L’abandon décidé du statut de commandite par actions par une grande société cotée a fait l’objet de multiples articles de presse depuis quelques semaines. Cet abandon est-il le signe annonciateur d’un déclin de cette forme sociale ? On peut en douter. Si le nombre des commandites par actions n’a jamais été très élevé, il demeure stable. Et il a probablement vocation à le rester.
La société en commandite par actions est caractérisée par la présence d’associés commandités, indéfiniment et solidairement responsables du passif et d’actionnaires ordinaires appelés ici commanditaires. Le pouvoir appartient aux premiers, au travers de la gérance dont ils désignent les membres sans nécessité que ces gérants soient eux-mêmes commandités. Sans accord des commandités, la révocation du gérant est quasiment impossible. Les seconds ont des compétences propres ; ils doivent approuver les comptes, toute distribution de dividendes, les modifications des statuts, la désignation des commissaires aux comptes et des membres du conseil de surveillance, qui ont notamment le pouvoir de contrôler la gestion de la société et d’autoriser la conclusion des conventions réglementées.
Dans la population des commandites, on rencontre d’abord des sociétés qui ont depuis une époque très lointaine choisi ce statut (Michelin, Hermès). On rencontre ensuite des sociétés qui, à un moment de leur histoire, ont décidé de se transformer en SCA pour faire face à une menace ou pour pallier l’insuffisance de moyens financiers de l’actionnaire qui souhaite exercer et conserver le contrôle. Le statut sera parfois abandonné à l’occasion de l’entrée de nouveaux investisseurs qui en feront une condition de leur intervention, ou lors de la cession du contrôle. Cette disparition implique l’indemnisation des associés commandités. Enfin, et c’est un facteur commun à beaucoup de ces sociétés, elles ont une forte dimension familiale, la SCA permettant de conserver le pouvoir au sein de la famille et de le transmettre.
Cette forme sociétaire a connu son heure de gloire au 19ème siècle avec la « fièvre des commandites ». Par la suite, elle s’est fait quelque peu oublier, victime à partir de 1867 du développement de la société anonyme et de celui de la SARL à partir de 1925. Lors de l’élaboration de la grande loi du 24 juillet 1966, on hésitait à la conserver. On s’interrogeait déjà sur la fin des commandites, le désintérêt doctrinal pour le sujet semblant rejoindre le médiocre intérêt de la pratique.
Pourtant, autour des années 80-90, elle va redevenir un centre d’intérêt important en raison des deux vertus dont elle est porteuse, tant pour le développement du « public equity » que pour celui du « private equity ». La première vertu est de réduire le risque d’OPA. La loi du 2 août 1989 a mis en place un régime libéral des offres publiques et la crainte de ces offres se développe. La SCA réduit le risque de manière importante puisque l’initiateur de l’offre ne pourra pas renverser la direction en place sauf à avoir acquis un nombre de titres ou de droits de vote suffisant pour pouvoir modifier les statuts, à savoir 66,66%. On va donc voir à cette époque certaines entités faire le choix de la transformation en SCA. Le législateur a d’ailleurs parfaitement envisagé le phénomène puisqu’un droit de retrait est offert aux actionnaires minoritaires dans l’hypothèse d’une telle transformation (art 6 bis, loi n° 82-531). Et l’existence de ce droit de retrait témoigne de ce que la transformation en SCA est un vrai changement de la règle du jeu pour l’actionnaire.
A côté de cette capacité de réduire le risque dans les sociétés cotées, la SCA dispose d’un pouvoir considérable d’amplification du pouvoir. Les années 80 sont des années de découverte ou plus exactement de vulgarisation du fameux effet de levier qui permet la réalisation des opérations de LBO. En ce domaine, la SCA dispose d’un pouvoir inégalé : avec quasiment rien, on peut au moins sur le papier, contrôler beaucoup. D’excellents auteurs s’emploieront à démontrer la richesse du mécanisme et évoqueront parfois des effets de levier de l’ordre de 1 à 200 ( Voir : Jeantin et Bertrel « Acquisition et fusion des sociétés commerciales », LITEC, 1991). Pour autant, le recours à cet outil demeurera limité.
A l’époque plus récente, le phénomène le plus marquant sera celui de la pleine insertion de la commandite dans la logique des marchés financiers. D’une part, le Code AFEP-MEDEF intègre les commandites par action à son code de gouvernance en invitant ces sociétés à procéder aux adaptations nécessaires pour mettre en œuvre les principes de bonne gouvernance contenus dans le code. D’autre part, l’ordonnance du 27 novembre 2019 sur le say on pay consacre des dispositions aux commandites. S’agissant des offres publiques, tant l’AMF que la jurisprudence considèrent que la structure de commandite n’interdit pas les offres publiques ; elles considèrent que les dispositions des articles L. 433-3 I du Code monétaire et financier et 234-2 du règlement général édictent une obligation d’offre publique à raison du franchissement du seuil de 30% du capital ou des droits de vote d’une société, fût-elle constituée sous la forme d’une société en commandite par actions. Ainsi, la réglementation sur les offres publiques est pleinement applicable aux sociétés en commandite par actions (AMF 7 janvier 2011, n° 211C0024).
Pour être singulières, les commandites par actions sont donc compatibles avec la régulation des marchés qui recherche plus l’adaptation de règles prévues pour d’autres formes sociales que la condamnation d’un modèle figurant dans le Code de commerce.
L’heure de leur disparition n’est pas venue. Au demeurant, aucun projet n’existe tendant à mettre en œuvre cette disparition. On observera toutefois que le nouveau droit des sociétés belge a interdit à partir du 1er mai 2019 la création de telles sociétés.