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En 2020, les assemblées générales des sociétés se sont tenues sous un régime exceptionnel, imposé par la crise sanitaire que connaît notre pays depuis le mois de mars. Aujourd’hui se pose la question de savoir si ce régime :

  • a favorisé ou non la démocratie actionnariale
  • s’il va être prorogé
  • et s’il continuera de s’appliquer aux assemblées 2021, comme certains semblent l’annoncer, voire au-delà en s’inscrivant dans le droit commun.
Quelles leçons peut-on tirer de la pratique des assemblées générales qui se sont tenues  au cours de cette année, et en particulier depuis le 25 mars 2020 ?

Quelles leçons peut-on tirer de la pratique des assemblées générales qui se sont tenues au cours de cette année, et en particulier depuis le 25 mars 2020 ?

Le format des assemblées générales

L’ordonnance 2020-321 du 25 mars a autorisé la tenue d’assemblées sous trois modalités différentes.

  • les « assemblées » tenues sans la moindre réunion d’actionnaires, même à distance, en la seule présence d’un bureau ;
  • Les assemblées avec participation à distance, mais simplement pour poser des questions et sans possibilité de voter ;
  • les assemblées avec participation et possibilité de vote à distance.

Il appartenait à l’organe chargé de convoquer l’assemblée de choisir la modalité retenue. La forme la plus dérogatoire à nos traditions est l’assemblée dite à huis clos, c’est-à-dire une assemblée sans rassemblement dans laquelle les votes sont acquis avant même le début de la réunion. Cette modalité a été dominante, si l’on regarde les statistiques concernant les sociétés cotées.

La présence des membres des assemblées

La seconde modalité était moins dérogatoire car déjà connue de notre droit : sont réputés présents pour le calcul du quorum et de la majorité les membres des assemblées qui participent et qui peuvent voter par une conférence téléphonique ou audiovisuelle permettant leur identification. Les autres personnes ayant le droit d'assister aux séances des assemblées peuvent y assister par les mêmes moyens. Toute clause des statuts bannissant ce système se trouve être écartée.

Enfin, rien n’interdisait, théoriquement, de tenir une assemblée selon les règles classiques. Cette option n’a été utilisée que de manière très marginale alors même qu’elle ne se heurtait pas toujours à des obstacles insurmontables. Dans certains cas, elle aurait cependant été risquée, tant du point de vue du quorum que de la contestation éventuelle d’actionnaires empêchés de participer par des restrictions sanitaires.

Ces assemblées 2020 ont-été globalement des assemblées relativement pauvres en débats et en questions. Bien sûr, 10 sociétés du CAC 40 ont adopté une raison d’être, adoption qui a beaucoup sollicité l’attention. Cependant, il faut se méfier d’un effet de halo dû à cette innovation.

Pour autant, la saison 2020 des assemblées révèle d’autres points très positifs. Par exemple, on a souvent relevé l’importance de la présence (virtuelle) aux assemblées à huis clos. Le nombre des connections est toujours très supérieur au nombre d’actionnaires venant habituellement participer à la manifestation. Les actionnaires institutionnels se connectent alors qu’ils ne le font pas traditionnellement, peu désireux d’entendre les séquences de promotion qui caractérisent les assemblées normales. De manière générale, les actionnaires ont pu assister à plus d’AG que les autres années. Globalement, le public des assemblées s’est élargi.

Par exemple encore on a pu observer que la propension des actionnaires à s’aligner passivement sur les positions de la direction était mise à l’épreuve. Outre quelques résolutions rejetées - très peu en fait -, on a pu relever le nombre important de résolutions adoptées plus laborieusement que d’habitude.

Plusieurs dizaines de résolutions ont été votées avec moins de 80 % des suffrages. Ce phénomène peut faire l’objet de lectures très différentes mais il témoigne incontestablement d’une certaine vitalité démocratique.

Enfin, pour se référer à un critère de plus en plus prégnant, on fait volontiers remarquer que le bilan carbone d’une assemblée à huis clos est bien meilleur que celui d’une assemblée normale pour les grandes sociétés cotées. Faut-il ajouter que le coût pour une grande société cotée est bien moindre ?

En dépit de ces éléments positifs, ces assemblées ont été l’objet de critiques, mais somme toutes assez rares. Ici comme ailleurs, la volonté a été de s’incliner devant les contraintes nées de la crise sanitaire et d’en accepter les conséquences. Les proxys ont été plutôt discrets, de même que les associations d’actionnaires. Toutefois, la durée de l’application des textes dérogatoires, limitée dans un premier temps au 31 juillet puis prorogée au 30 novembre a fait naître une contestation qui s’exprime de plus en plus volontiers dans la presse financière et qui met en valeur quatre carences du système.

■   d’abord, l’impossibilité de voter durant l’assemblée apparaît discutable, tout au moins quand la fiabilité des votes à distance semble pouvoir être garantie.

■   puis, l’impossibilité dans la plupart des cas de poser des questions orales. Trois sociétés au moins du CAC 40 ont toutefois donné la parole à leurs actionnaires, ce qui montre que l’on peut techniquement mettre en place un système permettant le jeu des questions.

■   ensuite, la révocabilité ad nutum des membres des conseils se trouve affectée : on ne peut plus révoquer un administrateur sur simple incident de séance, et en faire élire un autre en remplacement. Bien sûr, en pratique, ces incidents sont plutôt rares et ne constituent pas l’ordinaire des assemblées. Pour autant, ils témoignent d’un pouvoir des actionnaires qui est ici confisqué.

■   Enfin, l’assemblée sans rassemblement est une sorte d’oxymore qui nie l’esprit
démocratique
. L’assemblée classique connaît à la fois une unité de lieu, une unité de temps et une unité d’action . Certes, le vote par correspondance a toujours affecté cette unité. Mais l’assemblée à huis clos dissocie totalement le vote qui lui est antérieur de la tenue de l’assemblée.

Ajoutons qu’une assemblée est un lieu de rencontres et que les actionnaires individuels peuvent, au moins en théorie et quelques fois en pratique, dialoguer avec les dirigeants...

Quelles leçons peut-on tirer de la pratique des assemblées générales qui se sont tenues  au cours de cette année, et en particulier depuis le 25 mars 2020 ?

Question juridique

Les organes de décision d’une société cotée peuvent-ils d’autorité imposer aux dirigeants une réduction immédiate de leur rémunération ? Le pivot de la réponse réside dans la distinction entre la reprise de l’acquis et la révision pour le futur.

Bénéficiaires potentiels des obligations Relance

Ces critiques pourraient-elles donner lieu à des contestations judiciaires ?

Le risque juridique existe toujours, mais en l’occurrence sa potentialité est faible, parce les fondements, s’ils existent, sont incertains, et parce qu’un juge y regardera à deux fois avant de remettre en cause des assemblées tenues dans des circonstances aussi exceptionnelles.

On peut néanmoins assez facilement identifier ces risques.

Le risque lié à la réalité de la situation au lieu où s’est tenue l’assemblée

L’article 4 de l’ordonnance 2020-321 du 25 mars 2020 a facilité la tenue des assemblées générales lorsqu’elles étaient convoquées ou réunies « en un lieu affecté [...] par une mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires ».

La question s’est posée, à la suite du déconfinement et de l’allègement des mesures restrictives, de savoir ce qu’il fallait entendre par « lieu affecté par une mesure administrative ». La pratique et les autorités publiques l’ont entendu très largement, comme visant non pas étroitement le lieu-même de la réunion, mais extensivement le territoire au sein duquel le lieu était situé. Il a même été assez généralement admis que cela s’appliquait à tout le territoire national dans la mesure où la totalité de celui-ci était soumis aux gestes barrières.

Une discussion juridique pourrait cependant naître sur ce point, par exemple à l’initiative d’un minoritaire déçu, qui pourrait tenter de contester l’interprétation extensive de la notion de lieu, en particulier là où il n’y a pas eu de restriction particulière aux réunions. Mais, à notre connaissance, aucune contestation n’a encore été élevée sur ce point et il n’est pas assuré qu’un juge ait envie de faire du juridisme face à ces circonstances.

Le deuxième risque est relatif à la composition du bureau des assemblées

Normalement, celui-ci est composé du président du conseil d’administration ou de surveillance ou, en son absence, de la personne prévue par les statuts ; à défaut, le président de l’assemblée est élu par celle-ci. Il est également composé de deux scrutateurs, qui sont les membres de l’assemblée disposant du plus grand nombre de voix et acceptant cette fonction.

L’ordonnance a prévu que l’assemblée pouvait être tenue « sans que les membres et autres personnes ayant le droit d’y assister ne soient présents physiquement ou par conférence téléphonique ou audiovisuel », et le décret d’application du 10 avril 2020 a précisé les facilités ainsi offertes aux sociétés. Dès lors, on a vu un certain nombre de bureaux composés par d’autres personnes que celles prévues par le texte habituel, par exemple par le directeur juridique voire un avocat, ce qui n’était pas forcément conforme aux possibilités exceptionnellement permises par les textes. Surtout, il n’est pas certain que les membres du bureau aient toujours été désignés par le conseil à la suite d’une délibération en bonne et due forme comme l’exige le décret.

On peut également, dans le prolongement de ce qui précède, évoquer le risque relatif au mandat éventuellement donné à un délégué pour convoquer une assemblée à huis clos. Le décret précité dispose que lorsque l’organe compétent pour convoquer l’assemblée délègue cette compétence, « la délégation est établie par écrit et précise la durée pour laquelle elle est consentie ainsi que l’identité et la qualité du délégataire ». Il n’est pas impossible que cette exigence soit passée inaperçue au sein de certaines sociétés et que des mandats écrits aient été omis.

Le texte ne prévoyant aucune sanction spécifique, il faut appliquer le droit commun du mandat : le prétendu mandataire est en principe dépourvu de pouvoir, de sorte que la délégation peut être annulée, de même que, par voie de conséquence, la convocation de l’assemblée et sa tenue.

Néanmoins, il faut avoir égard à deux règles de rattrapage : si le mandataire avait une apparence de pouvoir, en particulier en raison de son statut, le mandat peut être présumé et l’irrégularité de la délégation ne peut être invoquée dès lors que le mandat a été ratifié après coup par l’organe compétent pour l’accorder.

Même si l’on pense plus volontiers aux grandes sociétés en raison des contraintes matérielles qu’elles doivent dépasser, les assouplissements apportés au régime des assemblées générales valent aussi pour les sociétés de taille petite ou moyenne. La forme qui connaît aujourd’hui l’expansion la plus spectaculaire est la société par actions simplifiée, la SAS (plus de 800 000 unités).

Quant au mode de tenue des assemblées dans cette forme sociale, les options vues précédemment pour les sociétés anonymes sont également opérationnelles, quelles que soient les dispositions contenues dans les statuts, interdiraient-elles la tenue d’assemblées à huis clos ou le recours à des moyens audiovisuels.

La question qui s’est souvent posée a été celle de savoir si l’assemblée ne pouvait pas être remplacée par une consultation écrite. L’ordonnance dispose que lorsque la loi prévoit que les décisions des assemblées peuvent être prises par voie de consultation écrite, il peut être décidé de recourir à cette faculté sans qu'une clause des statuts ou du contrat d'émission ne soit nécessaire à cet effet ni ne puisse s'y opposer. S’agissant des SAS, la loi ne prévoit rien ou plutôt laisse toute liberté aux statuts pour l’organisation des AG. Peut-on néanmoins faire application du texte ? La majorité des observateurs considère que oui. On peut donc penser que les SAS peuvent utiliser les consultations écrites, même en l’absence d’autorisation statutaire...

Le régime actuel expire le 30 novembre prochain. Un nouveau texte, fixant les modalités de tenue des assemblées pour les prochains mois, est semble-t-il en préparation. Que peut-on imaginer pour la suite ?

Les différents organismes qui ont scruté les assemblées de cette année et tenté d’en faire le bilan ont tous estimé qu’il serait opportun qu’une loi vienne généraliser la possibilité de tenir des assemblées de manière virtuelle, comme cela se pratique par exemple aux Etats-Unis dans de grandes sociétés (plusieurs centaines, dont Ford). Cependant, il faut sans doute rester prudent dans le pronostic.

Au moment où tout le monde met en avant la nécessité de renforcer les relations avec les parties prenantes, dont au premier chef les actionnaires, il serait en effet contradictoire de ne pas maintenir la possibilité d’assemblées en présentiel, qui pourraient certes être assorties de la possibilité de connexions à distance.

L’AMF milite en ce sens, en admettant l’intérêt d’ouvrir les assemblées à des actionnaires connectés à distance mais en demandant qu’elles continuent de se tenir effectivement.

C’est dans la combinaison des deux que le dialogue actionnarial, au moment des assemblées, trouvera sa meilleure efficacité.

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