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La responsabilité pour insuffisance d’actif naît d’un texte bien connu, l’Art L 651-2 du Code de commerce.

Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.

Même si ce type d’actions ne concerne qu’un nombre limité de procédures de liquidation judiciaire, il retient l’attention en raison des conséquences qui peuvent découler pour les entrepreneurs de leur mise en jeu. Une décision de 2017 prononce une condamnation à l’encontre d’une personne physique (certes tenue solidairement avec deux personnes morales) pour un montant de 6 530 894 euros !

Cette attention est d’abord sollicitée par une jurisprudence très riche qui apporte de manière continue des précisions. La Cour de cassation a rendu ces derniers mois plus d’une vingtaine d’arrêts sur le sujet si l’on s’en tient à ceux publiés dans les revues juridiques.. Les précisions apportées depuis le début de la crise sanitaire concernent l’identité des dirigeants susceptibles d’être condamnés, la notion de faute et plus précisément la notion de faute de négligence, le lien de causalité entre faute et préjudice etc....Une des questions les plus controversées est celle de savoir si la déclaration tardive de la cessation des paiements est une faute justifiant de la mise en œuvre de la responsabilité. Plusieurs arrêts vont dans ce sens. Mais une décision du 3 février 2021 a semé le trouble en décidant que le défaut de déclaration de la cessation des paiements pouvait ne pas être une cause de responsabilité alors même que le dirigeant connaissait cet état de cessation des paiements. Si cette décision est indubitablement favorable au dirigeant, elle accrédite l’idée d’un aléa judiciaire qui ne permet guère d’anticiper les conséquences de ses actes.

Le législateur ensuite est intervenu au début de l’été. Il est venu modifier le code de commerce s’agissant des associations. La loi du 1er juillet 2021 en faveur de l’engagement associatif a introduit deux nouveautés au profit des dirigeants d’associations et qui sont de nature à encourager cet engagement associatif.

La première rapproche la condition des dirigeants d’associations de celle des dirigeants de sociétés dans un souci d’allègement . La version antérieure du texte de l’article L 652-1, issue de la loi Sapin de 2016, disposait qu’ « ..en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée ». La loi nouvelle N° 19-20.004 évoque pour sa part la « gestion de la personne morale ». Les dirigeants associatifs bénéficient donc désormais de l’exonération de responsabilité pour insuffisance d’actif au cas de simple négligence. A vrai dire, la situation antérieure était passablement injuste et l’on comprenait assez mal la différence de traitement entre les uns et les autres.

La seconde au contraire les met dans une situation plus favorable que celle des dirigeants de sociétés : Lorsque la liquidation judiciaire concerne une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ou, le cas échéant, par le code civil applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et non assujettie à l'impôt sur les sociétés dans les conditions prévues au 1 bis de l'article 206 du code général des impôts, le tribunal apprécie l'existence d'une faute de gestion au regard de la qualité de bénévole du dirigeant.

Doit être prise en compte leur qualité de bénévole pour apprécier l’existence d’une faute de gestion. La solution contraire a été affirmée par la Cour de cassation pour les dirigeants de sociétés, et encore dans un arrêt récent. On notera que l’association ne doit toutefois pas être soumise à l’IS.

Ces deux innovations se sont appliquées aux procédures en cours à partir du 3 juillet

Enfin, une mission parlementaire vient de déposer un rapport qui propose des pistes de réforme intéressantes. A été publié en juillet le rapport d’information préparé sous la présidence de Monsieur le député Romain Grau4 et qui dénonce diverses limites du régime actuel. Certaines critiques sont classiques5. Ainsi, le constat que l’action en comblement de l’insuffisance d’actif n’obéit pas aux canons de la responsabilité civile. Dans sa rédaction actuelle, le texte de l’article L 651-2 autorise le juge à prononcer des condamnations sans que la gravité de la faute commise soit corrélée au montant de l’insuffisance. Il n’y a pas de principe de proportionnalité entre le préjudice causé et la sanction prononcée. Si l’on admet qu’il y a dans la responsabilité civile à la fois une finalité indemnitaire et une finalité punitive, la seconde tend ici parfois à l’emporter sur la seconde.

Est également reprochée l’absence de mécanisme de prescription pour les fautes commises : des fautes relativement anciennes peuvent être prises en compte pour condamner à combler l’insuffisance d’actif. Est donc proposée l’instauration d’un principe de prescription triennale.

Est reprochée encore l’absence de définition légale de la faute de gestion, ce qui porte atteinte à la sécurité juridique. Sur ce dernier point, il est probable cependant qu’un accord sera difficile à trouver. La faute de gestion peut-elle être définie par le législateur ? Elle a plus vocation à constituer une notion-cadre qu’une notion dont le contenu serait étroitement déterminé.

Le rapport conclut « qu’il s’agit là d’évolutions nécessaires pour poser les fondements d’une nouvelle politique publique visant à rendre les procédures préventives et collectives plus attractives et à garantir un véritable droit au rebond à l’entrepreneur »(Rapport, p 187).

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