• 1000


1er avril 2022     |    5 min de lecture

TECH ECONOMY

Théau Peronnin

CEO et co-fondateur de la start-up Alice  & Bob

En décembre 2021, Emmanuel Macron annonçait un plan d’1,8 milliard d’euros sur cinq ans en faveur du développement des technologies quantiques. L’informatique quantique, aux applications industrielles prometteuses, tire spécifiquement son épingle du jeu avec 780 millions d’euros dédiés. C’est dans ce domaine qu’évolue la start-up Alice & Bob, lancée depuis février 2020 dans la course au développement du premier supercalculateur quantique universel sans erreur. Son cofondateur, Théau Péronnin, vient d’annoncer une levée de fonds de série A de 27 millions d’euros. Un soutien crucial dans un contexte de forte concurrence internationale.

Dans l’informatique quantique, comment une start-up française peut-elle faire la différence face à des géants comme Amazon, Google ou IBM ?

Pour développer leur ordinateur quantique, les différents acteurs font initialement le choix d’une plate-forme physique, dont les versions les plus matures sont les circuits supraconducteurs et les ions piégés. Les supraconducteurs ont la faveur des géants de l’informatique que vous citez, ainsi que celle de très grandes start-up comme Rigetti. Mais également… la nôtre. Notre approche se différencie sur deux facteurs : le dessin imprimé sur notre puce supraconductrice et la manière dont nous manipulons l’information quantique. Nous utilisons un nouveau type de bit quantique, que nous appelons « qubits de chat » : celuici est naturellement robuste face à une partie des erreurs qui limitent la puissance des premières machines. 

En effet, aujourd’hui, les meilleurs ordinateurs quantiques commettent une erreur toutes les 1000 opérations par qubit. Pour qu’il y ait un véritable « avantage quantique », c’est-à-dire des cas d’usages qui ne soient pas réalisables sur calculateurs traditionnels, il faudrait améliorer ce chiffre d’au moins un million, avec une erreur pour un milliard d’opérations. Tous les grands joueurs du quantum computing courent donc après les qubits dits « logiques », c’est-à-dire sans erreur.

Les 27 millions d’euros que vous venez de lever contribuent-ils à compenser les investissements R&D des champions du cloud lancés dans la course ?

Si ce n’était qu’une question de financement, nous ne serions pas là ! Nous ne jouons pas dans la même cour. Mais n’oublions pas que le quantique n’est pas l’activité principale de ces acteurs : le véritable nerf de la guerre, ce sont les compétences. Il y a entre 100 et 150 personnes qui travaillent sur ce sujet chez IBM, entre 50 et 100 chez Google, une trentaine chez Amazon. Nous ne sommes pas en reste, puisque nous comptons 37 collaborateurs et les spécificités de notre approche nous permettent d’être très attractifs. 

Cette levée de fonds a pour vocation de doubler nos effectifs et de continuer à nous équiper. In fine, cela nous permet de poursuivre notre objectif d’être les premiers au monde à fournir un qubit logique au cours de l’année prochaine, ce qui ouvrirait la voie vers du calcul quantique à fort impact.

Une fois l’avantage quantique atteint, à quels types de cas d’usage sont destinés ces supercalculateurs ?

On dénombre quatre grandes catégories de cas d’usage, qui vont changer le paradigme de la plupart des secteurs. La première est très large puisqu’elle concerne la résolution de problèmes d’optimisation des entreprises en grande dimension. Actuellement, nous pouvons travailler sur quelques dizaines de paramètres seulement. Or, ce n’est pas suffisant pour optimiser un portefeuille financier ou un circuit de logistique complexe, par exemple. Tous les secteurs sont ainsi concernés : la bancassurance, les plates-formes logistiques, l’industrie…

La deuxième catégorie d’usage s’appuie sur la capacité de ces ordinateurs à simuler de manière exacte les propriétés de matériaux, des molécules, des catalyseurs. Ce sera un accélérateur sans précédent dans la R&D des domaines de la chimie, de la construction, de la biologie. Les acteurs de ces secteurs ont tout intérêt à se positionner très tôt dans le quantique : l’enjeu va être de déposer des brevets sur des composants d’intérêt, sur des matériaux d’intérêt ou encore sur les méthodes de fabrication de ces matériaux. L’impact sur la pharmaceutique, par exemple, va être considérable. Pour vous donner une idée, simuler une molécule simple comme la pénicilline demanderait à un ordinateur classique environ 1083 bits de mémoire, soit plus qu’il n’y a d’atomes dans l’univers. Ce qui ne sera jamais possible avec une machine classique est, en revanche, concevable avec un ordinateur quantique simple qui n’aurait besoin que d’environ 254 bits de mémoire.

La troisième catégorie touche à l’ingénierie, en permettant d’accélérer exponentiellement la résolution de systèmes d’équation. Cela va changer la donne pour simuler des antennes micro-ondes complexes pour la 5G, résoudre des problèmes de mécanique des fluides ou de dynamique des climats, concevoir des pales d’éoliennes…

La dernière grande catégorie, qui est selon moi à la fois la moins impactante et la plus complexe, est la capacité à décrypter des messages.

Doit-on se préparer dès maintenant ?

Le quantique arrive très vite : l’échelle de temps est de quatre à sept ans, pour une disruption très profonde de ces champs d’application. Il faut avoir en tête une courbe exponentielle. A chaque fois que nous ajouterons un bit quantique sans erreur, nous viendrons doubler sa puissance de calcul classique équivalente. Aujourd’hui, le meilleur supercalculateur classique correspond à 50 bits quantiques sans erreur. Avec 51 bits quantiques, nous obtiendrons l’équivalent de deux fois ce calculateur. En effet, la puissance d’un supercalculateur classique équivaut à 50 bits quantiques. Une machine à laquelle on viendrait ajouter un bit quantique logique verrait sa capacité doubler. Donc une machine à 51 qubits = deux fois la puissance d’un supercalculateur classique, 60 qubits = 1000 fois la puissance du calculateur classique, 70 bits qubits = un million de fois le supercalculateur classique.

Il n’y aura pas d’avertissement visible avant que les ordinateurs quantiques dépassent très largement la puissance de calcul actuelle. C’est la raison pour laquelle les acteurs industriels doivent mesurer dès maintenant la profondeur du changement que cela va impliquer. Il faut prendre le temps de monter en compétences, de recruter et d’investir pour se tenir prêt. La programmation d’un ordinateur quantique est très différente de celle des machines classiques et les compétences sont rares. L’avantage ira aux précurseurs dans tous les secteurs précités : finance, ingénierie, matériaux, chimie, pharmaceutique…

Bien que nous soyons encore en train de concevoir notre premier qubit logique, nous commençons déjà à nouer des partenariats avec des entreprises. Avec Thales, par exemple, nous envisageons des cas d’usage autour de la simulation électromagnétique. Cela nous permet de mieux comprendre les attentes des industriels, d’ajuster l’expérience utilisateur et la connectivité de nos machines. Et pour ces acteurs, c’est une opportunité de mieux appréhender la révolution à venir.

À retenir
Dans cet interview, Théau Peronnin cofondateur de la start-up Alice & Bob revient sur la course au développement du premier supercalculateur quantique universel sans erreur. La start-up a levé 27 millions d’euros pour doubler ses effectifs et continuer ses recherches. Ces supercalculateurs permettront entre autres aux entreprises d’optimiser des circuits de logistiques complexe et d’accélérer exponentiellement la résolution de systèmes d’équation en ingénierie. Les industriels doivent ainsi se tenir prêt à ce profond changement qui va bouleverser la logique de calcul actuelle.

Sur le même thème

Le meilleur de l'avenir, une fois par mois.

Lire la dernière newsletter →
S’inscrire