Outil clé pour la réussite de la transition énergétique, la taxation de l’énergie est au cœur de l’actualité et suscite des débats tant nationaux qu’européens.
En ces derniers jours, le Gouvernement a annoncé le report de l’entrée en vigueur de la hausse du tarif de taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE) sur le gazole non routier (GNR).
D’autres reformes sont également envisagées, notamment en ce qui concerne la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), et ce pendant que l’organisation du transfert progressif de ces taxes de la Direction générale des Douanes et Droits indirects (DGDDI) à la Direction générale des Finances publiques (DGFIP) se précise.
Pour sa part, l’exécutif européen tente toujours de résoudre le « casse-tête » concernant la proposition de révision de la Directive sur la taxation de l'énergie, qui est l'une des initiatives majeures du Pacte vert pour l’Europe.
Nous vous proposons ci-dessous un bilan synthétique de mi-année sur les réformes en cours et à venir.
Nouveau report de la hausse de taxe sur le gazole non routier (GNR) au 1er janvier 2023
Après les informations relayées par plusieurs organes de presse, le Gouvernement a confirmé son intention de reporter une nouvelle fois la hausse du tarif de la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE) sur le gazole non routier (GNR) au 1er janvier 2023 (Communiqué de presse n°1045 du 26 mai 2021).
Pour mémoire, l’article 60 de la Loi de finances pour 2020 avait introduit, pour des raisons à la fois économiques et environnementales, la suppression progressive de l’avantage fiscal dont bénéficie le GNR (1er juillet 2020, 1er janvier 2021, et 1er janvier 2022).
En raison de la crise Covid, l’application du dispositif avait déjà été repoussée d’un an par la Loi de finances rectificative du 30 juillet 2020 au 1er juillet 2021.
Le GNR devait ainsi passer de 18,82 €/HL (taux réduit actuel) à 59,40 €/HL (taux plein). L’ampleur de cette hausse entraînait selon le Gouvernement une déstabilisation des secteurs impactés tant par la difficulté d’une répercussion dans les contrats déjà signés non révisables, que par la complexité de mise en œuvre des taux réduit qui demeuraient.
Des tensions constatées dans l’approvisionnement des matières premières
D’après le gouvernement, comme suite aux pressions des acteurs du bâtiment et des travaux publics principalement impactés par la réforme, un nouveau report a été accepté en raison du contexte économique et des « des tensions constatées dans l’approvisionnement des matières premières ». S'agit-il d'un pas en arrière par rapport aux ambitions écologiques affichées par l’exécutif ?
Cette mesure devrait être actée dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2021, qui sera et débattu en séance à l’Assemblée à partir du 11 juin prochain. En attendant l’adoption de la loi, une circulaire douanière - opposable à l’Administration - pourrait être publiée très rapidement.
Par ailleurs, il convient de rappeler qu’à compter du 1er janvier 2024 la gestion de la taxe de consommation sur les produits énergétiques sera confiée à la DGFiP en lieu et place de la DGDDI.
Réforme de la TICFE : vers une tarification « flottante » ?
Le transfert de la gestion de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) de la DGDDI à la DGFiP qui aura lieu à partir du 1er janvier 2022 (tout comme pour la taxe sur le gaz (TICGN) et le charbon (TICC)) ne semble pas être la seule réforme à venir.
Ainsi, dans le cadre de la « réforme » d’EDF et du prix de l’électricité nucléaire, le Gouvernement semble envisager une refonte de la TICFE, pour la transformer en une taxe « flottante ».
Contrairement au taux fixe perçu aujourd'hui sur les factures d’électricité (à hauteur de 22,5 € / MWh), ce mécanisme viendrait compenser financièrement l'écart entre le prix de marché et le prix régulé, via une modulation annuelle du tarif de la TICFE à la hausse ou à la baisse, selon que l'écart soit positif ou négatif.
Pour mémoire, un telle tarification « flottante » avait été instaurée pour la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP) mais avait été rapidement abandonnée (le dispositif a été en vigueur entre le 1er octobre 2000 et le 21 juillet 2002).
Dans ce contexte, il est difficile d’anticiper le sort des nombreux régimes d'exonération et de taxation réduite actuellement en vigueur. Eu égard aussi à la réforme européenne à venir, ces dispositifs sont susceptibles de disparaître ou d’être significativement durcis, notamment pour les opérateurs électro-intensifs qui en bénéficient largement aujourd'hui.
Révision de la Directive 2003/96 sur la taxation des produits énergétiques
Cette ancienne Directive datant de 2003 établit le cadre communautaire de la fiscalité énergétique, à savoir les niveaux minima de taxation (accises) ainsi que les exonérations ou les taux réduits applicables à l’électricité et aux produits gaziers et pétroliers.
L’objectif de la Commission par la révision envisagée est notamment de mettre fin aux distorsions de concurrence au profit des carburants fossiles ainsi qu’aux subventions encore trop nombreuses accordées à ces produits très polluants. Une tarification des futures accises en fonction du contenu « carbone » du produit semble notamment être envisagée.
Cette réforme est à suivre de très près dans la mesure où la Directive qui sera transposée en droit français risque donc de modifier significativement les règles nationales concernant les taxes intérieures de consommation (TICFE, TICPE, TICGN…).
La Commission vient de décaler au mois de juillet (la date du 14 juillet a été annoncée), la présentation de la proposition législative de la nouvelle Directive, qui était attendue pour juin 2021.
Les débats et les actions de lobbying s’annoncent d’ores et déjà nombreux puisque le texte devra être approuvé par le Conseil et le Parlement.
Toutefois, la Commission entend proposer au Parlement européen et au Conseil d’adopter la procédure législative ordinaire à la majorité qualifiée plutôt qu’à l’unanimité, afin de ne pas reproduire les échecs du passé.
Conjointement à la présentation de la Directive sur la taxation de l’énergie, la Commission présentera également onze autres propositions, dans le cadre du paquet législatif « Fit for 55 » (55 % est l’objectif européen pour la réduction d’émissions fixé à l’échéance 2030).
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (dit « CBAM »)
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (dit « CBAM ») prévoit une tarification carbone applicable aux bien importés dans l’Union.
Après avoir longuement débattu sur la forme que devait prendre ce mécanisme (taxe à l’importation, inclusion des importateurs dans le système d’échange de quotas d’émissions (SEQE) existant, SEQE spécifique aux importateurs …) le Parlement a finalement acté qu’elle devrait être basée sur une logique miroir du SEQE prévu au niveau européen.
A un stade préliminaire, il est entendu que les produits concernés dans un premier temps devraient comprendre l'aluminium, l'acier, le ciment, le verre, le papier et les produits chimiques lourds.
Les recettes CBAM feraient partie du Budget européen, en tant que ressource propre de l’Union, au même titre que les droits de douane.
La publication de la proposition est également attendue pour le 14 juillet.
Enfin, les propositions de modification de la Directive SEQE ainsi que de la Directive sur les énergies renouvelables (RED) sont également attendues, alors que la France n’a pas encore intégralement transposé la précédente Directive RED II.
La révolution fiscale dans le domaine de la taxation de l'énergie est donc imminente, mais son impact réel doit encore être affiné…
Carlo Mascioni
KPMG Avocats