A l’occasion de la publication récente du rapport d’information de l’Assemblée nationale sur l’égalité économique et professionnelle1, Alain Couret, associé membre du conseil scientifique KPMG Avocats, revient sur l’évolution des dispositifs législatifs relatifs à l’accès des femmes aux responsabilités dans les grandes sociétés.
L'accès des femmes aux hautes responsabilités dans les sociétés est un phénomène sans doute récent mais qui connaît aujourd’hui une forte accélération. Cette tendance doit peu à l’évolution des mœurs. Elle est surtout le résultat de fortes impulsions législatives, accompagnées par les règles souples de la soft law. La pression sociétale est venue après. Cette volonté des pouvoirs publics d’œuvrer pour la mixité fait sans doute de la France l’un des pays les plus avancés en Europe en ce domaine, même si, beaucoup reste sans doute à faire.
L’intervention du législateur pour assurer la mixité dans les conseils d’administration ou de surveillance
Un rappel s’impose : au début des années 2010, la France était peu ouverte à la mixité. On trouvait moins de 15 % de femmes dans les conseils d’administration et les conseils de surveillance du CAC 40 et du SBF 120. 8 % participaient à des instances exécutives ou de direction. Fin 2020, 44,6 % de femmes siégeaient dans les conseils des sociétés du CAC 40 et 45,2 % dans ceux des entreprises du SBF 120. Du bas du classement européen, la France est passée au sommet du palmarès2. La clef de ce succès réside d’abord dans l’intervention du législateur (Loi Copé-Zimmermann du 27 janvier 2011) qui est venu imposer des quotas de 40 % de femmes aux sociétés cotées ou non-cotées employant au moins 500 salariés (le chiffre a été abaissé à 250 à partir du 1er janvier 2020) et réalisant un chiffre d’affaires ou un total de bilan d’au moins 50 millions d’euros.
Mais, le mouvement a été accompagné par le code de gouvernance AFEP-MEDEF (Article 7) et, plus récemment, par :
■ le code MIDDLENEXT (Recommandation 15),
■ les associations professionnelles3,
■ les investisseurs qui se montrent de plus en plus exigeants en ce domaine4,
■ les agences de conseil en vote qui se font les interprètes des investisseurs.
On ne retrouve pas cet accompagnement dans les sociétés non-cotées, et surtout dans les entreprises employant moins de 250 salariés qui échappent à la réglementation : le taux de féminisation y est inévitablement plus bas.
Au-delà de la satisfaction d’un principe d’égalité, la mixité révèle des caractéristiques largement positives pour la bonne gouvernance des sociétés ; souvent plus jeunes que les hommes dans ces postes de mandataires sociaux, plus souvent qu’eux de nationalité étrangère et donc multiculturelles, les femmes font preuve d’une plus forte assiduité aux réunions et d’une meilleure préparation, d’une plus forte propension à poser des questions et d’une plus grande appétence pour les questions d’ordre stratégique ou financier5.
Une incidence faible sur l’accès aux fonctions de direction générale
Cette réussite incontestable ne doit pas dissimuler le fait que l’accès aux fonctions de direction générale demeure, lui, restreint. La féminisation des conseils n’a pas eu d’impact sur les instances dirigeantes des grandes entreprises6. On pouvait beaucoup attendre de la loi PACTE du 22 mai 2019 qui se voulait porteuse d’une nouvelle vision de l’entreprise, favorable à la diversité. Ne sortiront de ce texte que des solutions passablement confuses et dépourvues de sanctions. Ainsi, l’art L.225-53 du code de commerce dispose que « sur proposition du directeur général, le conseil d'administration peut nommer une ou plusieurs personnes physiques chargées d'assister le directeur général, avec le titre de directeur général délégué. Il détermine à cette fin un processus de sélection qui garantit jusqu’à son terme la présence d’au moins une personne de chaque sexe parmi les candidats. Ces propositions de nomination s’efforcent de rechercher une représentation équilibrée des femmes et des hommes ». Faute de sanction explicite, on évoque une responsabilité assez hypothétique du conseil d’administration en cas de non-respect de la règle. Le domaine d’application de cette règle est au demeurant passablement étroit : elle ne vise que la désignation d’un directeur général délégué, non du directeur général. Elle ne vise donc qu’une fonction subordonnée, même si cette fonction n’est pas subalterne. Enfin, il semble que le terme du processus ne réside pas dans la décision du conseil d’administration mais dans la proposition faite par le directeur général qui peut ne présenter qu’un seul candidat. Dans les sociétés à directoire et conseil de surveillance, l’avancée législative est plus incertaine encore7.
Pourtant, quoique non-visées par l’exigence de mixité dans la loi PACTE, les fonctions de direction générale commencent à être assumées par des femmes. Quatre d’entre elles dirigent ou vont diriger prochainement une société du CAC 40 : Catherine Mac Gregor, DG d’Engie, depuis le 1er janvier 2021, Sabrina Soussan, DG de Suez, qui a pris ses fonctions le 1er février 2022, Christel Heydemann, DG d’Orange au 4 avril 2022, Estelle Brachlianoff, DG de Veolia au 1er juillet 2022. Leur place ne doit rien à la volonté du législateur, et peu à la volonté des pouvoirs publics. Le chiffre est bien sûr modeste, mais il a été atteint en quelques mois seulement… Le même phénomène est sensible si l’on observe le SBF 120 où la proportion de femmes directrices générales est aujourd’hui supérieure à 10 %. Les chiffres français sont meilleurs que ceux de nos voisins et que ceux que l’on relève aux USA.
Il ne fait guère de doute que la désignation de femmes à ce niveau devrait avoir un effet d’entrainement sur la féminisation de la population des cadres dirigeants et des membres des instances dirigeantes. « Est instance dirigeante toute instance mise en place au sein de la société, par tout acte ou toute pratique sociétaire, aux fins d’assister régulièrement les organes chargés de la direction générale dans l’exercice de leurs missions » nous dit le code de commerce. Pour reprendre l’expression à la mode, il y aura probablement un effet de « ruissellement » qui ne s’est au demeurant jamais produit à ce jour.
L’extension récente de l’obligation de mixité aux cadres dirigeants et aux membres des instances dirigeantes
Compte tenu cependant du trop faible nombre de dirigeantes, le législateur a ici encore repris l’initiative8 en prenant acte d’une mixité qui demeure faible dans les divers Comex et Codirs : un peu plus de 20 % de femmes dans les comités exécutifs et de direction des sociétés du CAC 40, un peu moins de 20 % dans les sociétés du SBF 120.
C’est à nouveau la méthode des quotas qui a été privilégiée, pour des entreprises employant depuis trois exercices au moins plus de 1000 salariés. La population est plus étendue que celle des sociétés cotées, mais elle demeure étroite (autour de 0,04 % des sociétés).
La tâche est délicate avec les cadres dirigeants, tels que définis à l’article L.3111-2 du code du travail9, qui sont salariés en CDI. Dès lors, le législateur ne peut satisfaire à bref délai les attentes de mixité en ce domaine à moins de devoir recruter rapidement des femmes en nombre suffisant ou de licencier les salariés hommes en place. La montée en puissance se fera donc d’abord sur une période de cinq ans au terme de laquelle la proportion des femmes devra s’élever à 30 %. Au bout de 8 ans, c’est une proportion de 40 % qui sera requise. Ce dernier texte a été adopté de manière très consensuelle.
Quelles seront les prochaines étapes ?
Le code Middlenext de gouvernement d’entreprise invite à l’équité et au respect de l’équilibre femmes-hommes à chaque niveau hiérarchique de l’entreprise (Recommandation 15). On trouve la même invitation dans les recommandations de l’Union européenne10. La féminisation des instances dirigeantes aura-t-elle des conséquences sur l’ensemble de l’entreprise ?
Index
1 Rapport d’information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur l’égalité économique et professionnelle, MMES M-P. Rixain ET L. Trastour-Isnart, Ass Nat n° 5118, 23 février 2022
2 Rapport précité, p. 103
3 AFEP : Vade-mecum sur la féminisation des instances dirigeantes 2019
4 Rapport précité, p. 113
5 Rapport précité, p. 112
6 Rapport précité p. 117
7 Article L.225-58 : « La société anonyme est dirigée par un directoire composé de cinq membres au plus. La composition du directoire s'efforce de rechercher une représentation équilibrée des femmes et des hommes ». Ici, le spectre d’application de la règle est plus large. Toutefois le texte confond les rôles du directoire et du conseil de surveillance et se prive par là-même d’autorité : « Le directoire exerce ses fonctions sous le contrôle d'un conseil de surveillance. Il détermine à cette fin un processus de sélection qui garantit jusqu'à son terme la présence d'au moins une personne de chaque sexe parmi les candidats ». Or, iI n’appartient pas au directoire de se sélectionner lui-même…
8 Loi Rixain du 24 décembre 2021
9 « Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement. »
10 Plan d’action de l’Union européenne pour l’égalité des genres (25 novembre 2020)