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COLLABORATIVE ECONOMY

La Convention citoyenne pour le climat a placé la démocratie délibérative sous le feu des projecteurs et montré la pertinence des compléments participatifs à la représentation publique.

En quoi les approches de la démocratie participative répondent-elles aux enjeux de société contemporains ? Les entreprises peuvent-elles s’en emparer ?

Réponses du politologue Loïc Blondiaux, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste des questions de démocratie et de participation citoyenne et membre du comité de gouvernance de la Convention citoyenne pour le climat.

Avec la Convention citoyenne pour le climat, la démocratie dite « délibérative » a pris une place importante dans le débat public. En quoi se distingue-t-elle de la démocratie représentative et de la démocratie directe ?

Loïc Blondiaux : La démocratie représentative, née au XVIIIe siècle, repose sur l'élection de représentants qui décident et font la loi au nom des citoyens, mais sans eux. La démocratie directe est la figure classiquement opposée : un régime politique où les citoyens font eux-mêmes la loi et prennent les décisions. Les démocraties participative et délibérative sont des concepts plus récents. La première apparaît au début des années 60 aux Etats-Unis. Elle prône l'engagement des citoyens et leur inclusion dans la décision. La démocratie délibérative est, quant à elle, un concept plus théorique, apparu à la fin des années 80. Elle affirme que l'idéal démocratique passe par la qualité du processus de discussion préalable à la décision. Néanmoins, elle ne vise pas l'inclusion du plus grand nombre de citoyens dans le processus de décision. La Convention citoyenne pour le climat, en France, s’inscrit clairement dans le cadre de la démocratie délibérative. Elle en reprend notamment le principe de tirage au sort, et offre une place prépondérante au processus d'information et d'échange d'arguments, susceptible de dépasser les oppositions.

D'où vient la montée en puissance de la démocratie participative ?

Force est de constater qu’il existe un sentiment de défiance à l'égard des représentants. 

L’élection ne permet plus vraiment aux décideurs de revendiquer la totalité du pouvoir décisionnaire. L'augmentation du niveau d'éducation moyen des citoyens, qui ont du temps à consacrer à l'action publique, joue aussi un rôle important.


Loïc Blondiaux,
Professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Par ailleurs, les réseaux sociaux abondent dans ce sens puisqu’ils permettent à tous d'exprimer un point de vue. Mais un autre facteur me semble plus significatif : la fiction de la représentation politique ne fonctionne plus véritablement. Avec l'individualisation de nos sociétés, il est de plus en plus insupportable de se laisser déposséder de son pouvoir d'agir et de sa parole. N’oublions pas, enfin, que si elles veulent survivre aux épreuves auxquelles elles font face – crise environnementale, sanitaire, migratoire… – les démocraties vont être obligées d’inventer de nouvelles modalités de prise de décision. Ou alors se produiront davantage d’événements extrêmes, tels ceux survenus au Capitole aux États-Unis lors des élections présidentielles.

A quoi servent encore les élus ?

Les élus continueront de jouer un rôle parce qu'ils auront forcément le dernier mot, mais à condition qu'ils adoptent une position un peu plus modeste dans le processus de décision. Ils vont devoir accepter que celui-ci devienne de plus en plus collectif, complexe et surtout, beaucoup plus transparent. Très concrètement, ces évolutions devront engendrer l’organisation, entre les rendez-vous électoraux, de débats sur de très nombreux choix politiques. Les décisions prises dans le passé pourront ainsi être amenées à être rediscutées, avant la prochaine échéance électorale.

À retenir
Les démocraties participative et délibérative sont des concepts plus récents. La première prône l'engagement des citoyens et leur inclusion dans la décisionl la seconde est, quant à elle affirme que l'idéal démocratique passe par la qualité du processus de discussion préalable à la décision.

La démocratie participative rencontre-t-elle des résistances ?

Il existe certes un mouvement qui va dans le sens d’une plus grande participation citoyenne. Mais l’on rencontre aussi des actions très profondes dans nos sociétés de ce que l'on pourrait qualifier de « dé-démocratisation ». Par exemple, le dispositif de l'enquête publique, au nom de l'efficacité, de la simplification et de la croissance économique, est aujourd'hui remis en cause. Bien sûr, il faut distinguer l'échelon national de l'échelon local. C'est plutôt à l'échelle locale aujourd'hui que l'institutionnalisation de la démocratie participative et délibérative est en train de s'opérer, en particulier dans les collectivités territoriales. Les budgets participatifs ou les assemblées citoyennes s’y mettent plus facilement en place, en particulier sur les sujets d’environnement ou d’urbanisme. L’OCDE a produit l'année dernière un rapport sur la démocratie délibérative qui recense plus de 250 expériences à l'échelle locale et nationale à travers le monde. Ce n'est donc plus du tout un phénomène marginal même s’il reste minoritaire.

Quelles leçons retenez-vous de la Convention citoyenne pour le climat ?

D'abord, elle a démontré qu’un mécanisme complexe, celui d'une assemblée citoyenne tirée au sort, pouvait fonctionner à l'échelle nationale, en France. A noter que le bon fonctionnement de la Convention citoyenne dépendait énormément de l'impartialité de la gouvernance et de l'engagement pris à l'avance par le pouvoir vis-à-vis de son utilisation des résultats. C'est un critère essentiel. Le pouvoir ne peut être obligé à reprendre les productions citoyennes. Il se doit cependant d’expliquer et de justifier clairement ses décisions. Le second effet majeur de la Convention citoyenne pour le climat est de l’ordre de l’acculturation. 

Recourir au tirage au sort pour sélectionner les citoyens membres d’une convention n’est aujourd’hui plus jugé comme une idée farfelue ou exotique.

Les entreprises s'emparent-elles aussi de la démocratie participative ?

En effet, dans le passé, on retrouve déjà des débats et des pratiques assez comparables dans l’entreprise. Dans les années 60 et 70, il était question d'autogestion. Puis jusqu'au début des années 80, le concept de démocratie d'entreprise s’est développé. Comme dans la sphère politique, le néolibéralisme a marqué un moment de reflux et d'exaltation du managérialisme, de l'élu-entrepreneur, à partir des années 80. Le capitalisme financier a considérablement déplacé les lieux de pouvoir et de gouvernance au sein des entreprises.

Aujourd’hui, la démocratie participative réapparaît. Avec la loi PACTE et le concept d'entreprise à mission par exemple, qui joue le rôle de déclencheur et explique l’apparition de « comités des parties prenantes », comme au sein d’EDF ou du groupe La Poste.

La démocratie participative passe aussi par la place donnée aux salariés dans les organes de pouvoir. En France, cette dimension est encore balbutiante car la culture de la décision reste très verticale.

Enfin, il convient de parler de l'économie sociale et solidaire. L’ESS a fait de l'impératif démocratique une de ses spécificités. Mais ce secteur constate lui-même que la démocratie participative est coûteuse en « ingénierie sociale » car elle requiert des processus relativement sophistiqués pour fonctionner.

Un point me paraît absolument majeur. Les chefs d'entreprise sont désormais confrontés à des salariés, notamment les plus jeunes, sur lesquels les mécanismes classiques d'autorité ont moins de prise. Le cadre de l'entreprise reste, bien sûr, marqué par le principe de subordination. Mais il est moins supporté puisque le principe de représentation est critiqué. Cela ne signifie pas que les salariés n'obéiront pas, mais ils joueront avec les règles, si elles ne leur semblent pas légitimes. Il faudra donc compter de plus en plus avec les aspirations des salariés.

Plus largement, je crois qu’on ne pourra jamais faire vivre la démocratie au plan politique s’il n'y a pas une continuité entre la citoyenneté dans la cité et l'activité professionnelle des citoyens. 

À retenir
Les chefs d'entreprise sont désormais confrontés à des salariés, notamment les plus jeunes, sur lesquels les mécanismes classiques d'autorité ont moins de prise. Le cadre de l'entreprise reste, bien sûr, marqué par le principe de subordination. Mais il est moins supporté puisque le principe de représentation est critiqué. Cela ne signifie pas que les salariés n'obéiront pas, mais ils joueront avec les règles, si elles ne leur semblent pas légitimes.

Que pensez-vous de l’initiative « Convention 21 », qui entend réunir 150 représentants d'entreprise tirés au sort pour définir le chemin vers une économie décarbonée ?

A ma connaissance, aucune initiative n'a encore fait le pari de transposer au monde des entreprises la logique de la démocratie délibérative citoyenne. L’idée du tirage au sort a du sens, compte tenu de la très grande diversité des entreprises. Cette initiative est donc une opportunité pour vérifier quels changements les entreprises sont véritablement prêtes à enclencher.  

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