro heure, heure de Paris,  sera requise pour qu’il y ait discussion en assemblée 8. Il faut également que la demande soit motivée, l’absence de motivation pouvant justifier le rejet.

 Ces conditions étant satisfaites, le conseil n’est pas juge de l’opportunité d’inscrire ou non le point ou le projet de résolution : l’inscription à l’ordre du jour est obligatoire. Toutefois, il est juge de la légalité et de la recevabilité. Un acteur majeur de la place, fin avril, s’est opposé à une résolution externe déposée par une coalition d'actionnaires sur sa stratégie climat. Il a refusé d’inscrire la résolution car elle contrevenait aux règles légales de répartition des compétences entre les organes de la société,  la question relevant de la compétence du conseil d’administration. L’AMF a été sollicitée pour requérir l’inscription, ce qu’elle a refusé de faire., ne disposant pas d’un pouvoir d’injonction pour une question relevant du domaine du droit des sociétés. La problématique est pour l’instant propre aux résolutions climatiques mais on pourrait imaginer que la question se repose demain avec par exemple le sujet de la diversité. L’AMF a suggéré un cadre législatif nouveau, au moins s’agissant des résolutions climatiques.

L’AGENDA IMPOSÉ PAR LA LOI N’OFFRIRAIT AUCUNE SOUPLESSE

Les projets de résolution sont déposés à une époque proche des assemblées. Lorsque les actions sont admises à la cotation d’un marché réglementé ou ne sont pas toutes nominatives , la demande doit parvenir à la société au plus tard le 25ème jour qui précède la date de l’assemblée, sans pouvoir être adressée plus de 20 jours après la date de l’avis de réunion. Cette dernière règle interdit de discuter très en amont avec les émetteurs, et donc de désarmorçer les conflits éventuels.

LES PROJETS DE RÉSOLUTION ÉMANANT DES ACTIONNAIRES NE SERAIENT PAS ASSEZ VISIBLES

Le rapport déjà cité de la commission consultative « Epargnants » en 2017 plaidait pour une meilleure visibilité des projets de résolution émanant des actionnaires en incitant ces derniers à motiver ces projets, en recommandant aux émetteurs de transmettre cet exposé des motifs aux actionnaire et de le faire figurer sur leur site internet au même titre que les autres projets de résolution (Proposition n° 19), en plaidant pour la reconnaissance d’un droit de parole en assemblée générale à tout actionnaire qui a inscrit un projet de résolutions à l’ordre du jour (Proposition n° 19).

VU DU CÔTÉ DES ÉMETTEURS

Les résolutions dissidentes accroissent la préparation et le coût des assemblées générales dans la mesure où elles imposent des négociations en amont, et c’est un premier reproche. Si était retenue l’idée émise par la commission épargnants de l’AMF d’offrir une tribune aux auteurs de ces résolutions, le fonctionnement même de l’assemblée en serait parfois affecté. Ces résolutions cherchent ensuite bien souvent à élargir le domaine de compétence de l’assemblée, question qui a été beaucoup débattue s’agissant des « résolutions climatiques ».

En arrière-plan du débat sur les résolutions dissidentes se situe en effet un débat plus large sur la répartition des tâches entre conseil d’administration et assemblée générale. Enfin, comme on l’a déjà évoqué, la crainte de voir encouragé un certain activisme actionnarial est bien réelle.

Tels sont les arguments qui nourrissent généralement la discussion. Il n’est pas certain que le législateur se saisisse à un horizon proche de ce sujet essentiellement porté par l’AMF. Toutefois, il est probable que le débat sur l’opportunité de revoir le régime des résolutions dissidentes restera d’actualité dans les prochaines années.


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INDEX

1 Les résolutions d’actionnaires dissidentes se multiplient en Europe (Bruno de Roulhac  08/06/2022 L'AGEFI Quotidien)

2 Laurence Boisseau, Les Echos, 13 septembre 2016, p 29

3 Laurence Boisseau, Les Echos, 22 mai 2022 .Pourquoi les résolutions de minoritaires affluent aux Etats-Unis mais pas en France

4 Le dépôt de résolutions externes en AG devra évoluer. Bruno de Roulhac, L’AGEFI 21 novembre 2022

5 Art L 225-105 du Code de commerce

6 Art R 225-71 du Code de commerce


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