L’entreprise individuelle vient de trouver sa consécration de principe dans la loi du 14 février 2022 prise en faveur de l’activité professionnelle indépendante, qui ne s’appliquera qu’à compter du 15 mai 2022. A vrai dire, elle ne vient à la vie juridique que par l’intermédiaire de son propriétaire, l’entrepreneur individuel, qui « est une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes ». Certes, une loi du 11 juillet 1985 a créé l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), mais il s’agit d'une société (une SARL), bien que composée d’un seul associé ; de même, une loi du 15 juin 2010 a ouvert le statut d’entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL), mais à condition que l’entrepreneur le choisisse expressément et procède à certaines formalités (statut supprimé pour l’avenir). Mais la nouveauté du régime de l’entrepreneur individuel est qu’il s’applique de plein droit à tout entrepreneur et produit deux intérêts principaux : la limitation de la responsabilité professionnelle aux biens figurant dans le patrimoine professionnel (ceux « utiles » à l’activité) et la possibilité de transmettre globalement l’ensemble constitué par ce patrimoine, que ce soit pour le céder, le donner ou surtout l’apporter à une société.
Possibilité de transmettre globalement l’ensemble constitué par le patrimoine professionnel
C’est sur ce dernier point que l’on voudrait s’arrêter et dire notre perplexité. Le cœur du sujet se trouve au nouvel article L. 526-27 du Code de commerce. Il commence par énoncer, au premier alinéa, que l’entrepreneur individuel peut transmettre l’intégralité de son patrimoine professionnel « sans procéder à la liquidation de celui-ci » ; dont acte, même si cela va de soi : on ne liquide un patrimoine que si son titulaire disparaît, par décès s’agissant d’une personne physique ou par dissolution s’agissant d’une personne morale.
Il ajoute, au deuxième alinéa, que « Le transfert universel du patrimoine professionnel emporte cession des droits, biens, obligations et sûretés dont celui-ci est constitué ». Là est l’affirmation la plus importante : un transfert universel de patrimoine. On connait la notion et son régime en droit des successions, où ils sont nés, en droit des sociétés, pour les fusions, scissions et apports partiels d’actif, auxquels ils ont été transposés.
La qualification signifie, dans les deux cas, que les éléments du patrimoine sont transférés en bloc, par un seul et même mécanisme juridique global, sans avoir à procéder au transfert de chaque élément selon son régime propre (cession de créance, cession de dette, cession de contrat, cession de fonds de commerce, etc, sauf pour les immeubles qui supposent un acte notarié pour la publication au fichier immobilier). Mais quel est le régime général de cette opération juridique ? Il n’existe pas. Or, la loi sur l’entrepreneur individuel fait comme s’il figurait quelque part et que l’on pourrait s’y référer. Il faut donc rechercher d’abord dans la loi elle-même les éléments de ce régime. Et c’est là que l’interprète devient perplexe.
Un transfert a priori à titre universel
A priori, tout commence bien car, avant même l’affirmation du deuxième alinéa déjà cité, que « Le transfert universel du patrimoine professionnel emporte cession des droits, biens, obligations et sûretés dont celui-ci est constitué », la seconde phrase du premier alinéa (qui aurait mieux trouvé sa place à la fin de l’article) précise que « Le transfert non intégral d’éléments de ce patrimoine demeure soumis aux conditions légales applicables à la nature dudit transfert et, le cas échéant, à celle du ou des éléments transférés ». Jusque-là tout s’emboîte car, par a contrario, on en déduit logiquement que le transfert de l’intégralité du patrimoine professionnel n’est pas soumis aux conditions liées à la nature du transfert (vente, donation apport), ni aux conditions de transfert propres à chacun de ses éléments (encore une fois, cession de créance, cession de dette, etc).
Un transfert finalement au régime déconcertant
Cependant, le trouble vient du troisième alinéa, dont on peine à comprendre ce qu’il veut dire : « Sous réserve de la présente section, les dispositions relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en est de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats ».
Il nous semble que, de deux choses l’une : ou bien il s’agit du rappel du régime de ces opérations prises isolément, et ce rappel est inutile ; ou bien il s’agit d’une règle du régime du transfert du patrimoine professionnel, et cette règle est en contradiction avec ce qui précède et la notion même de transfert universel.
Et comment interpréter le début de l’alinéa : « Sous réserve de la présente section », alors qu’on est justement dans cette section relative au transfert du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel (intitulé de la section) ? Pris à la lettre, ce « sous réserve » laisse entendre qu’il faut combiner les règles particulières applicables à la nature de l’opération juridique (vente, donation, apport) et à la nature de chaque bien transféré (créance, dette, contrat) avec celles du transfert universel du patrimoine professionnel.