Tribune de Marie-Pierre Hôo, Associée responsable doctrine tax, KPMG Avocats, et Amélie Noël, Associée, Accounting Advisory Services, KPMG.
Le dépôt des liasses fiscales au titre de l’exercice 2019 a mis, pour la première fois, à l’épreuve de la pratique la nouvelle règle complexe de plafonnement de la déductibilité fiscale des charges financières nettes des entreprises1. Au-delà des questions qui n’ont pas manqué de se poser lors de la détermination de l’assiette des charges financières nettes et de l’EBITDA fiscal, l’identification et la préparation des données entrant dans le calcul de chaque ratio du mécanisme ont constitué un exercice ad hoc potentiellement conséquent. En effet, si l’application se décline différemment selon que l’entité testée est une « société individuelle » ou un groupe d’intégration fiscale, des données spécifiquement établies, issues de la consolidation financière, sont requises. Seules les entités non-membres d’un groupe consolidé y échapperont, avec toutefois pour contrepartie potentielle une déduction contenue.
La mise en œuvre du mécanisme plafonnant la déductibilité des charges financières des entreprises à 30 % de leur EBITDA fiscal (ou à 3 M€, si ce montant est supérieur) s’appuie sur deux types de ratios poursuivant chacun une logique différente : le ratio d’endettement, caractérisant une situation de sous-capitalisation, et l’application de limites de déduction plus sévères, ceux relatifs aux clauses de sauvegarde permettant à l’entreprise ou au groupe fiscal dont les ratios sont meilleurs que ceux de leur groupe consolidé d’accéder à un traitement plus favorable. Nous proposons ci-après un retour d’expérience sur les points clés et principales difficultés liés à leur détermination, en vue de faciliter la préparation de la prochaine clôture.
Deux types de ratios de nature différente utilisés dans le cadre du mécanisme
La première étape, incontournable du dispositif, vise à déterminer si l’entité testée est ou non sous-capitalisée. Tel sera le cas si la moyenne de ses dettes financières envers les entreprises liées est supérieure à 1,5 fois ses fonds propres, en application d’un ratio dit « ratio d’endettement ». Cette première nature de ratio ne concerne que l’entité testée (société individuelle ou groupe fiscal) et les données qui lui sont propres. Autrement dit, le calcul du ratio s’apprécie à son seul niveau.
Par la suite, l’entreprise ou le groupe fiscal non sous-capitalisés pourront bénéficier d’une plus large déduction fiscale, pouvant atteindre 75 % des charges financières nettes non admises en déduction après application du test de l’EBITDA. Ce complément de déduction sera applicable, sous réserve que leur situation soit meilleure que celle du groupe consolidé légal d’appartenance, au terme d’une comparaison entre la situation de l’entité testée et celle du groupe consolidé auquel elle appartient (en ne retenant que les entités intégrées globalement).
Tel sera le cas si :
■ Cette entité testée présente un ratio fonds propres sur actifs meilleur ou équivalent à celui du groupe consolidé restreint aux entités intégrées globalement (ratio d’autonomie financière, dit aussi « clause de sauvegarde générale ») ; ou
■ Cette entité testée était présumée sous-capitalisée après le calcul du ratio d’endettement, mais a contré cette situation en apportant la preuve contraire d’un niveau d’endettement inférieur ou équivalent à celui du groupe consolidé, apprécié en rapportant le montant des dettes aux fonds propres (« clause de sauvegarde sous-capitalisation », ou preuve contraire sous-capitalisation).
Cette deuxième nature de ratio compare ainsi la situation de l’entité testée avec celle du groupe consolidé dont elle fait partie (en ne retenant pour les besoins du calcul que les entités intégrées globalement), avec une tolérance de 2 %. Si le recours aux clauses de sauvegarde s’avère facultatif, les travaux mis en œuvre pourront être récompensés par l’accès à la déduction fiscale complémentaire.
Des données différentes selon la nature de l’entité testée pour le ratio d’endettement sous-capitalisation
Si la mise en œuvre ne présente a priori pas de difficulté particulière pour une entité individuelle pour laquelle le calcul s’appuie sur ses données statutaires, tel n’est pas le cas en présence d’une intégration fiscale, pour laquelle il doit être fait appel à ses fonds propres consolidés établis aux bornes de l’intégration fiscale (c’est-à-dire déterminés à l’échelle du périmètre du groupe fiscal), selon le référentiel comptable du groupe consolidé légal d’appartenance. Un exercice spécifique s’avère ainsi, en général, nécessaire pour en disposer.
Dans l’hypothèse où le groupe d’intégration fiscale ne fait pas partie d’un groupe consolidé légal, ses fonds propres sont, pour les besoins de l’exercice, à déterminer – pour les seuls besoins de la cause –, au choix en application des principes de consolidation selon les normes françaises ou IFRS.
Des données issues de la consolidation financière pour les ratios de clauses de sauvegarde
Si l’entité n’est pas intégrée fiscalement, ou pour le calcul de l’impôt d’une société comme si elle était imposée séparément, les données utilisées pour son ratio s’entendent « évalué[e]s selon la même méthode que celle utilisée dans les comptes consolidés ». Les commentaires définitifs2 parus au BOFiP en mai dernier ont éclairci cette définition, en précisant qu’il s’agit de données retraitées, établies en conformité avec les normes de consolidation appliquées par le groupe, c’est-à-dire inclus l’incidence des retraitements de consolidation affectant l’entité – tels que les écarts d’acquisition évoqués ci-après –, mais avant élimination des opérations internes et avant élimination des titres de participation. Pour cette détermination, l’organisation du processus de consolidation légale influe sur la teneur et l’étendue des travaux à mener en fonction notamment de l’unicité ou la multiplication des niveaux de comptabilisation des retraitements de consolidation. La part des intérêts minoritaires est par ailleurs à exclure de la notion de fonds propres, pouvant nécessiter des calculs spécifiques.
En présence d’une intégration fiscale, des données consolidées établies spécifiquement au titre du périmètre d’intégration fiscale sont à retenir, au même titre que les fonds propres attendus pour le ratio d’endettement « sous-capitalisation » précité.
Celles du groupe consolidé ne retiennent que les sociétés intégrées globalement ou contrôlées au sens de la norme IFRS 10, étant précisé que le groupe consolidé s’entend au niveau de la société consolidante ultime, c'est-à-dire au niveau de la société faîtière dont les comptes ne peuvent pas être inclus dans les comptes consolidés d'une autre entreprise. Ces comptes ne doivent pas être nécessairement publiés, dès lors qu’ils ont été audités. Les comptes consolidés établis à un niveau intermédiaire ne peuvent pas être retenus, y compris lorsqu’ils ont été établis conformément aux règles de consolidation française ou aux IFRS ou normes reconnues équivalentes.
L’établissement de ces données bilancielles consolidés spécifiques implique un travail conjoint des équipes fiscales et consolidation, ces dernières en étant a priori pourvoyeuses. Des périmètres de consolidation spécifiques peuvent le cas échéant être créés dans le logiciel de consolidation à cette fin. En pratique, l’amplitude des travaux à effectuer variera notamment selon la structure du groupe comparée à celle de l’intégration fiscale, ainsi que le nombre d’entités les composant, de même que la volumétrie des retraitements de consolidation ou transactions à caractère intra-groupe.
Même si le commissaire aux comptes n’a pas à émettre d’attestation spécifique sur ces données spécifiques, leur revue entre dans ses travaux génériques d’audit au titre d’une clôture, de par l’influence potentielle sur le montant de l’impôt sur les sociétés et de la participation des salariés.
Une allocation potentielle des écarts d’acquisition ou goodwill à opérer
Nés des opérations de croissance externe, les écarts d’acquisition ou goodwill ne sont à retenir parmi les actifs et fonds propres de l’entité testée que s’ils sont affectables aux entités considérées. Par mesure de simplification, ils sont à exclure s’ils ne sont que partiellement affectables ; auquel cas, ils sont exclus tant des actifs de l’entreprise que des actifs du groupe consolidé.
Les commentaires définitifs ont introduit un élément de souplesse en précisant que l’entreprise peut décider de procéder volontairement à l’affectation, en utilisant notamment des données extra-comptables qui ne figurent pas dans les comptes consolidés. En effet, dans le cadre de l’établissement des comptes consolidés, l'écart d'acquisition est généralement affecté à des unités ou regroupements d’unités génératrices de trésorerie notamment pour la réalisation des tests de dépréciation.
Ces notions ne correspondent pas forcément à des entités juridiques. Dans cette situation, elle doit être en mesure de présenter, sur demande de l’Administration, tous les éléments permettant de justifier l’affectation retenue.
La multiplication des opérations de structuration du groupe (acquisitions, fusions) intervenues au fil des années peut accentuer le travail d’analyse à mener autour de la problématique des écarts d’acquisition, une affectation ayant un effet bénéfique sur le montant des fonds propres.
Des titres de participation non consolidés nécessairement à étudier
Leur valeur doit être déterminée en fonction des règles applicables selon le référentiel de consolidation retenu par le groupe. Ainsi, si les comptes consolidés sont établis en conformité avec le référentiel IFRS, ces titres sont à constater pour leur juste valeur, conformément aux principes de la norme IFRS 9 « Instruments financiers ». Un exercice d’évaluation est alors à effectuer à chaque clôture et à retranscrire dans les bilans consolidés spécifiques, générant une certaine gymnastique, en particulier si des sociétés de l’intégration fiscale détiennent un grand nombre de participations dans des entités non intégrées mais toutefois incluses dans le périmètre de consolidation légale. La juste valeur, assimilable à la valeur de marché, diffère le plus souvent de la contribution aux comptes consolidés légaux de ces entités exclues de ces périmètres spécifiques.
Si les comptes consolidés sont établis selon les normes françaises, les titres non consolidés sont évalués à leur coût d’acquisition, déduction faite de toute dépréciation éventuelle, ce qui simplifie les travaux mais peut conduire à des fonds propres moindre que si le référentiel IFRS était appliqué.
Des travaux à anticiper en amont de la prochaine clôture
Les consolideurs sont ainsi sollicités pour la détermination de ces données qui peuvent nécessiter des travaux complémentaires significatifs, venant s’ajouter à ceux mis en œuvre pour la préparation des comptes consolidés légaux, et qui devront être anticipés. L’Administration fiscale admet la possibilité d’utiliser des données à l’ouverture ou à la clôture de l’exercice, choix modifiable chaque année. La disponibilité de ces données documentées au titre de la clôture 2019 permettra d’anticiper le calcul des ratios pour la prochaine clôture 2020, d’autant que les données 2020 pourraient être affectées du fait du contexte Covid-19.
Une documentation à constituer
Une attention toute particulière doit être apportée à la documentation constituée pour sous-tendre les données et hypothèses retenues. Elle devra être tenue à la disposition de l’Administration fiscale, qui précise dans ses commentaires que l’entreprise devra être en mesure d’apporter tous les éléments et documents relatifs aux différentes sociétés du groupe consolidé afin de permettre la reconstitution des données retenues dans le cadre du calcul des ratios. Cette documentation pourra notamment utilement être constituée de tableaux de passage, justifiant des données retraitées ou consolidées spécifiques retenues, ainsi que des détails d’allocation de l’écart d’acquisition (ou goodwill) et des titres non consolidés. Les montants des ratios de clause de sauvegarde générale sont par ailleurs à déclarer dans le formulaire Cerfa n°2463-SD (pour une intégration fiscale) et n°2464-SD (pour une entité individuelle).