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Qu’est-ce qu’une « fraction d’action » ?

Comme le vocabulaire de la pratique financière peut être approximatif juridiquement, essayons de préciser ce que cela peut être, du moins en fonction des informations dont on peut disposer actuellement. Il arrive que l’expression soit utilisée pour ce qui n’est qu’un plan de financement progressif d’acquisition d’actions, leur propriété étant transférée au fur et à mesure que le prix en est intégralement payé. Cette figure n’a rien d’original et n’est pas en cause ici, même si l’appellation « acquisition de fractions d’actions » est totalement inappropriée.

Selon ce que l’on comprend, la prétendue offre de « fractions » d’actions ne se réalise pas par l’émission d’actions correspondantes par un intermédiaire, qui serait lui-même un émetteur ou un OPC, mais par l’engagement contractuel d’un intermédiaire de reverser une partie propositionnelle des dividendes à venir en contrepartie de la remise d’une somme calculée à partir du cours du titre. Une « fraction d’action », du moins telle que la pratique peut en être décelée actuellement, ne correspond pas à l’émission d’un titre nouveau, d’un titre miroir et les prétendues « fractions » d’actions ne sont pas des actions ni, plus largement, des valeurs mobilières, ne sont pas émises par l’émetteur et leurs titulaires n’ont aucun droit contre celui-ci.

Il ne s’agit pas d’un fractionnement d’action tel que la loi du 3 janvier 1983 l’avait organisé, c’est-à-dire un éclatement de l’action en deux titres distincts, d’un côté un certificat d’investissement représentatif des droits financiers et de l’autre un certificat de vote représentatif du droit de vote, dont l’émission a été supprimée pour l’avenir par l’ordonnance du 24 juin 2004 (n° 2004-604). Ce n’est pas non plus un démembrement de propriété entre usufruit et nue-propriété, ni une division des actions ("split"), qui revient à multiplier les titres en réduisant d’autant leur valeur nominale, ni une coupure d’action, ni un rompu, ni une décimale de part ou actions d’OPCVM.

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Nature juridique ?

En principe, l’action est indivisible (article L. 228-5 C.com.) ; on ne peut donc en détacher ni l’un des droits financiers ni l’un des droits politiques. Cependant, cette interdiction de principe ne s’applique que dans les relations de l’investisseur avec l’émetteur (texte précité) et cela ne prohibe pas les accords contractuels entre l’actionnaire et un tiers, qui n’engagent pas la société. Or, le « fractionnement », tel qu’il se présente actuellement, est une opération contractuelle qui met en relation un intermédiaire et un investisseur. La « vente » d’une « fraction d’action » semble n’être que la promesse de reverser une part de dividendes en contrepartie du versement d’une somme calculée proportionnellement au cours de l’action ; la somme remise au promettant est le prix de la prestation promise par celui-ci ; la somme versée périodiquement par celui-ci au n’est pas juridiquement du dividende mais une simple contre-prestation pécuniaire. Il s’agit d’un contrat unilatéral, à titre onéreux, consensuel, aléatoire et à exécution successive, de gré à gré ou d’adhésion au sens civiliste, mais de gré à gré au sens du droit financier.

Le « fractionnement d’actions », tel qu’il se présente actuellement, ne crée pas de nouvelles actions et ne confère pas de droits contre l’émetteur et ne relève pas non plus d’un investissement collectif via un OPC. La « fraction » n’est pas une valeur mobilière, ni plus largement un titre financier, mais un contrat conférant à l’investisseur un droit pécuniaire contre le vendeur, droit pécuniaire assis sur le droit aux dividendes attaché à l’action correspondante.

Mais, si ce n’est pas un titre financier, pourrait-il s’agir d’un contrat financier, la valeur du contrat et les droits qui y sont attachés étant dépendants d’un sous-jacent ? C’est incertain et à vérifier cas par cas, même si la notion de contrat financier est extensive. Si telle devait être la qualification, l’émetteur du contrat réaliserait un service d’investissement et entrerait dans la catégorie des prestataires de services d’investissement, du moins s’il multipliait les contrats ; en outre, l’opération serait soumise à la réglementation EMIR.

A défaut de contrat financier, on peut voir dans ce contrat une convention sui generis, peut-être une convention de croupier, convention par laquelle un actionnaire s’engage à reverser à un tiers tout ou partie des dividendes qu’il percevra.

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Tokens ?

Une possibilité d’objectiver une « fraction d’action » est néanmoins envisageable en la « tokenisant », mais à condition que le jeton (token) soit émis et circule via un dispositif électronique d’enregistrement partagé (DEEP) de type Blockchain. Il s’agit d’un actif numérique selon la loi Pacte, qui suppose que l’intermédiaire se constitue en prestataire de service d’actifs numériques, prestataire qui pourra se faire agréer par l’AMF sans que cela soit obligatoire. Son émission réaliserait un ICO.

Comment revendre les contrats de « fraction d’actions » ?

La « revente » d’une « fraction d’action » n’est pas, juridiquement, la cession d’un bien, sauf s’il s’agit d’un jeton (token), mais une cession de contrat. S’il n’y a pas de marché secondaire organisé par l’intermédiaire, l’investisseur doit en faire son affaire. Si l’intermédiaire a pris soin d’organiser un marché secondaire, il pourrait s’agir d’une plateforme, si la « fraction » est organisée sous forme de contrat financier ou sous celle de jeton (token), le gestionnaire de la plateforme devant alors se faire agréer, obligatoirement s’il s’agit de contrats financiers, facultativement s’il s’agit de jetons.

Dangers de l’investissement en « fractions d’actions »

Le premier risque est celui de l’évolution défavorable de la valeur sous-jacente et de sa rentabilité, mais c’est le risque inhérent à tout investissement direct ou indirect en instruments financiers. C’est surtout le risque de contrepartie qui est le plus grand, spécialement si l’intermédiaire n’est pas un intermédiaire agréé, le danger étant qu’il ne constitue pas un portefeuille d’actions suffisant et soit en défaut le jour venu, d’autant qu’il n’y a pas d’obligation d’avoir un dépositaire réglementé et que l’investisseur ne bénéficiera donc ni de la garantie d’un dépositaire agréé ni du Fonds de garantie.