Le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP) vient de publier un rapport sur « l’adéquation du droit des fonds d’investissement et du droit des sociétés » daté du 3 décembre de l’année dernière, à la suite des travaux réalisés par un groupe d’experts composé de professionnels de la gestion d’actifs, d’avocats, d’universitaires et de membres de différentes autorités et administrations (AMF, Direction Générale du Trésor et Ministère de la Justice en particulier). Un rapport qui fourmille de propositions simples, pratiques et utiles.
Ce rapport présente un intérêt réel malgré les limites de son projet, fixées par le groupe d’experts lui-même : « le groupe de travail a choisi de concentrer son travail sur l’identification des questions juridiques posées par l‘interaction entre les textes actuels [du droit spécial des fonds et du droit général des sociétés] ainsi que la formulation de propositions afin d’y remédier », mais il n’a pas voulu réaliser « un travail plus vaste d’identification d’éléments nouveaux à insérer dans la réglementation pour accroître la compétitivité de la Place financière de Paris ».
Le déclencheur en fut en particulier la concurrence avec la réglementation anglaise, qui a retrouvé sa liberté depuis le Brexit, mais aussi le fait que l’on constate depuis quelque temps un intérêt croissant des investisseurs étrangers pour la forme sociétaire, qui semble présenter plus de lisibilité pour eux que celle des fonds. Il apparaît alors important de simplifier les règles existantes, afin de gommer certaines distorsions et de clarifier certaines règles pour mieux séduire les investisseurs étrangers.
On soulignera aussi qu’en pratique l’articulation des textes issus d’une part, du Code de commerce, d’autre part, du Code monétaire et financier, est sujette à interprétation, peut être source d’incertitudes juridiques et rend des opérations telles que, par exemple, l’approbation annuelle des comptes, a priori simples, particulièrement lourdes et mobilisatrices dans leur mise en œuvre à cause de délais inadaptés.
Dès lors, le groupe de travail du HCJP a décidé d’être pragmatique et de s’en tenir à ce qui lui est apparu le plus urgent, en proposant des solutions « concrètes » pour les seules sociétés d’investissement. Pour cela, il a fait une revue au laser des règles du droit spécial des sociétés d’investissement à forme de société et des règles générales des sociétés, pour repérer celles, des deux côtés, qui n’étaient pas adaptées au fonctionnement des entités d’investissement, qu’il s’agisse de leur vie sociale, de leur gouvernance et de leurs opérations selon le plan adopté par le rapport.
Le rapport s’est donc lui-même auto-limité : il n’a pas pris en charge la révision en soi de l’ensemble du droit spécial des OPC ; il ne s’est pas intéressé aux fonds mais uniquement aux sociétés ; il ne s’est arrêté qu’aux interactions et conflits pouvant naître de la cohabitation entre les règles spéciales de ces sociétés particulières avec le droit général des sociétés ; mais il l’a fait tant pour les OPCVM que pour les FIA, tant pour les sociétés communes (SA,SAS, société civile, etc.) que pour les sociétés spéciales (SICAV, SCPI, société de libre partenariat, etc.). La modestie de l’objectif, modestie assumée, n’en accouche pas moins d’un travail appréciable pour l’industrie des fonds et l’écosystème de la gestion financière, car le rapport fourmille de propositions simples, pratiques et utiles.
La première partie est relative à la vie sociale des sociétés d’investissement
C’est sans doute là que certaines analyses et propositions sont les plus limitées dans leur portée car elles ont souvent un caractère formel ou bien débouchent sur de simples appels à réflexion. Certaines suggèrent néanmoins des dispositions d’un réel intérêt pratique.
Difficultés rencontrées avec les greffes
Le rapport fait état des problèmes parfois rencontrés pour l’immatriculation ou la radiation de certains types d’entités : certains greffes exigent des documents supplémentaires pour l’immatriculation des SICAV ( DICI et prospectus signé par les premiers actionnaires) ; d’autres bloquent des scissions de SICAV au motif que, dans la réglementation spéciale, il n’est pas prévu de disparition de la société scindée ; d’autres encore refusent la radiation de SICAV qui ont racheté toutes leurs actions pour la raison qu’il n’y a plus d’actionnaire pour prendre une décision de dissolution. Il est demandé au Ministère de la Justice de porter ces différents points à l’attention du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce afin d’assurer le respect des textes et une harmonisation du traitement de ces questions sur l’ensemble du territoire.
Tenue des assemblées générales
Sont formulées des propositions de modification des textes qui méritent intérêt car elles vont dans le sens d’une clarification et d’une simplification de règles souvent malaisées à mettre en œuvre ; par exemple, le calendrier des assemblées, manifestement inadapté dans nombre de situations, ou les quorums, souvent trop exigeants dans des sociétés qui sont essentiellement gérées et dirigées par des sociétés de gestion extérieures et dont les actionnaires se désintéressent parce qu’ils ne se vivent qu’en investisseurs.
Propositions à caractère financier
Le rapport s’intéresse notamment aux modalités d’affectation du résultat dans les OPCI, qui font apparaître des disharmonies regrettables entre les règles spéciales et celles du droit des sociétés (notion des sommes distribuables inadaptée, difficulté d’affection différenciée de « poches » distinctes, complexité de la distribution d’une fraction des actifs d’un OPCI). Là aussi, sont formulées des propositions de modification des textes applicables qui paraissent très pertinentes.
La deuxième partie est consacrée à la gouvernance des sociétés d’investissement
Le thème est en effet important car ces sociétés sont en général gérées par des sociétés de gestion bien au-delà de la seule gestion des actifs et passifs, et les investisseurs se vivent fort peu en associés.
Organes de gouvernance
Le rapport n’innove que peu en renvoyant le plus souvent à la soft law d’origine professionnelle, par exemple pour les administrateurs indépendants et la diversité, d’autant que ces sociétés n’ont souvent pas de salariés et ne sont donc pas, de fait, soumises à certaines obligations légales, dont celles relatives à la mixité dans les conseils et les instances dirigeantes.
Tenue des conseils
Le rapport formule des propositions proches des solutions retenues à titre exceptionnel pendant la pandémie, comme la généralisation de la consultation écrite et de la visioconférence ou télétransmission, mais reste un peu en deçà de celles avancées par le projet de rapport du HCJP sur comment « adapter la gouvernance des sociétés en valorisant l’expérience de la crise sanitaire » (par exemple, le présent rapport refuse d’étendre la consultation écrite à l’arrêté des comptes et ne prévoit que la visioconférence ou le téléphone pour ce point).
Répartition des pouvoirs entre les organes sociaux et le gestionnaire
Le groupe de travail fait plusieurs propositions assez développées afin que leurs rapports soient clarifiés (imprécision de la gouvernance des SPPICAV à forme de SAS, incompatibilité entre le rôle de la société de gestion et la qualité obligatoire de personne physique du président de conseil d’administration et de directeur général, difficile intégration d’un investisseur dans les organes de gouvernance en raison du principe d’indépendance de la gestion).
Enfin, la troisième partie est consacrée aux opérations des sociétés d’investissement
Partie un peu fourre-tout, on y trouve principalement des questions relatives à l’immatriculation des sociétés d’investissement (par exemple lorsque l’un des associés fondateurs est un FCP, certains greffes refusent d’y voir un associé faute de personnalité juridique) mais aussi des propositions très attendues en pratique, qu’il convient de souligner, relatives à l’assouplissement du fonctionnement des compartiments (en particulier s’agissant de leur donner une certaine autonomie de fonctionnement et de faciliter leur fusion).
On le voit, ce rapport, encore une fois sous couvert de propositions modestes, présente des suggestions qui intéresseront certainement l’industrie de l’investissement.
On notera en guise de conclusion que les travaux du HCJP ont été réalisés avec l’accord des autorités publiques, et en particulier celui de la Direction Générale du Trésor. Dans son interview à la LJA (n° 1534 du 18 avril 2022), notre confrère Stéphane Puel, qui a présidé le groupe d’experts, précise que « La Direction Générale du Trésor a participé à tous nos travaux et a endossé tous les sujets débattus et toutes les propositions formulées ». Comme lui, nous pouvons donc espérer qu’un texte reprennne ces différentes propositions dans les mois à venir.
Jean-Jacques Daigre
KPMG Avocats
Vincent Maurel
KPMG Avocats