• Filipe Torregrosa, Associé |

Performance des coûts et achats responsables : comment concilier les deux ?

Plus d’écologie et plus d’inclusion : les entreprises sont attendues sur le terrain de la RSE par leurs clients et leurs collaborateurs, les investisseurs comme les institutions. La loi Grenelle II en est une traduction : depuis 2016, elle impose aux entreprises l’évaluation autant que la réduction  de leurs émissions de gaz à effet de serre. Dans un contexte « d’éco-anxiété » et d’attentes nouvelles suscitées par la pandémie, les directions achats, longtemps réduite à des missions de « cost killers », voient la transformation de leur rôle.

Crise de la COVID 19 : une quête de sens à tous les niveaux de l’entreprise, y compris aux achats

La pandémie a révélé un réel impératif de sens au sein des organisations, et cela, au plus haut niveau de la pyramide. Cette crise, qui va durablement ébranler l’économie, les habitudes de consommation, et les sphères professionnelles et personnelles, agit comme un véritable catalyseur de la raison d’être des entreprises qui se raccrochent aux fondamentaux dans la tempête.

Le dernier CEO Outlook publié par KPMG à l’automne 2021 montre ainsi que 30 % des dirigeants prévoient d’investir plus de 10 % des revenus de leur entreprise dans la transformation vers un modèle plus durable. 

De manière logique, les directions achats sont également challengées dans ce contexte incertain et ont un enjeu de contribution active aux objectifs RSE de l’entreprise : en atteste l’étude de l’ADRA publiée en septembre 2020, qui indique que 60% des décideurs achats sondés perçoivent la période post Covid-19 comme favorable à l’instauration de politiques achats responsables.

Les dirigeants d'entreprises s'appuient sur la RSE pour assurer l'avenir post-COVID

Près de 2 CEO sur 3

Affirment que la gestion des risques liés au changement climatique jouera un rôle dans le maintien ou non de leur emploi au cours des cinq prochaines années [1].

Les chefs d’entreprise demandeurs d’objectifs en matière environnementale

Plus d’1 CEO sur 3

Considère que pour « améliorer les choses dans la société, des objectifs chiffrés en matière d’environnement son nécessaires » [2]. 

Les responsables achats face à la crise : aux impératifs de compétitivité s’ajoutent ceux de politique achats plus responsable

82%

Des répondants disposant d’une politique achats responsables affirment que cette dernière a facilité la gestion de la relation fournisseur pendant la crise

60%

Voient la période « Post-Covid » comme une chance à saisir pour développer des stratégies achats plus responsables

Performance Achats et enjeux RSE : des intérêts convergents

La performance économique, et plus précisément la réduction des coûts, a toujours été un enjeu des directions achats. Longtemps considérés comme « cost killer », les acheteurs ont pour rôle d’identifier les pistes d’optimisation des coûts et de réaliser des économies tangibles sur le compte de résultat de l’entreprise.

Toutefois, leur périmètre d’actions est bien plus large, et à l’impact économique évident des achats sur l’entreprise, s’ajoutent des considérations extra-financières.

Les enjeux RSE, de plus en plus prégnants dans la société et dans les organisations, deviennent alors une considération majeure des directions achats. Prendre en compte ces enjeux impactent nécessairement la structure de coûts de l’entreprise. Toutefois, loin d’être incompatibles avec la performance, les initiatives RSE peuvent même être des leviers de croissance.

En effet, le concept d’achats responsables s’inscrit dans une démarche plus large de sens et de performance globale de l’entreprise. L’acheteur, par sa perception et sa sensibilité, joue un rôle déterminant dans le positionnement de l’organisation sur ce sujet. Il peut redéfinir la productivité et la performance en s’appuyant sur une allocation des ressources et un suivi des dépenses plus responsables pour réaliser des économies durables et « vertes ».

Dans ce sens, l’intégration des actions RSE dans l’évaluation de la performance passe nécessairement par une révision du calcul de ROI. Celui-ci doit être repensé pour prendre en compte les actions liées à une politique d’achats responsables créatrice de valeur économique, mais aussi de valeur sociétale et environnementale (en misant sur l’impact positif de ses produits ou services, et sur ses fournisseurs/partenaires responsables).

Les engagements responsables d’une entreprise ne sont donc pas seulement compatibles avec la performance économique, ils sont également source d’une valeur ajoutée qui n’était jusqu’alors pas prise en compte, et peuvent même être une réelle opportunité de croissance.

À l’instar de ce que l’on observe sur les tendances de consommations B2C, les marchés B2B connaissent eux aussi une remise en question de leur chaîne d’approvisionnement. Les entreprises orientent progressivement leurs achats autour de trois principes clés : 

  • Consommer moins
    Ce premier principe répond à une exigence croissante de réduction des coûts et de l’impact des entreprises sur l’environnement. Les acheteurs ont alors l’opportunité de revoir leurs structures de coûts, en collaboration avec les différentes parties prenantes internes, afin d’agir concrètement sur ce sujet : approche « budget to cost » pour revoir la composition des produits, challenge des besoins et volumes en misant sur une meilleure planification et gestion des stocks, rénovation de bâtiments ou machines pour réduire l’impact énergétique, optimisation des flux logistiques pour réduire l’impact carbone, etc.
  •  Consommer mieux
    Au-delà de réduire la consommation globale de l’entreprise et son impact, l’acheteur a un rôle clé à jouer sur l’orientation donnée à la politique achats, et cela passe notamment par la sélection de produits/matériaux éco-responsables et innovants, mais aussi plus largement en repensant la relation avec les fournisseurs. Un des principaux risques, mis en lumière, notamment, par la crise sanitaire actuelle, est le risque lié à la supply chain. Les Achats s’inscrivent alors dans une logique de sécurisation qui nécessite d’établir une cartographie de leurs fournisseurs, du rang 1 au rang N, pour garantir la transparence et la traçabilité de la chaîne d’approvisionnement. De surcroît, le développement de relations partenariales que l’on peut observer dans de nombreuses organisations contribue à cette visibilité mutuelle et une meilleure anticipation des risques.
  • Consommer local
    Repenser sa supply chain globale devient indispensable pour un certain nombre d’organisations ou de secteurs d’activité, comme nous l’a brutalement rappelé la pandémie mondiale. Le risque de défaillance fournisseurs ou de rupture d’approvisionnement doit alors être anticipé, par une veille constante et efficiente du flux d’informations. En outre, les acheteurs peuvent participer à la sécurisation de ces risques en adoptant une stratégie de multi-sourcing ou encore en envisageant la relocalisation de certains de ses fournisseurs ou de ses activités. Au-delà d’assurer un chiffre d’affaires à l’entreprise, celle-ci contribuera à la réduction de ses coûts, de logistiques et transports notamment, mais aussi au développement de fournisseurs et territoires locaux. 

Trouver le bon équilibre : focus sur les relocalisations

Nouveau contexte favorable à la relocalisation :

  • Préoccupation croissante de l’impact des flux
  • Exigence de transparence
  • Appétence croissante pour le Made In France / Europe
  • Hausse des coûts de transports
  • Montée en maturité des compétences
  • Aide des états et régions associées au développement local

Bénéfices

  • Réduction des coûts logistiques
  • Réactivité aux besoins clients plus élevés et personnalisés
  • Image de producteur / fournisseur Made In France
  • Sécurisation des approvisionnements 

74%

Des français seraient prêts à payer plus cher pour des produits « Made In France »

66%

Des clients considèrent la qualité d’un produit comme leur critère de choix n°1 devant le prix

2400 Km

Distance minimum entre les lieux de production et de consommation pour la plupart des produits non alimentaires

Comment intégrer les bonnes pratiques RSE tout au long du processus Achats ?

Pour les directions achats, il est possible d’intégrer des pratiques responsables à toutes les étapes du processus, en recherchant plus systématiquement la conciliation des enjeux économiques et ceux inhérents à la RSE.

C’est « nativement », dès le stade de l’expression de besoin des clients internes, que les achats  peuvent influencer sur ce qui ne se résume désormais plus à un simple poste de coûts. Leur rôle est d’influencer largement au sein de l’organisation et de promouvoir des solutions à la fois économiquement et techniquement viables pour l’entreprise et, autant que faire se peut, durable pour la société.

Définition du juste besoin et approche « impact complet »

Dans l’univers des biens de consommation courante, se développe une tendance de fond sur l’écoemballage; les consommateurs sont en effet de plus en plus attentifs à limiter le recours à des conditionnements plastiques et aspirent à davantage de matériaux respectueux de l’environnement et recyclables (papier, carton, verre…). Pour répondre à cette tendance de fond, un grand acteur de l’agroalimentaire a repensé ses gammes de produits traiteur de sorte à limiter le recours aux plastiques et aux suremballages; une telle démarche passe par une transversalité plus forte, où les achats accompagnent étroitement la R&D, la qualité et le marketing, et contribuent à alimenter les études préalables et l’aide au choix de nouvelles solutions. Pour aller plus loin encore, certains secteurs s’intéressent aux traitements des déchets induits par leur activité. Dans la construction, secteur à l’origine de 70% de la masse globale des déchets générés par an en France, les entreprises contribuent activement à cofinancer la création de nouvelles filières de recyclage. Mieux encore, certaines vont jusqu’à réemployer les déchets de chantier pour d’autres constructions avec pour certains matériaux, comme les métaux ou le béton, des taux de réemploi atteignant près de 100 %.

Sourcing & approvisionnements plus flexibles et « near shore »

Certaines entreprises repensent leur stratégie achats et supply chain, notamment via la production à la demande pour éviter le sur-stock. Dans le secteur textile, les marques sont en recherche d’alternatives aux longues séries produites dans les pays à bas coûts, pour plus de réactivité dans le réassort. En atteste le succès d’une jeune pousse lilloise, qui a déjà convaincu de nombreuses enseignes françaises, en proposant une flexibilisation de leurs achats, en fonction de la demande en magasins, pour répondre aux nouveaux comportements de consommation qui tendent vers davantage de responsabilité. Ce besoin d’agilité dans les productions textiles, renforcé par les confinements et les fermetures forcées qui ont jalonné 2020 et 2021, a suscité un véritable engouement du marché pour la solution.

Dynamique d’ensemble & exemplarité

Les entreprises, en quête de nouveaux équilibres entre compétitivité et durabilité, font face à un enjeu d’exemplarité vis-à-vis de leurs fournisseurs, comme de leurs clients. En effet, difficile d’obtenir d’un tiers ce que l’on ne s’applique pas à soi-même. Si l’entreprise, qui impose des standards exigeants en matière de RSE à ses fournisseurs, n’est elle-même pas fortement engagée sur ce front pour ses propres activités, elle ne pourra pas exiger bien longtemps de ses fournisseurs qu’ils s’astreignent seuls à ce jeu de contraintes. Sans une volonté forte et engagée, fixée par la direction générale, les achats ne parviendront pas à fidéliser des fournisseurs de qualité, et risquent de se couper d’une formidable plateforme d’innovation, à même d’inspirer les meilleures pratiques, mises en place auprès d’autres clients et de concurrents plus en pointe.

Cycle achats et RSE : étapes et exemples sur les opportunités de gains