Procédure d’infraction : la France mise en demeure de modifier ses règles de retenue à la source sur les dividendes versés à des compagnies d’assurance-vie d’autres Etats membres de l’EEE
Le 18 février 2021, la Commission européenne a adressé à la France une lettre de mise en demeure, première étape de la procédure d’infraction, concernant la retenue à la source qu’elle applique aux dividendes versés par des sociétés françaises à des compagnies d’assurance-vie établies dans un autre Etat membre de l’Espace économique européen (EEE) et qui servent à rémunérer des contrats en unités de compte (« UC »).
Motivation de la mise en demeure : une entrave à la libre circulation des capitaux
Les articles 63 à 66 du TFUE et l’article 40 de l’accord EEE prévoient que toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre Etats membres sont interdites. La liberté de circulation des capitaux s'applique à la constitution d'un avoir, aux investissements directs ne conférant pas une influence certaine sur les décisions d'une société et aux investissements de portefeuille. Sont également concernés par cette liberté, les paiements d'impôts et les réglementations fiscales applicables notamment sur les dividendes.
Dispositif visé
La Commission européenne dans sa lettre de mise en demeure vise spécifiquement le cas des contrats en UC émis par des compagnies d’assurance-vie établies dans un autre Etat membre de l’EEE.
A la différence des contrats en euros, les contrats en UC sont adossés à des actifs sous-jacents. Ces produits permettent aux assurés, au travers du contrat d’assurance-vie ou retraite, d’investir dans des valeurs mobilières diversifiées (actions cotées, actions non cotées, obligations, parts de fonds immobilier, parts de FCPR, etc.). Dans ce cadre, les dividendes reçus par l’assureur-vie ont vocation à être intégralement affectés à la provision mathématique du contrat représentant les droits de l’assuré.
La Commission européenne estime que les règles françaises relatives aux retenues à la source sur dividendes versés portent atteinte à la libre circulation des capitaux en traitant différemment les compagnies d’assurance non-résidentes des compagnies d’assurance résidentes fiscales de France.
- Les dividendes de source française perçus par une compagnie d’assurance-vie résidente fiscale de France ne sont pas soumis à retenue à la source. Le résultat fiscal d’une compagnie d'assurance-vie est déterminé après déduction fiscale des dotations aux provisions mathématiques. Les dividendes affectés aux provisions mathématiques sont ainsi de fait non imposés chez l’assureur-vie.
- A l’inverse, les dividendes de source française perçus par une compagnie d’assurance-vie non-résidente font l’objet d’une retenue à la source française libératoire, laquelle peut le cas échéant être réduite sur le fondement de la convention fiscale applicable. Cette retenue à la source est liquidée sur le montant brut des revenus distribués. Par suite, le titulaire du contrat est pénalisé, le rendement sur UC que son assureur-vie est susceptible de lui proposer étant mécaniquement obéré de cette retenue à la source.
La France dispose d’un délai de deux mois pour répondre aux arguments de la Commission. A défaut, cette dernière pourrait décider de lui adresser un avis motivé, dernière étape avant la saisine de la Cour de justice de l’Union Européenne.
Nouvelle opportunité : dépôt d’une réclamation contentieuse
Cette position de la Commission européenne s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence européenne, dont ont fait application les juridictions françaises dans des décisions récentes1 et qui ont reconnu la contrariété aux libertés européennes de l’imposition définitive sur une base brute d’un revenu versé à un non résident lorsqu’elle excède l’impôt dont serait redevable un résident français sur une base imposable nette des frais directement liés à l’acquisition du revenu soumis à la retenue à la source.
Ainsi, sans préjuger de la suite de la procédure, la Commission vient conforter les fondements sur lesquels l’application de la retenue à la source sur le montant brut des dividendes perçus par une compagnie d’assurance-vie non-résidente peut être contestée, lui ouvrant des opportunités de réclamations en France.
Les compagnies d’assurance-vie étrangères disposent d’arguments sérieux, dans la limite des règles de prescription applicables, pour solliciter un remboursement à hauteur du montant de la retenue à la source appliquée, étant précisé que les mécaniques d’alimentation des provisions mathématique exprimées en UC doivent être comparables à celles applicables aux compagnies d’assurance-vie françaises.
Index
1 CJUE, 13/11/2019, C-641/17, College Pension Plan of British Columbia, CAA Marseille 3ème Ch. 18/03/2021, n°19MA05052, SAEM gestion de Port de Vauban, CAA Versailles, 1/10/2019 n°17VE03599, UBS Asset Management Life Ltd
Cédric Philibert
KPMG Avocats
Frédéric Martineau
KPMG Avocats