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Prorogation des délais échus : conséquences pratiques sur les TUP et fusions

L’Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 proroge les délais échus pendant l’état d’urgence sanitaire et reporte ainsi l’intégralité du délai d’opposition des créanciers des opérations de TUP et de fusion ayant commencé à courir avant le 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois.

L’article 2 de l’Ordonnance prévoit que tout acte, recours ou action en justice qui aurait dû être accompli pendant une période courant du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire (la « Période »), pourra valablement être effectué « dans le délai légalement imparti » à compter de la fin de ladite Période, et ce, dans la limite de 2 mois.

Ces dispositions s’appliquent à tous les délais et mesures qui ont expiré ou vont expirer pendant cette Période.

Les opérations de fusion comme celles de dissolution sans liquidation (ou « TUP ») au sens de l’article 1844-5 alinéa 3 du Code civil supposent le respect d’un délai d’opposition des créanciers de 30 jours afin de permettre à ceux-ci d’obtenir le paiement de leurs créances ou la constitution de garanties. Cette faculté ouverte aux créanciers est la contrepartie du fait que la TUP comme la fusion entraînent la transmission universelle du patrimoine (et donc des créances et des dettes) au profit de la société confondante (dans une TUP) ou absorbante (dans une fusion). Les créanciers disposent donc d’un nouveau débiteur sans qu’ils ne l’aient choisi.

Or, l’opposition constituant une demande en justice, comme l’a d’ailleurs indiqué le CCRCS dans son avis n°2014-002, elle relève donc de l’action en justice telle que visée par les dispositions de l’article 2 de l’Ordonnance.

Quelles conséquences pratiques pour les opérations de fusion et de TUP en cours ?

Délai d’opposition des créanciers

Le délai d’opposition des créanciers de 30 jours commence à courir à compter de la réalisation d’une publicité légale (au BODACC ou sur les sites internet des sociétés participantes pour la fusion, ou dans un JAL pour une TUP).

Ce délai d’opposition venant à expirer pendant la période courant du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire doit-il être prorogé compte tenu de l’Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 ?

L’Ordonnance indique que l’action en justice sera valable si elle « a été effectué[e] dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir ».

Par conséquent, pour les publicités légales intervenues avant le 12 mars 2020, et même si une partie du délai d’opposition des créanciers a commencé à courir avant cette date, le délai d’opposition n’est pas simplement suspendu mais intégralement reporté à la fin de la Période, comme s’il n’avait jamais commencé à courir. Cela signifie que le délai d’opposition redémarrera à compter la fin de la Période (fin d’état d’urgence sanitaire + 1 mois) pour une durée de 30 jours. Cette interprétation est d’ailleurs confortée par la Circulaire du 26 mars 2020 relative à cette Ordonnance.

Sur la date d’effet de l’opération

Dans l’hypothèse d’une opposition, la TUP ne pourra prendre effet qu’après son rejet en première instance ou après remboursement de la créance ou constitution de garanties (article 1844-5 alinéa 3 du Code civil). L’ANC a d’ailleurs considéré que la date d’effet d’une TUP ne pouvait pas être inférieure à la date d’expiration du délai d’opposition des créanciers (Règl. ANC 2014-03 du 5 juin 2014, art 770-3).

La date d’effet de l’opération de TUP est donc décalée d’autant puisqu’un nouveau délai d’opposition des créanciers va courir.


Exemple pratique pour une TUP :

Une fusion pourra être réalisée malgré l’exercice d’une opposition (article L. 236-14 du Code de commerce).


Toutefois, la date de réalisation de la fusion est, en principe, la date de la dernière des assemblées générales se prononçant sur l’approbation de l’opération (le traité de fusion pourra le prévoir conventionnellement si la loi ne l’impose pas). Par conséquent, si cette assemblée générale était appelée à se tenir entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire, il serait préférable de reporter sa tenue après l’expiration du nouveau délai d’opposition.

Dans l’hypothèse où aucune assemblée générale d’approbation de la fusion n’est requise (ni par la loi ni par les stipulations contractuelles du traité de fusion), la fusion doit respecter l’écoulement du délai d’opposition des créanciers (cf. Communication Ansa, comité juridique, n°18-044 du 5 septembre 2018). Par conséquent, là encore, la fusion ne sera réalisée qu’à l’issue du nouveau délai d’opposition des créanciers.

AUTEURS

Anne Romain-Huttin
KPMG Avocats

EXPERTISE CONCERNÉE