L’ordonnance n° 2021-1734 entrée en vigueur le 22 décembre 2021 et complétée par son Décret n° 2022-110 du 1er février 2022 modifie profondément le cadre législatif français du financement participatif en l’inscrivant dans la dynamique européenne initiée par le règlement européen n° 2020/1503 relatif à la création du statut de prestataire européen de financement participatif (PSFPE).
Le cadre juridique actuel du financement participatif
Le principe du financement participatif (ou crowdfunding) consiste à réaliser des levées de fonds en dehors des circuits financiers institutionnels en collectant des fonds auprès de contributeurs via une plateforme dédiée.
Afin de créer un cadre juridique adapté à ce mode de financement, le gouvernement français avait mis en place en 2014 le statut d'intermédiaire en financement participatif (IFP) pour les plateformes de prêts (avec ou sans intérêt) et le statut de conseiller en investissements participatifs (CIP) pour les sites d'investissement en fonds propres ou obligataires. A l’instar des CIP, les prestataires de services d’investissement (PSI) étaient également habilités à réaliser des activités de financement participatif sous forme de titres.
Pour autant, ce cadre réglementaire national n’était pas pleinement satisfaisant : la réglementation hétérogène des différents Etats membres contrariait le développement d’un marché réellement ouvert du financement participatif à l’échelle de l’Union européenne.
La création d’un statut européen unique : le PSFPE
En créant un statut unique de PSFPE, le régulateur européen a entendu élargir le champ de commercialisation des offres de financement participatif dans l'ensemble de l'Union européenne tout en le régulant étroitement. Dans la mesure ou le règlement européen couvre les activités de facilitation d’octroi de prêts, de placement sans engagement ferme et de la réception et la transmission d’ordres de clients, le PSFPE a vocation à appréhender la majeure partie des activités de financement participatif sous forme de titres (antérieurement réalisées par les CIP et les PSI) et une partie substantielle des activités de financement participatif sous forme de prêt. Ce statut emporte logiquement en droit français la disparition du statut de CIP. Le statut d’IFP est quant à lui maintenu mais restreint à l’activité de prêts à titre gratuit et au don.
Le PSFPE devra par ailleurs être agréé par l’Autorité des marchés financiers (AMF) et sur avis conforme de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) lorsque le programme d’activité du prestataire comporte une activité de prêt. Plusieurs dérogations pragmatiques aux dispositions européennes des textes relatifs à la commercialisation de produits d’investissement ont été expressément prévues (notamment au corpus réglementaire MIF2 et au règlement Prospectus).
Jusqu’alors dispensées d’agrément, les plateformes existantes et les PSI concernés bénéficient d’un délai de 12 mois à compter du 10 novembre 2021 pour solliciter l’agrément de l’AMF. L’enjeu d’un tel agrément réside dans la mise en place et le suivi d’un dispositif de contrôle d’acteurs amenés à s’adresser à un nombre croissant investisseurs. A cet égard, l’assujettissement des PSFPE aux règles LAB participe assurément de cette volonté de régulation.
L’agrément permettra aux PSFPE de bénéficier d’un passeport européen et de proposer des offres jusqu'à 5 millions d’euros par porteur de projet et par année. Sur ce dernier point, il faut relever que la réglementation européenne prévoit un seuil inférieur à celui de l’ancienne réglementation française (8 millions d’euros).
Une protection graduelle des investisseurs
Afin d’assurer une protection adéquate des différentes catégories d’investisseurs participant à des projets de financement participatif, le règlement catégorise les investisseurs avertis et non-avertis. Un investisseur dit averti est « un investisseur qui a conscience des risques associés aux investissements sur les marchés de capitaux et qui dispose de ressources suffisantes pour assumer ces risques sans s’exposer à des conséquences financières excessives ». Cette distinction, analogue à celle opérée en matière de services financiers depuis la Directive MIF 2, participe de la normalisation de cette forme de financement nouvellement plébiscitée par les entreprises de tailles moyennes. En outre, certains investisseurs dit non avertis pourront, sur demande, changer de statut en vertu d’une procédure d’opt out à l’instar de ce qui existe en matière de services d’investissement.
Une telle catégorisation permet concrètement d’introduire une gradation dans les niveaux de protection des investisseurs. Les non-avertis bénéficient de mesures de protection renforcées et spécifiques avant de participer à un projet. Pour cette catégorie d’investisseurs, le PSFPE devra notamment réaliser un test de connaissances à l’entrée en relation commerciale, une simulation de la capacité à supporter des pertes et devra avertir spécifiquement ainsi que recueillir le consentement explicite puis consigner la preuve que l’investisseur comprend l’investissement et les risques qui y sont associés pour tout investissement dépassant un certain montant (1000€ par projet ou 5% de son patrimoine net). Les investisseurs non avertis bénéficient de surcroît d’un délai de réflexion précontractuel de 4 jours qui commence à courir à partir de l’émission de l’offre d’investissement.
Naturellement, un certain nombre de règles s’appliquent indistinctement à tous les investisseurs qui feront transiter leurs offres par une plateforme de financement participatif. Ainsi, les PSFPE devront fournir et tenir à jour auprès des investisseurs potentiels une fiche d’informations clés sur l’investissement. Cette fiche sera établie par le porteur de projet pour chaque offre de financement participatif afin de leur permettre de souscrire en connaissance de cause. Parmi ces informations figureront celles relatives aux porteurs de projet, au projet à financer et aux principales caractéristiques du processus de financement participatif. Pour éclairer le consentement de l’investisseur, le régulateur veillera à ce que les facteurs de risques et les informations relatives aux frais facturés figurent en bonne place.
Enfin, l’ordonnance laisse la possibilité pour les prestataires de financement participatif de fournir dans un cadre national exclusivement, des activités non couvertes par le règlement de l’UE. Il s’agit notamment des activités de financement participatif réalisées sous forme de titres financiers pour des collectivités territoriales et leurs établissements publics.
Le nouveau cadre qui suppose un examen au cas par cas et plusieurs démarches auprès des autorités devrait favoriser le développement le financement participatif en facilitant la mise en relation des porteurs de projets et investisseurs tout en assurant un degré de protection élevé mais proportionné aux investisseurs.