Le « Guide » de l’OCDE portant sur les conséquences de la crise sanitaire actuelle sur les politiques de prix de transfert a été publié le 17 décembre.
Ce document reflète le consensus des 137 membres du cadre inclusif de l'OCDE. Il vise à aider, au moyen notamment d’instructions pratiques, les entreprises dans leur application des règles et de leurs politiques de prix de transfert au cours des exercices concernés par la crise sanitaire mais est également destiné à guider les administrations fiscales qui auront à les évaluer.
Les mêmes représentants de gouvernements que ceux qui travaillent sur le projet BEPS 2.0 relatif à la taxation des entreprises multinationales ont travaillé sur ce « guide ». Les recommandations qu’il contient sont aussi le fruit de commentaires reçus par l’OCDE de la part d’une quarantaine de Groupes multinationaux sur les questions qu’ils se sont posés - ou qu’ils se posent encore en cette période de clôture des comptes. L’objectif du document est d’aider les acteurs à répondre en pratique à la question : Doit-on ajuster sa politique de prix de transfert en raison de la crise que nous traversons ?
Le « Guide » porte sur l’application du principe de pleine concurrence dans les 4 domaines prioritaires suivants (qui peuvent se recouper) :
L’analyse de comparabilité
La crise sanitaire peut avoir des conséquences importantes sur le pricing de certaines transactions réalisées entre entreprises indépendantes et ainsi rendre moins pertinentes les données historiques qui leur sont attachées lors d’analyses de comparabilité. Il sera par suite nécessaire – pour pallier ces lacunes – de recourir à des approches pratiques (notamment des ajustements de comparables), qui devront pour autant rester cohérentes au fil du temps avec la politique de prix de transfert de l’entreprise.
Par ailleurs, la réalisation d’une analyse de comparabilité sera très différente, selon l’impact qu’aura eu la crise sanitaire sur les caractéristiques économiquement pertinentes de l’opération.
« Le document est assez éclairant sur le fait que si les ajustements des analyses de comparables et/ou des prix de transfert ne devraient pas être systématiques, ils peuvent être nécessaires. Le document propose à ce titre plusieurs pistes intéressantes pour mettre en œuvre ces ajustements. A l’inverse, l’utilisation des données de crises précédentes pour réaliser des ajustements des politiques prix de transfert est une piste assez nettement écartée par l’OCDE alors qu’elle a été suivie par certains contribuables ! ». Elfie Ossard-Quintaine
Le « Guide » poursuit l’objectif de faciliter les études de comparabilité qui seront menées dans le cadre de la crise sanitaire, en apportant des précisions et réflexions sur :
- les sources d’informations contemporaines pouvant être utilisées pour l’année 2020, par exemple : volume des ventes réalisés par d’autres canaux, coûts exceptionnels, effets des aides gouvernementales, publication de comptes trimestriels, indicateurs macro-économiques, recours à des méthodes statistiques, etc.
- l’utilisation de données financières prévisionnelles pour évaluer les effets de la crise sur les coûts, les marges, les revenus (ie. étude des variations entre les données budgétées et les données réelles, analyse du contexte et des facteurs ayant impacté le prix de pleine concurrence) ;
- l’opportunité selon la méthode retenue de prendre en compte des données contemporaines à la transaction (2020) ;
- les approches pratiques qui peuvent être utilisées à défaut d’informations pertinentes (notamment le fait de retenir une approche a posteriori pour tester la nature de pleine concurrence d’une transaction, "price testing") ;
- la période durant laquelle les données comparables doivent être prises en compte (par exemple, en s’appuyant sur plusieurs périodes tests, en retenant pour comparable une société ayant subi la même mesure de fermeture administrative, ou exclure pour l’étude les données afférentes à la période durant laquelle un contribuable aura été contraint, sur mesure administrative, de fermer son usine) ;
- sur l’application de mécanismes d’ajustement des prix ;
- l’attention toute particulière à attacher à la pertinence du choix des comparables utilisés (par exemple, redéfinir l’échantillon test pour ne retenir que des entités dans la même zone géographique) ;
- la possibilité de prendre en compte, en tant que comparables, des entités déficitaires.
Les pertes et l’allocations des coûts spécifiques de la Covid-19
La crise sanitaire peut soulever certaines questions s’agissant de l’allocation des pertes des entreprises. Le « Guide » apporte ainsi des éclaircissements et des recommandations sur différentes questions :
■ Une entité à risque limité peut-elle subir des pertes (selon les risques qu’elle assume) ?
■ Comment les coûts exceptionnels liés à la pandémie de Covid-19 peuvent-ils être pris en compte dans le cadre d’une étude de comparabilité ?
■ Comment la force majeure est-elle susceptible d’affecter l’allocation des pertes résultant de la pandémie de Covid-19 ?
« Le document mentionne à titre d’exemple que certains coûts exceptionnels pourraient être refacturés sans marge pour des sociétés habituellement rémunérée selon la méthode
communément appelée "Cost Plus". » Elfie Ossard-Quintaine
Les mesures de soutien des Etats
Les aides reçues des autorités publiques, quelle que soit leur forme, peuvent avoir des conséquences en matière de prix de transfert, qu’elles bénéficient à des multinationales, ou à des entités indépendantes pouvant servir de comparables. Le « Guide » fournit ainsi des informations sur :
■ la prise en compte du bénéfice d’une aide publique en tant que caractéristique économiquement pertinente ;
■ la prise en considération de la notion de spécificité du marché local s’agissant des aides publiques (impact sur le prix d’une transaction, impact sur une analyse de comparabilité)
■ l’impact du bénéfice d’une aide publique sur le pricing d’une transaction entre deux entreprises associées et sur l’allocation du risque entre ces entités ;
■ la prise en compte de cette aide publique pour les besoins d’une analyse de comparabilité.
Les mesures de soutien des Etats constituent un « facteur de comparabilité » au sens des Principes Directeurs de l’OCDE en matière de Prix de Transfert. Elles doivent donc être prises en considération dans les analyses prix de transfert. C’est un sujet sur lequel il faut être très vigilant car selon par exemple que l’on utilise un référentiel comptable français ou IFRS, l’indemnité d’activité partielle pourrait être enregistrée comme une charge négative ou comme un revenu.
Les accords préalables en matière de prix de transfert (APP)
Le « Guide » fournit enfin des éléments aux contribuables et aux administrations fiscales afin de déterminer dans quelle mesure les changements économiques résultant de la crise sanitaire peuvent affecter la mise en œuvre d’accords préalables déjà existants, mais également de quelle façon ces changements doivent être pris en compte pour la négociation de tels accords lorsqu’ils sont applicables en 2020.
« La crise en elle-même ne constitue pas systématiquement une rupture de ce que l’on appelle les hypothèses critiques de l’accord. Donc les APP existants ou en cours de négociation ne devraient pas se voir tous remis en question. » Elfie Ossard-Quintaine
Quels enseignements sont à tirer de ce « Guide » ?
« Le document est déjà rassurant sur un point fondamental : Le principe de pleine concurrence fonctionne ! Les Principes OCDE en matière de prix de transfert doivent continuer de s’appliquer, le guide a seulement vocation à faciliter leur interprétation.
En revanche, ces recommandations sont issues d’un consensus – le consensus des 137 membres – elles sont nécessairement assez générales. Elles mentionnent un grand nombre de fois qu’il faut une analyse au cas par cas. Il n’y a donc pas ou très peu de réponses définitives apportées aux questions que se posent les Groupes. Par exemple, les questions soulevées sur la difficulté d’appliquer une méthode de prix de transfert homogène sur toute l’année n’a pas été traitée. La question de l’allocation et de la facturation des « managements fees » n’est pas non plus éclairée par le document.
Ainsi, en prix de transfert pour cet exercice 2020 et très probablement pour 2021, il y a un besoin critique d’expliquer ce qui aura été fait ou pas : ajustement des comparables / ajustement des prix de transfert ou aucun ajustement.
Il faut observer, analyser et documenter.
Il faut pour cela envisager de réaliser un exercice de documentation assez sensiblement différent cette année – notamment pour les Groupes qui réalisent ces documentations depuis plusieurs années sans jusqu’alors de modifications importantes d’une année à l’autre. Certains pays ont même d’ores et déjà renforcé leur règlementation pour intégrer une obligation de décrire les impacts de la pandémie
dans les documentations prix de transfert. » Elfie Ossard-Quintaine
Elfie Ossard Quintaine
KPMG Avocats