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17 décembre 2021     |    5 min de lecture

ETHICAL ECONOMY

Jacques Attali

Président de la Fondation Positive Planet

L’économie positive est un combat de longue date pour Jacques Attali : il l’a initié dès 1998 avec la création de la fondation Positive Planet, qui agit pour garantir une société dans laquelle l’économie est au service de l’humain et des générations futures. Depuis 2018, avec l’Institut de l’économie positive, il promeut l’indice de positivité, qui propose une approche globale de la performance, autour de 35 indicateurs. (Voir article Économie positive et à impact : le changement de paradigme s’impose).

Vous militez en faveur de l’économie positive depuis longtemps. Comment avez-vous vu les choses évoluer ces dernières années sur ces sujets ?

La principale évolution, c’est que le concept est aujourd’hui devenu une évidence : l'économie positive, c'est l'économie au service des générations futures. Il peut y avoir d’autres définitions, mais c’est celle-là que nous avons retenue. 

Je parle maintenant de société positive plutôt que d’économie positive. Le caractère positif ne se limite pas seulement à l'économie, il implique toutes les dimensions de la société. En effet, une société positive, c'est une société durable certes écologiquement, mais aussi socialement, éthiquement, économiquement et démocratiquement.

Enfin, je préfère employer l’expression « économie de la vie » pour regrouper tous les secteurs économiques utiles à une société positive.

Qu’aimeriez-vous voir changer dans les années à venir, et qui permettrait de concrétiser cette vision ?

Mon souhait serait d’assister à une prise de conscience collective : pour qu’il y ait une société positive, il faut qu’on ait une économie de la vie avec l'ensemble des secteurs utiles à la vie : la santé, l'éducation, la recherche, le digital, les énergies durables, l'air, l'alimentation, l'agriculture, le logement durable, la finance durable, les assurances durables, la sécurité, la démocratie, la recherche, la culture, etc. Or, ces secteurs ne représentent aujourd'hui que 40% du PIB.

À l’inverse, l'économie de la mort - c'est-à-dire tout ce qui est lié de près ou de loin aux fossiles - représente 60% du PIB. Cette économie de la mort regroupe les ressources fossiles et tout ce qui leur est associé : l’automobile, l'aviation, les plastiques, l'emballage, les textiles, etc. Elle intègre aussi tout ce qui est lié aux autres formes d'économie de la mort, comme le sucre artificiel, l'agriculture malsaine, etc. Pour moi, le grand changement nécessaire, c'est donc de faire bouger le plus vite possible le paquebot économique vers une part beaucoup importante de l’économie de la vie. Celle-ci devrait représenter 70% du PIB.

Avez-vous le sentiment que la prise en compte des générations futures progresse de manière significative dans les stratégies et les décisions des gouvernements, des entreprises et des territoires ?

Oui, au niveau des territoires, parce que les élus locaux ont du temps devant eux. Ils peuvent penser davantage en termes de temps long et construire des infrastructures. Mais dans les aspects politiques, à proprement dit, non, au contraire : on a des prises de décisions de plus en plus immédiates, on navigue à vue. Le seul secteur où il y a un peu de long terme, c’est l’éducation, qui est par nature un ministère du temps long.

Du côté des entreprises, il y a encore trop de « positive washing ». Il y a cependant des entreprises sérieuses sur ces sujets, qui ont défini des plans à long terme afin d’obtenir des progrès significatifs. En fait, aucune entreprise, aucun pays, aucune ville, ne peut être positif sans un plan à dix ans. 

Justement, pourriez-vous citer un exemple concret d'entreprise qui a intégré la prise en compte du long terme dans sa stratégie ?

 Je pense que Veolia représente un très bon exemple d’un groupe qui a compris la nécessité de penser loin en termes de métiers, d'éthique, de stratégie durable et de vision. Pas seulement parce qu’il s’agit de ses métiers, mais parce que c'est sa conception. Mais il y a beaucoup d'autres exemples !

Avez-vous des pistes de réflexion à donner aux entreprises pour résoudre ce que vous avez appelé “la tragédie des horizons” ? Comment peut-on parvenir à relier court terme et long terme ?

Il faut commencer par faire un plan 2030, en associant les jeunes générations à la définition de l’entreprise, ce qui permet d’ailleurs de résoudre la question de la rétention des talents. Une entreprise ne gardera ses talents que si elle est capable de faire un plan 2030 qui a du sens - et pas seulement un plan pour améliorer d’un millimètre sa marge et sa rentabilité. 

Vous militez également pour la mesure de la positivité, à travers un indicateur que vous avez créé, l’indice de la positivité, qui propose une approche globale de la performance, autour de 5 dimensions (l’empreinte environnementale, les conditions de travail, le partage de la valeur, la formation et la recherche, la vision stratégique de long terme) : en quoi cette mesure est-elle cruciale ?

La mesure est extrêmement importante et c’est pour cela que nous avons développé cet indice de positivité. Il ne sert à rien de parler de quelque chose si on ne l’évalue pas. Le meilleur juge de paix contre le positive washing, c'est la mesure.

C’est pourquoi, avec l’institut de l’économie positive, nous mesurons la positivité dans toutes les entreprises du CAC 40, et plus généralement des territoires, des pays, etc. C'est la meilleure façon de comprendre ce qui va bien, ce qui ne va pas et ce qu'il faut changer. Alors certes, il existe un très grand nombre de tentatives d’évaluer le bonheur ou le bien-être, mais l’indice de positivité me paraît le plus complet et le plus adapté.

Quelles sont les difficultés que pose la mesure de cet indice dans les entreprises et dans les territoires ?

La principale difficulté, comme toujours, tient à la prise en compte de cet indice par les acteurs. Car c’est très bien d'avoir un indice, c'est très bien de mesurer, mais si personne ne le regarde, il ne sert à rien ! Ce qui est important, c'est donc qu'il soit pris en compte par les financiers, par exemple lorsqu’ils cherchent à financer une entreprise, et par les clients, quand ils choisissent avec quelle entreprise ils vont travailler. La positivité doit devenir un facteur attractif de talents et de ressources.

À retenir
L’intelligence artificielle et la data sont devenues des outils performant pour une meilleure prédiction des opérations ainsi qu’une visibilité améliorée sur le futur. Anticipation des ventes, lutte contre le gaspillage ou la « black chain », l’optimisation des opérations de supply chain génère des gains environnementaux en plus des bénéfices économiques.

Quel rôle les technologies peuvent-elles jouer dans l’avènement d’une économie positive ?

Les technologies sont essentielles. La recherche, le digital, les technologies nouvelles (les neurosciences, les nanotechnologies, le biomimétisme, la génétique) et celles du futur sont cruciales, car c’est ce qui va nous permettre de développer l’économie de la vie, c’est-àdire une économie qui, par unité produite, utilise moins de sucre et moins d'énergie fossile. Mais il n'y a pas que les technologies : il y a aussi les modes de vie et les comportements qui doivent évoluer, l'usage que l’on fait de son temps, etc. Néanmoins, les technologies vont être un facteur déterminant pour changer la corrélation qui est encore considérée comme implacable entre quantité d'énergie ou de sucre et croissance.

Pour atteindre ce but, quelles sont celles qui vous paraissent les plus intéressantes aujourd’hui ?

Tout ce qui se passe actuellement autour du biomimétisme, un sujet qui me semble promis à un grand avenir, mais aussi tout ce qui se passe du côté des startups. Je pense en particulier à une jeune startup qui s'appelle Néolithe, qui utilise des déchets de construction pour produire du béton durable. Pour cela, l’entreprise s’appuie sur des partenariats avec des communes et mène des expérimentations avec de grands groupes, pour trouver comment industrialiser le procédé. C’est un exemple particulièrement intéressant de coopération entre territoires, entreprises et startups.

Avec la Fondation Positive Planet, vous faites le lien entre positivité, entrepreneuriat et inclusion en soutenant des milliers de projets de création d'entreprises à travers le monde : pourquoi est-ce si important aujourd’hui ?

Aider des personnes en difficulté à créer des entreprises qui vont aggraver la pollution, gaspiller de l'énergie ou inciter à consommer davantage de sucre ne sert à rien. L’inclusion doit être positive, en ce sens qu'il faut faire travailler les gens, oui, mais pas les faire travailler pour travailler. Il faut donc d'abord créer des entreprises positives et des startups positives !

À retenir
Les technologies vont être un facteur déterminant pour changer la corrélation qui est encore considérée comme implacable entre quantité d'énergie ou de sucre et croissance. L’inclusion doit être positive (…) Il faut donc d'abord créer des entreprises positives et des startups positives !

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