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Il existe depuis la grande loi du 24 juillet 1966 deux grands modes de gouvernance dans les sociétés anonymes :

  • la formule moniste avec président-directeur-général,
  • la formule duale avec directoire et conseil de surveillance.

Depuis la loi NRE de 2001, la formule moniste connaît une variante avec la possibilité de dissocier les fonctions de Président et de directeur général. Le code de commerce qui réglemente chacune de ces formes n’accorde à aucune de ces trois possibilités une quelconque prééminence.

« La loi ne privilégie aucune formule et donne compétence au conseil d’administration pour choisir entre les deux modalités d’exercice de la direction générale. Il appartient au conseil de se prononcer et d’expliquer sa décision » (art 3-2).

Quel usage les sociétés ont-elles fait de cette liberté ?

L’arbitrage entre formule moniste et structure duale montre l’échec relatif de cette dernière : à peine trois sociétés ont choisi de se doter d’un directoire et d’un conseil de surveillance. Promu par la loi du 24 juillet 1966, inspiré de l’expérience allemande, ce type d’organisation du pouvoir avait beaucoup pour plaire à ceux qui, quelques années plus tard, seraient les tenants de la corporate governance. Il n’en a manifestement rien été, le discours sur la gouvernance étant plus inspiré par des modèles sous-jacents anglais ou américains que germaniques. Pour autant, on aurait tort de considérer que ce type d’organisation sociétaire est sans avenir : on entend régulièrement des plaidoyers en sa faveur1. Le conseil de surveillance constituerait un double bouclier : contre les excès de pouvoir du management, contre les empiètements éventuels de certains actionnaires.

S’agissant maintenant des options au sein de la formule moniste, un chiffre retient l’attention : les sociétés ayant choisi la formule de la présidence dissociée sont aujourd’hui plus nombreuses que celles demeurées fidèles à la fonction de PDG. 18 sociétés du CAC 40 connaissent la dissociation des fonctions (2 autres cas de dissociation sont annoncés comme imminents), 17 conservent un PDG2. Dans la période actuelle plusieurs anciens PDG s’apprêtent à perdre la direction générale pour conserver toutefois la présidence du conseil d’administration. Cet état de fait a incité la presse économique à annoncer un véritable basculement. Les faits donneraient ainsi raison à la Chancellerie qui, au début des années 2000, voulait faire de la dissociation le mode d’organisation de droit commun.

Quel usage les sociétés ont-elles fait de cette liberté ?

Peut-on dire comme on le voit souvent écrit que la dissociation est devenue la norme ?

Il n’est pas sûr que la dissociation soit véritablement devenue la norme pour les sociétés cotées au CAC 40 comme on le voit parfois écrit3. Il convient en effet de relativiser l’importance de ce basculement, d’abord, compte tenu du fait que la loi permet par simple décision du conseil d’administration le passage d’une forme à l’autre4 : la dissociation peut être un état provisoire destiné à favoriser une transition managériale5, et non une option définitive dans l’organisation. L’expérience montre qu’elle n’a rien d’irréversible.

Ensuite, il faut également observer que, s’agissant d’établissements bancaires et financiers (BNP, Société Générale, Crédit Agricole), la dissociation est imposée par le régulateur (règle des 4 yeux) et ne résulte donc pas d’un choix délibéré. Reste que la tendance à la dissociation est un mouvement indiscutable. On en retrouve la manifestation au SBF 120 où le basculement est plus sensible encore.

Quelles sont les causes de cette évolution vers la dissociation des fonctions ?

On évoque volontiers le droit comparé, la généralité de la formule en Angleterre notamment (distinction entre chairman et chief executive officer) qui aurait servi de modèle pour la réflexion sur la corporate governance. Des lieux de réflexion sur la gouvernance tels l’IFA en France sont très favorables à la dissociation des fonctions. Il est probable cependant que la raison majeure réside dans la pression exercée tant par les investisseurs internationaux que par les proxys et plus particulièrement par ISS qui vote toujours contre la présidence non-dissociée (Continental Europe Proxy voting Guidelines for 2021, p 9). Les investisseurs institutionnels sont également favorables à cette option.

Les raisons qui font que la formule séduit investisseurs et proxys sont aujourd’hui bien connues. La séparation des fonctions de direction et de contrôle est de de nature à éviter les conflits d’intérêts ; il est par ailleurs de plus en plus difficile d’assumer en même temps deux fonctions devenues chacune très absorbantes. Le Président doit prendre en compte la place croissante de la gouvernance extra-financière dont les composantes ne cessent de se diversifier.

A côté de ces arguments très largement partagés, on reconnaît volontiers à la dissociation trois autres vertus : la possibilité pour le dirigeant d’échapper à l’isolement en disposant d’une aide et d’un challenge non compétitif, le bénéfice pour lui d’une aptitude plus grande à faire face à la pression des activistes. Enfin, la dissociation donne une indépendance plus grande dans le traitement de la question de la succession6.

Enfin, quoique l’argument soit très antérieur mais dans la logique des travaux préparatoires de la loi PACTE, cette structure permet de distinguer la société de capitaux, représentée par le conseil d’administration et son président, de l’entreprise conduite par son directeur général7.

Quelles sont les causes de cette évolution vers la dissociation des fonctions ?

Faut-il pour autant considérer que la fonction de PDG a vocation à disparaître ?

Cette disparition plus ou moins prochaine est parfois annoncée. Rien ne permet cependant d’exclure à un horizon indéterminé un retour de balancier. Il ne faut pas oublier que la dissociation était la règle avant la loi du 16 novembre 1940 qui a créé le PDG : on reprochait à cette dissociation un éparpillement du pouvoir. Mais le contexte était différent et la dissociation de l’époque n’était pas véritablement comparable à celle instaurée par la loi NRE. Les arguments traditionnels en faveur de l’unicité des fonctions n’ont rien perdu de leur pertinence : l’agilité, la rapidité et la fluidité dans la prise de décision ; l'absence de conflit possible entre le président et le directeur général : pour être rare, ce type de conflit a pu être relevé dans les sociétés connaissant la dissociation à une époque récente ; la possibilité pour les actionnaires de révoquer directement le PDG et donc de procéder à un changement complet de l’équipe animatrice. Rappelons ici que le PDG peut être révoqué sur simple incident de séance et sans qu’un motif soit nécessaire. Le directeur général, lui, est révocable par le conseil, et pour juste motif. Enfin, comment passer sous silence la fascination que le titre de PDG exerce sur les candidats à la direction de l’entreprise ?

Les chiffres sont plus nets au SBF 120 : déjà en 2019, 59 % des sociétés relevant de cet indice avaient adopté la dissociation.

Faut-il pour autant considérer que la fonction de PDG a vocation à disparaître ?

La concentration du pouvoir reprochée au PDG peut-elle faire l’objet d’aménagements ?

Oui. La pratique a su imaginer des correctifs propres à rendre moins pertinentes les accusations portées contre le système. Le reproche d’une trop grande concentration du pouvoir qui est faite à la formule peut être compensé par des éléments constituant des contrepouvoirs : une augmentation du nombre des administrateurs, une proportion plus élevée d’administrateurs indépendants, l’institution d’un administrateur référent (art 3.2 code Afep-Medef) avec la qualité de vice-président, l’existence d’un directeur général délégué, la généralisation des « executive sessions », etc...

Lorsqu’existent des contrepouvoirs, certaines agences de conseil en vote ne sont pas défavorables à la nomination ou au renouvellement d’un PDG : Proxinvest notamment évoque les critères ci-dessus dans sa politique de vote pour 2021 (p 17-18). Glass-Lewis n’est pas hostile à la formule, dans la logique du Code Afep-Medef (Guidelines 2021, p 7). L’AFG (Association Française de la Gestion Financière) insiste beaucoup sur l’importance du rôle à donner à l’administrateur référent (Recommandations sur le gouvernement d’entreprise 2021, 2.1.3).


1 Par exemple, « Construire un vrai capitalisme responsable en France », Les Echos, 14 avril 2021

2 Olivier Pinaud, l’AGEFI Quotidien, 01/03/2021

3 Les chiffres sont plus nets au SBF 120 : déjà en 2019, 59 % des sociétés relevant de cet indice avaient adopté la dissociation

4 Art L 225-51-1 du Code de commerce

5 « Le PDG, une espèce de plus en plus contestée », Le Monde du 3 mars 2021, Economie et Entreprise, p 14

6 IFA, « Présidents de conseil : sur le pont ! », Janvier 2018

7 Ph.Bissara, « Le président "dissocié" », ANSA 2001, n° 3083


AUTEURS

Vanessa de Pazzis
KPMG Avocats

EXPERTISE CONCERNÉE