Lors du Conseil Stratégique des Industries de Santé (CSIS) 2021, intitulé « Innovation santé 2030 », le Gouvernement a annoncé que l’objectif était « de faire de la France la première nation européenne innovante et souveraine en santé ». Parmi les principaux domaines d’investissement, l’une des priorités est de rénover la politique du médicament au service de l’accès aux soins, de l’innovation et de l’attractivité. Outre le financement de la recherche, l’un des enjeux majeurs est de réduire les délais d’accès des patients aux médicaments ainsi que les délais d’accès au marché remboursé pour les industries pharmaceutiques, notamment pour les produits de santé onéreux.
C’est dans ce contexte que la loi de financement de la sécurité sociale pour l’année 2022 (« LFSS 2022 » ou « LFSS ») a été adoptée en lecture définitive par l’Assemblée Nationale le 29 novembre dernier. Le texte de loi a été examiné par le Conseil Constitutionnel avant d’être publié au journal officiel.
Nous présentons ci-après les principales mesures instaurées par cette loi susceptibles d’intéresser les différents acteurs du secteur de la santé.
Article 5 - Allègement de la contribution dite « vente en gros »
Les entreprises de vente en gros de spécialités pharmaceutiques (grossistes-répartiteurs) ainsi que les entreprises assurant l'exploitation d'une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques sont soumises à une contribution dite « vente en gros » (ou encore « taxe sur les ventes directes ») au titre des ventes de spécialités pharmaceutiques remboursables réalisées auprès des pharmacies d’officine, des pharmacies mutualistes et des pharmacies de sociétés de secours minières.
Codifiée aux articles L. 138-1 et suivants du Code la sécurité sociale (ci-après « CSS »), l’assiette de cette contribution est composée de trois parts :
■ La première est calculée sur la base du chiffre d’affaires hors taxes, net des remises, ristournes et avantages commerciaux et financiers assimilés, réalisé en France au cours de l’année civile précédente ;
■ La deuxième part correspondant à la différence entre le chiffre d’affaires hors taxes ainsi déterminé de l’année civile N-1 et le chiffre d’affaires hors taxes de l’année civile N-2 ;
■ La troisième part est constituée de la marge rétrocédée aux pharmacies correspondant à la différence entre la marge maximum et la marge effectivement appliquée par l’entreprise.
La première part est la plus significative s’agissant du rendement de cette contribution et les grossistes-répartiteurs en sont les principaux contributeurs.
La LFSS vient alléger la contribution dite « vente en gros » en baissant le taux de la première tranche de 1,75 % à 1,5 %. Ce taux sera applicable à la contribution due à compter de l’exercice 2021.
Cette baisse devrait conduire à un gain d’environ 30 M€ pour les grossistes-répartiteurs et une perte de recettes pour l’assurance maladie de l’ordre de 35 M€.
La taxation allégée des acteurs de la répartition va permettre de restaurer la santé économique de ce secteur et de pérenniser leur mission de service public.
Article 26 - Harmonisation des règles relatives aux contributions pharmaceutiques
Plusieurs mesures visant à harmoniser les règles de champ et d’assiette relatives aux contributions des produits de santé ont été adoptées dans le cadre de la LFSS 2022.
Clause de sauvegarde
La clause de sauvegarde relative aux médicaments (dite contribution « M ») et la clause de sauvegarde relative aux dispositifs médicaux (dite contribution « Z »), prévues respectivement aux articles L. 138-10 et L. 138-19-8 du CSS, sont des mécanismes permettant d’atténuer le niveau des dépenses liées à la prise en charge des produits de santé.
L’application de la clause de sauvegarde se déclenche lorsque la croissance de ces dépenses dépasse un niveau fixé annuellement par la loi.
1. Fixation des montants de déclenchement des clauses de sauvegarde pour les médicaments et les dispositifs médicaux pour l’année 2022
Le montant M et le montant Z, au-delà desquels les clauses de sauvegarde médicaments et dispositifs médicaux se déclencheront pour 2022, sont fixés respectivement à 24,5 mds€ et 2,15 mds€.
2. Simplification des règles de plafonnement pour la contribution Z
A la différence de la contribution M (calculée sur le chiffre d’affaires), l’assiette de la contribution Z est déterminée directement sur la base des montants remboursés par l’assurance maladie au cours de la période concernée.
Néanmoins jusqu’ici, le plafonnement individuel de cette contribution restait basé sur le chiffre d’affaires des entreprises, ce qui les contraignait à effectuer une déclaration spécifique.
Afin d’aligner les règles d’assiette et de plafonnement de la contribution Z, la LFSS 2022 modifie les modalités de calcul du plafonnement qui sera désormais déterminé sur la base des montants remboursés par l’assurance maladie. De façon incidente, le processus déclaratif relatif au chiffre d’affaires est supprimé.
3. Elargissement des assiettes des contributions M et Z
Jusqu’à présent, l’assiette de la contribution relative au montant M ne prévoyait pas l’inclusion des médicaments bénéficiant d’une autorisation d’importation donnant lieu à une prise en charge. La LFSS 2022 ajoute cette précision à l’article L. 138-10 du CSS.
Par ailleurs, les dépenses relatives au dispositif d’accès direct prévu à l’article 62 de la LFSS 2022 (voir ci-après), qui prévoit à titre expérimental une prise en charge anticipée de certains médicaments dès l’avis de la Haute Autorité de Santé (« HAS »), sont également intégrées dans l’assiette du montant M.
S’agissant de la prise en charge transitoire, l’assiette du montant M intégrait d’ores et déjà le chiffre d’affaires lié aux médicaments bénéficiant d’un accès précoce et pris en charge à ce titre (nouveau régime issu de la LFSS 2021, codifié à l’article L. 5121-12 du code de la santé publique).
En revanche, le montant Z n’incluait pas les dépenses relatives aux prises en charge transitoires de dispositifs médicaux, dans le cadre du dispositif d’accès précoce prévu à l’article L. 165-1-5 du CSS.
Dans un souci de cohérence, la LFSS 2022 est venue intégrer les dépenses de prises en charge transitoires dans l’assiette du montant Z.
La loi prévoit que les nouvelles dispositions relatives aux clauses de sauvegarde s’appliqueront aux contributions dues au titre de l’année 2021 et des années suivantes.
Contribution sur les dépenses de promotion des médicaments et contribution sur le chiffre d’affaires
La LFSS 2022 intègre dans les articles relatifs à la contribution sur les dépenses de promotion (prévue aux articles L. 245-1 du CSS et suivants) les médicaments bénéficiant d’un accès précoce et pris en charge à ce titre. Les médicaments pris en charge en application du dispositif d’accès direct, nouvellement créé par la LFSS 2022, sont également ajoutés.
Il est à noter que cette modification concerne à la fois le champ d’application et l’assiette de cette contribution.
Ainsi, les médicaments bénéficiant du dispositif d’accès précoce ou d’accès direct et pris en charge à ce titre devront désormais être pris en compte pour apprécier le seuil d’exonération de la contribution sur les dépenses de promotion des médicaments fixé à 15 M€.
Il est prévu que les dispositions relatives à la contribution sur les dépenses de promotion des médicaments s’appliqueront aux exercices clos à compter du 31 décembre 2021.
S’agissant de la contribution sur le chiffre d’affaires (prévue aux articles L. 245-6 du CSS et suivants), elle se compose de deux contributions distinctes :
■ La contribution dite « de base » dont le taux était fixé jusque-là à 0,18 % (voir ci-après) du chiffre d’affaires hors taxes réalisé au titre des médicaments bénéficiant d’un enregistrement ou d’une autorisation de mise sur le marché ;
■ La contribution additionnelle égale à 1,6 % du chiffre d’affaires hors taxe réalisé au titre des médicaments prise en charge.
A l’instar de la contribution sur les dépenses de promotion des médicaments, la LFSS 2022 intègre à l’assiette de la contribution additionnelle le chiffre d’affaire réalisé au titre des médicaments bénéficiant du dispositif d’accès précoce ou d’accès direct et pris en charge à ce titre. Le rendement attendu de cette mesure est estimé à 10 M€.
Les modifications affectant la contribution additionnelle s’appliqueront à la contribution due au titre de l’année 2021 et des années suivantes.
Enfin, à titre informatif, nous soulignons que certains amendements, adoptés par le Sénat en première lecture, ont été rejetés par l’Assemblée Nationale en nouvelle lecture, à savoir notamment :
■ l’exclusion de l'assiette de la clause de sauvegarde des médicaments génériques, hybrides et biosimilaires ;
■ la progressivité de la contribution due en cas de dépassement du montant Z au titre de la clause de sauvegarde du dispositif médical ;
■ la déduction des remises versées au Comité Economique des Produits de Santé (« CEPS ») de l’assiette de la taxe sur le chiffre d’affaires ;
■ l’exclusion de l'ensemble des médicaments dérivés du sang de l'assiette de la contribution sur le chiffre d'affaires.
Autres mesures de la LFSS 2022
De nombreuses mesures intéressant le secteur de la santé ont été adoptées dans le cadre de la LFSS 2022, parmi lesquelles :
Augmentation du taux de la contribution dite « de base » sur le chiffre d’affaires (article 28)
La contribution sur le chiffre d’affaires prévue par l’article L. 245-6 du CSS, dont l’assiette a été élargie dans le cadre de la LFSS 2022 (lire ci-avant), fait également l’objet d’une modification s’agissant du taux de la contribution dite « de base » applicable aux médicaments bénéficiant d’un enregistrement ou d’une autorisation de mise sur le marché.
Ce taux qui avait déjà été augmenté de 0,17 % à 0,18 % par la LFSS 2021, est porté à 0,20 %. Aucune précision n’est donnée dans le texte concernant la date d’entrée en vigueur, comme l’an passé dans la LFSS 2021. Dans la mesure où le taux de 0,18 % est applicable pour la contribution due au titre de l’année 2021 (solde régularisateur dû en mars 2022), il semble que le taux de 0,20 % devrait s’appliquer pour la contribution due au titre de l’année 2022 (acompte dû en juin 2022 et solde régularisateur en mars 2023).
Mise en place d’un dispositif de remboursement anticipé pour les dispositifs médicaux numériques (article 58)
Afin de garantir un accès rapide à l’innovation tout en exigeant des entreprises de fournir les données nécessaires à l’évaluation de leur prise en charge, la LFSS pour 2022 prévoit un accès au remboursement anticipé et temporaire d’un an non renouvelable pour certains dispositifs médicaux numériques ou certaines activités de télésurveillance médicale (disposition codifiée au nouvel article L. 162-1-23 du CSS).
Pour pouvoir bénéficier de ce régime de prise en charge anticipée, les conditions suivantes devront être remplies :
■ Le dispositif médical numérique est présumé innovant, notamment en termes de bénéfice clinique ou de progrès dans l’organisation des soins, d’après les premières données disponibles et compte tenu d’éventuels comparateurs pertinents ;
■ Le dispositif médical numérique bénéficie du marquage CE dans l’indication considérée ;
■ L’exploitant du dispositif médical numérique garantit sa conformité aux règles relatives à la protection des données personnelles ainsi qu’aux référentiels d’interopérabilité et de sécurité applicables sur le fondement de l’article L. 1470‑5 du code de la santé publique ;
■ Le dispositif médical numérique permet d’exporter les données traitées dans des formats et dans une nomenclature garantissant l’accès direct aux données, et comporte, le cas échéant, des interfaces permettant l’échange de données avec des dispositifs ou accessoires de collecte des paramètres vitaux du patient.
Les modalités d’appréciation des conditions de prise en charge, les règles de fixation du montant de la compensation financière ainsi que ses modalités de versement seront fixées par décret.
Instauration d’un nouveau mode de prise en charge dérogatoire pour les médicaments : l’accès direct (article 62)
Le dispositif d’accès direct adopté dans le cadre de la LFSS 2022 est un régime expérimental qui va permettre à certains médicaments de bénéficier, dans une indication donnée, d’une prise en charge dès la publication de l’avis de la HAS et ce pour une durée d’un an, dans certains établissements de santé. L’objectif de cette mesure est de faire bénéficier aux patients et aux industriels d’un accès au marché anticipé par rapport aux 180 jours règlementaires, et d’assurer une jonction avec le droit commun en cas de durée de négociation exceptionnellement allongée.
Ce dispositif, qui constitue un complément de l’accès précoce mis en place par la LFSS 2021, vise majoritairement des médicaments qui ne seraient pas éligibles à l’accès précoce, et a un champ d’application plus large que ce dernier.
Le bénéfice de l’accès direct sera subordonné à plusieurs conditions parmi lesquelles :
■ La demande devra être déposée par l’exploitant auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale au plus tard un mois après la publication de l’avis rendu par la HAS sur la demande d’inscription sur l’une des listes de médicaments pris en charge ;
■ Une demande d’accès précoce devra avoir été déposée sur l’indication considérée et rejetée par la HAS (lorsque le médicament correspond aux critères d’éligibilité de l’accès précoce) ;
■ Le service médical rendu et l’amélioration du service médical rendu par la spécialité dans la ou les indications considérées, appréciés par la HAS, devront être d’un certain niveau fixé par décret ;
■ Le laboratoire devra s’engager à permettre d’assurer les continuités de traitement des patients initiés dans ce dispositif expérimental pendant un an à compter de l’arrêt de la prise en charge dans le cadre de ce dispositif.
Ce dispositif devrait être expérimenté au plus tard à compter du 1er juillet 2022.
Tarification des produits de santé et critère industriel (article 63)
Les prix de vente des médicaments et dispositifs médicaux remboursables sont généralement fixés par convention ou à défaut par décision du CEPS. Sans remettre en cause le système de tarification actuel des produits de santé fondé principalement sur la valeur thérapeutique du produit, un nouveau critère vient d’être ajouté par la LFSS 2022, afin de tenir compte d’une implantation industrielle garantissant une production à destination du territoire national en complément des critères principaux.
Cette mesure illustre l’une des priorités présentées par le CSIS, à savoir la relocalisation des sites de production sur le territoire national pour disposer de capacités de production pharmaceutiques suffisantes et permettre aux innovations d’être développées et produites en France.
Les conditions d’application de ce critère devront être précisés ultérieurement.
Renforcement des sanctions applicables aux « short liners » (article 27)
Cet article, qui n’était pas dans le projet de loi initial, a été ajouté par les députés afin de décourager et faire disparaître certaines pratiques des grossistes-répartiteurs dits « short liners ». L’objectif est de renforcer les sanctions, en cas de récidive, lorsque des grossistes-répartiteurs « short liners », ne respectent pas leurs obligations de service public, et créent des risques de rupture d’approvisionnement.
En cas de récidive dans un délai de cinq ans, une amende pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires annuel pourra être appliquée, étant précisé que sera retenu le plus élevé́ des trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits. Cette amende sera versée à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (« ANSM »).
Modification du droit de communication des agents des organismes de sécurité sociale pour optimiser les investigations (article 25)
La LFSS 2022 est venue aligner le droit de communication des organismes de sécurité sociale sur celui de l’administration fiscale en admettant la possibilité pour l’agent d’imposer aux tiers des réponses et des échanges sous forme dématérialisée.
Rappelons que l’article L. 114-19 du CSS permet aux agents des organismes de sécurité sociale d’obtenir à titre gratuit dans un délai de 30 jours des informations et des documents auprès d’organismes ou d’entreprises, sans que le secret professionnel ne leur soit opposé.
Cette modification devrait permettre d’améliorer l’efficacité des procédures d’investigation par un recueil simplifié et accéléré des informations concernées.
Une circulaire ministérielle devrait paraître ultérieurement afin de préciser les modalités de mises en œuvre de la dématérialisation du droit de communication et d’encadrer les pratiques des organismes de sécurité sociale.