Le « Say on Climate »
Le mouvement appelé « Say on climate » consiste globalement à exiger que les sociétés cotées prennent en compte, de manière effective, l’incidence de leur activité sur l’évolution du climat. Imaginé sur le modèle du « Say on pay », il tend en général à leur imposer d’établir un rapport annuel et de le soumettre, au moins à titre consultatif, à l’assemblée de fin d’exercice. Ce mouvement, né aux États-Unis, se répand en Europe et maintenant en France. Son ampleur et son influence ne cessent de croître, au point que de plus en plus de grandes sociétés s’y lancent volontairement, sans attendre que des actionnaires actifs ou activistes ne le leur imposent.
Au 31 mars 2021, une étude du cabinet de conseil de vote GeorgeSon, implanté dans de nombreux pays, a établi une liste déjà fournie des sociétés cotées qui proposent spontanément des résolutions en ce sens ; en France, la récente assemblée générale de Vinci a voté la résolution présentée par la direction à 98,14 % et deux autres sociétés, Atos et Total, ont également formulé de telles propositions.
Opportunité ?
Cette revendication suscite évidemment de nombreuses questions.
La première est certainement une question d’opportunité : est-il réaliste d’imposer une telle exigence annuelle aux grandes entreprises alors qu’elles ont déjà de nombreuses obligations relativement à l’incidence de leur activité sur la situation sociale, sur les questions sociétales et sur l’environnement ?
Aux États-Unis, Wall Street n’en doute pas et a déjà lancé le débat sur la transparence de l’information en matière de climat, mouvement poussé par un grand nombre d’investisseurs, et le gendarme boursier américain, la SEC, a déclaré qu’ « il est temps de passer de la question du « si » à celle plus difficile du « comment » obtenir des informations sur le climat ».
Il est temps de passer de la question du « si » à celle plus difficile du « comment » obtenir des informations sur le climat.
Difficultés de mise en œuvre
Une autre question est relative au caractère opérationnel de cette obligation si elle venait à être imposée : il n’existe pas encore de référentiel suffisamment élaboré permettant aux sociétés de déterminer avec une certaine finesse et surtout comparabilité l’impact de leur activité sur l’évolution du climat, ce qui rend leur tâche difficile, en soi pour établir un tel rapport, mais également pour procéder à des parallèles année après année.
Cela vaut aussi pour les investisseurs, qui manquent de références leur permettant de procéder à des comparaisons société par société.
Aussi, en Europe, un rapport a-t-il été adopté par le Parlement sur la refonte de la directive sur le reporting extra–financier pour mettre en place des obligations claires et uniformes. La future directive devrait s’étendre à près de 50.000 entreprises au lieu de 6.000 actuellement.
Question juridique
Enfin, sans être exhaustif, il faut évoquer une question d’ordre juridique en droit français : comment imposer une telle obligation aux sociétés ?
En effet, la question de l’impact de l’activité sur l’évolution du climat ne relève pas des missions déterminées des assemblées d’actionnaires, mais de la gestion générale de la société, donc de la direction générale au premier chef, et du conseil en surplomb. Or, la répartition des pouvoirs entre les différents organes d’une société anonyme est imposée par la loi d’une manière impérative, et il est de jurisprudence ancienne que les statuts ne peuvent pas y porter atteinte.
De plus, depuis la loi Pacte, le Code de commerce dispose très clairement que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en compte la considération des enjeux sociaux et environnementaux de son activité » (article 1833, alinéa 2, du Code civil), ce qui renforce l’idée qu’il s’agit d’une prérogative réservée aux organes de direction et non à l’assemblée des actionnaires (pour les sociétés anonymes, voir l’article L.225-35 alinéa 1er). C’est l’analyse de l’Association nationale des sociétés par actions (ANSA, doc, n°21-003 du 3 mars 2020).
Mais il reste qu’il est possible d’inscrire un « point » à l’ordre du jour, sous réserve que le débat ne soit pas conclu par un vote, ce qui semble pouvoir porter sur toute question, même au-delà du domaine réservé aux assemblées.
Quoi qu’il en soit, on peut craindre ou espérer, selon ce que chacun pensera, que le vent de l’histoire est favorable au « Say on Climate » tant la préoccupation du climat est prégnante. Au surplus, le droit – et son application - n’est-t-il pas fait pour accompagner les évolutions nécessaires, voire pour les anticiper ? Le précédent du « Say on Pay » est certainement à méditer.
Vanessa de Pazzis
KPMG Avocats