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Fiscalité et contrats de licence de brevet

Les sociétés du secteur de la santé sont souvent confrontées à la délicate question de savoir si les redevances versées dans le cadre de contrats de licence de brevets doivent être déduites immédiatement en charges ou être immobilisées en tant qu’actif incorporel faisant l’objet d’un amortissement étalé dans le temps.

Cette problématique sectorielle est d’autant plus importante qu’elle est susceptible d’impacter la détermination de la valeur ajoutée servant au calcul de la CVAE, comme l’a récemment jugé le Conseil d’Etat.

En effet, celui-ci a rendu le 29 novembre dernier une décision en matière de CVAE concernant les redevances versées en contrepartie du droit d’utilisation et d’exploitation de brevets (Conseil d’Etat, 29 novembre 2021, n° 451521, Société Bio-Rad Innovations).

La société Bio-Rad Innovations exerçait une activité de sous-concession de brevets dont elle avait acquis le droit d'usage et d'exploitation auprès de l'Institut Pasteur moyennant le paiement de redevances. Elle avait déduit ces charges pour la détermination de la valeur ajoutée servant au calcul de la CVAE.

A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a assujetti cette société à des cotisations supplémentaires de CVAE en considérant que les redevances ne devaient pas être prises en compte en tant que charges pour la détermination de la valeur ajoutée.

La société a contesté le redressement, arguant qu’elle n’exerçait pas une activité professionnelle et ne devait donc pas être assujettie à la CVAE.

Le Conseil d’Etat a confirmé l’analyse de l’administration en excluant les redevances des charges déductibles de la valeur ajoutée et déplacé le débat sur un autre terrain. Il juge, dans le cas d’espèce, que les redevances auraient dû être comptabilisées en tant qu’immobilisations incorporelles, ce qui de facto conduisait à rejeter leur prise en compte pour le calcul de la valeur ajoutée.

« Si le plan comptable général, tel qu'il était défini par le règlement du comité de la réglementation comptable du 29 avril 1999, prévoyait que pouvaient être comptabilisées dans le compte 65 " Autres charges de gestion courante " les redevances dues pour brevets, il permettait également que ces redevances puissent être enregistrées au titre des immobilisations incorporelles de l'entreprise. Pour l'application des dispositions de l'article 1586 sexies du code général des impôts, les redevances dues pour brevets doivent être regardées comme rémunérant l'acquisition d'éléments incorporels de l'actif immobilisé dès lors qu'elles permettent d'obtenir des droits constituant une source régulière de profits, dotés d'une pérennité suffisante et susceptibles de faire l'objet d'une cession. Il n'est pas contesté que le contrat signé avec l'Institut Pasteur pour l'utilisation des brevets litigieux a été conclu sans durée déterminée et qu'il permettait à la société Bio-Rad innovations de sous-concéder ces brevets à des tiers. L'administration était dès lors fondée à considérer que les redevances versées à l'Institut Pasteur n'entraient pas dans la liste limitative d'éléments comptables devant être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. »

Le Conseil d’Etat transpose ici les trois critères dégagés dans sa jurisprudence Sife de 1996 selon laquelle des droits acquis doivent être considérés comme des éléments incorporels de l’actif immobilisé, dès lors qu’ils constituent (i) une source régulière de profits, (ii) sont dotés d'une pérennité suffisante et (iii) sont susceptibles de faire l'objet d'une cession.

Cette décision illustre l’importance de l’appréciation du caractère immobilisable ou non des redevances versées en contrepartie de l’exploitation de brevets. En effet, au-delà des conséquences en matière d’impôt sur les sociétés (déduction immédiate de la charge ou déduction échelonnée sous forme d’amortissement) et de crédit d’impôt recherche, cela impacte également la détermination de la valeur ajoutée servant au calcul de la CVAE. L’analyse au cas par cas des contrats de licences de brevets est donc essentielle afin de déterminer le traitement fiscal des redevances et sécuriser le calcul de la valeur ajoutée pour les besoins de la CVAE.