A titre liminaire, il convient de rappeler qu’aucune des ordonnances publiées ne vient encadrer, limiter ou interdire le versement de dividendes en 2020 au titre de l’exercice clos en 2019, et que le Ministre de l’Economie et des Finances a indiqué qu’il n’y en aurait pas.

Ce dernier a néanmoins appelé les sociétés à la plus grande modération car « le capital disponible aujourd’hui, doit aller dans l’entreprise, dans l’investissement, pour les salariés, pour la formation » et ajouté : « les actionnaires attendront le retour à meilleure fortune ».

Le Ministre a précisé qu’il userait de tous ses pouvoirs pour entraver les versements de plusieurs manières.

D’abord, il a confirmé, mais avec un peu moins de rigueur, la déclaration de la Ministre du Travail qui avait précisé que l’Etat demanderait aux entreprises dont il est actionnaire de ne pas verser de dividendes, en indiquant seulement qu’il leur demanderait « de faire preuve de la plus grande modération dans le versement des dividendes ».

Ensuite, il a posé un principe : les entreprises qui « font appel à l’aide de l’Etat, [...] ne doivent pas, [...] ne peuvent pas verser de dividendes ».

Comment peut-il y parvenir dans une économie libérale ? De manière indirecte, en usant des pouvoirs dont il dispose.

Ainsi, il a été annoncé :

  • que toute entreprise qui versera des dividendes ne pourra pas bénéficier d’un report de charges fiscales et sociales (c’est en effet Bercy qui décide) et que toute entreprise qui versera des dividendes alors qu’elle aura bénéficié auparavant d’un tel report devra rembourser cette avance de trésorerie ;
  • que toute entreprise qui versera des dividendes ne pourra pas obtenir la garantie de l’Etat pour les emprunts pouvant normalement en bénéficier dans le cadre des mesures liées au covid-19 (c’est le Ministre de l’économie et des finances qui l’accorde) ; il y aura donc certainement un engagement de non versement de dividendes imposé aux entreprises qui solliciteront cette garantie

S’agira-t-il d’un pouvoir discrétionnaire ? L’autorité compétente aura sûrement un pouvoir d’appréciation en opportunité très large.

En revanche, il n’a pas posé de règle comparable pour le chômage partiel, indiquant que « ce n’est pas un problème de trésorerie, c’est une question d’emploi ».

Quelles conséquences pour les situations en cours ?

1. Sociétés cotées qui ont annoncé dans la convocation à l’AG un projet de résolution en faveur du versement d’un dividende

Si une société cotée renonce à proposer le vote d’un dividende après l’avoir prévu dans les projets de résolution communiqués avec la convocation à l’assemblée, il s’agit d’une information privilégiée qu’il faut communiquer immédiatement au marché (« information à caractère précis [...] qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours » du titre : art. 7 du Règlement MAR), ce que confirme l’AMF : « les sociétés qui modifieraient leur proposition de dividende, sa date ou ses modalités de paiement, doivent le communiquer dès que possible » (Communiqué du 27 mars 2020).

2. Sociétés dont l’AG a déjà décidé le principe d’un dividende non encore versé

Si cette société demande un report de charges ou la garantie de l’Etat pour un emprunt, Bercy ou le Ministre pourront le refuser (pouvoir discrétionnaire ?), mais la société sera prise entre deux feux : l’autorité publique d’un côté, les actionnaires de l’autre, car une fois la décision collective prise, celle-ci crée un droit au profit de l’actionnaire et contraint la société à s’exécuter dans les neuf mois de la clôture de l’exercice (délai qui n’a pas été reporté par une ordonnance).

La décision de distribution de dividendes est déjà prise, les actionnaires ont donc désormais un droit de créance et sont donc en droit d’exiger qu’ils soient versés dans le délai légal.

Il reste que ce droit de créance peut exceptionnellement être supprimé en raison d’une d’indisponibilité résultant de circonstances imprévisibles et indépendantes de la volonté de la société, mais ce ne serait manifestement pas le cas.

On ne peut pas non plus annuler le dividende par une AG ultérieure (CA Paris, 2 mai 1935).

3. Acompte sur dividendes

Pour les acomptes qui seraient décidés maintenant, les deux mesures édictées par le Ministre s’appliqueront certainement.

Mais pour ceux décidés avant ? Il ne s’agira pas d’un contournement de la position ministérielle, du moins si la décision était réellement antérieure.

Cependant, Bercy pourrait être tenté d’empêcher le versement de ceux qui auraient déjà été décidés mais n’auraient pas encore été versés.

4. Distribution de dividendes au sein des groupes

Le Ministre de l’économie et des finances a déclaré le 27 mars dernier que les entreprises qui « font appel à l’aide de l’Etat [...] ne peuvent pas verser de dividendes » (voir le site web des Echos du 27 mars 2020 et le journal Les Echos du 30 mars). Les aides visées sont le report des charges sociales et fiscales et la garantie de l’Etat pour les emprunts bancaires, en période d’urgence sanitaire.

Est-ce que cela s’applique aux distributions intra-groupes ?

La logique voudrait que les distributions intra-groupes ne soient pas concernées parce qu’elles ne portent pas atteinte à l’objectif déclaré du Ministre : « Le capital disponible aujourd’hui doit aller dans l’entreprise, dans l’investissement, pour les salariés, pour la formation. Les actionnaires attendront le retour de meilleurs fortune » (cf. les Echos ci-dessus).

Néanmoins, en l’absence d’un texte pouvant servir de point d’appui légal (il n’y en aura pas selon le Ministre), la position relève du pouvoir d’appréciation des services de Bercy (report de charges) ou directement du Ministre garantie de l’Etat pour les prêts).


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