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Les actifs numériques, ou crypto-actifs, sont par essence sans limite car leur expression, jetons ou tokens, n’ont pas de matérialité, relèvent de la création de l’esprit et peuvent eux-mêmes représenter toute sorte d’actifs, matériels ou immatériels. Suivant les cas, le jeton peut incorporer l’actif ounon, l’actif jouant alors seulement le rôle de sous-jacent. Il existe, par exemple, des jetons qui, conférant les mêmes droits que des valeurs mobilières, sont eux-mêmes assimilés à ces valeurs mobilières et endossent le régime des titres financiers1, même si la technique d’émission et de circulation ne relève pas d’un enregistrement en compte mais de la technologie désintermédiée de la blockchain. Par principe les jetons sont en effet émis et circulent via l’inscription dans un registre électronique appelé « dispositif d’enregistrement électronique partagé » (DEEP), et le plus souvent leur acquisition se réalise en crypto-monnaie, le Bitcoin et l’Ether en particulier.

La vague des NFT

Les jetons sont souvent émis en nombre, tels les jetons constitutifs de droits dans une société (security tokens) ou les jetons d’usage conférant des droits variés (utility tokens). Ils sont alors des biens numériques fongibles, donc interchangeables, et relèvent des choses de genre. Cependant, on a vu apparaître le jeton unique, le « non fungible token », constitutif ou représentatif d’un actif unique, qui peut être un actif corporel ou incorporel, voire une pure création de l’esprit qui peut elle-même être immatérielle et purement numérique. Le jeton non fongible n’est en ce cas que la clé donnant un accès exclusif à l’actif incorporé ou sous-jacent, quel qu’il soit, dont il garantit l’authenticité. Il repose sur un code unique, dont les spécialistes prétendent qu’il est infalsifiable, indivisible et intraçable, et le titulaire détient un objet numérique de manière réputée incontestable, transparente et publique. Chaque transaction est elle-même publique et vérifiable, ce qui assure à l’auteur de l’œuvre de percevoir le droit de suite.

Le jeton non-fongible est un actif numérique unique représentant ou donnant un droit d’accès à un élément immatériel unique créé spécialement. Tel est le cas du jeton donnant droit à une carte numérique à l’effigie d’un joueur de basket ou de football renommé, du jeton donnant accès à la représentation numérisée du bras d’une joueuse de tennis, du jeton conférant la propriété exclusive d’une œuvre d’art immatérielle déjà existante ou créée à cette occasion, pour prendre des exemples connus. Le sous-jacent unique et dématérialisé peut en effet être de tout type, par exemple une carte de jeu, une carte représentant un sportif connu, une œuvre d’art, une chanson, une vidéo (un basketteur vend très chers les jetons permettant de visionner ses paniers réussis...).

Il y a un véritable engouement pour ces jetons (on parle de deux milliards de dollars sur les quatre premiers mois de l’année aux Etats-Unis), tant du côté des émetteurs, qui y trouvent un financement, que des souscripteurs, qui se font plaisir ou spéculent sur l’avenir de la valeur du jeton, ce qui créé tout un marché secondaire de la revente et une inflation des prix relevant de l’exubérance irrationnelle. Ainsi, le jeton donnant un accès exclusif au collage numérique d’images elles-mêmes numériques de l’artiste américain Beeple s’est-il vendu 58,5 millions d’euros et le jeton permettant l’accès exclusif au premier tweet du fondateur de Twitter s’est-il échangé pour 2,9 millions de dollars. Les domaines de prédilection actuels sont, dans le domaine numérique, l’art, les jeux et plus largement le monde virtuel.

Ces NFT ont donc une valeur dépendante de celle de l’actif incorporé ou sous-jacent, et certains actifs n’ont parfois d’originalité et de qualité artistique que celles qu’on veut bien leur accorder car leur prix est totalement indexé sur la loi de l’offre et de la demande, ce qui rend l’ensemble très volatile et particulièrement dangereux pour des souscripteurs profanes. Mais il en va ainsi de plus en plus souvent du marché de l’art où, aujourd’hui, même une œuvre qui s’autodétruit le jour de son acquisition, voire n’existe que dans la tête de l’artiste, peut atteindre des sommets. Ce phénomène est aggravé pour les NFT, dont la valeur est encore souvent dictée par la spéculation sur la crypto-monnaie de paiement.


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Index

1 En ce cas, le jeton ne se distingue pas du sous-jacent, il est la valeur mobilière.


AUTEURS

Denis Guinaudeau
KPMG Avocats

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