• Albane Liger-Belair , Partner |
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Alors que la fin du confinement s’organise, états, entreprises, individus, s’activent pour appréhender la sortie de crise et anticiper l’avenir. Les fermetures des magasins, la distanciation sociale, le confinement ont développé de nouvelles pratiques et comportements. À quoi ressemblera « le jour d’après » ? Petit tour d’horizon des principales tendances et réflexions qui émergent.

La crise, déclencheur d’une transformation radicale

Enjeux sociétaux et écologiques, complexité des supply chains, interdépendances des parties prenantes, vulnérabilité des filières, émergences de nouveaux comportements d’achats…. la crise du Covid cristallise des tendances existantes et sera, pour certains secteurs, le déclencheur de mutations de long terme. L’après crise verra l’émergence de modèles plus durables, alignés avec les nouvelles problématiques sociétales et les priorités des consommateurs.

Vers une nouvelle « glocalisation » ?

Les critiques de la globalisation ne sont pas récentes mais la pandémie du Covid-19 et ses impacts sans précédents remettent en cause et vont durablement disrupter le modèle établi. À des objectifs d’efficacité, de rentabilité et d’optimisation des coûts vont se substituer des objectifs de résilience, et d’autres indicateurs de performance comme la réactivité, la transparence, ou l’adaptabilité. Les chaines d’approvisionnements construites sur des logiques de flux tendus pour réduire les stocks vont laisser place à de nouvelles chaines repensées dans un souci de simplification et d’indépendance des tâches. De plus en plus, le recours à des réseaux d’approvisionnement numériques va permettre de connecter l’ensemble du réseau et de limiter les risques liés à l’effet cascade. L’inclination des pays vers le protectionnisme et l’autonomie vont redéfinir les priorités d’investissements, avec notamment une relocalisation de la production et une plus grande protection des chaînes de valeurs intra-européennes. La réduction des coûts de main d’œuvre permise par l’automatisation et le développement de l’IA ouvre des possibilités de relocalisations délaissées jusqu’alors, même si le facteur humain sera à prendre en compte dans un contexte d’instabilité sociale et de hausse du chômage. Certaines filières industrielles vont ainsi reconsidérer une relocalisation de l’économie. Le secteur automobile extrêmement décentralisé aujourd’hui, très dépendant des aléas du commerce international, en particulier asiatique, pourrait accélérer ses travaux sur des relocalisations dans une logique « Build nearer to where you sell ». En parallèle, d’autres réponses locales pourraient se développer. Les solutions industrielles "Plug and play" par exemple permettraient de diversifier la production locale tout en la rendant agile. Ces unités modulaires et mobiles assurent en effet des productions de biens ou de services à petite échelle, susceptibles d'être greffées sur des sites industriels et hébergées dans des camions ou des containers. Moins polluantes, elles pourraient créer de nouvelles synergies. Enfin, d’autres secteurs vont revoir en profondeur certains de leurs process. Ainsi, dans le secteur agro-alimentaire la tendance était à la gestion en flux tendus, permise alors par la fluidité des transports internationaux. Dorénavant, les stocks vont probablement représenter un avantage.

L’écologie au cœur d’un nouveau rapport à la consommation

La crise donne une toute autre perspective aux consciences écologiques qui s’éveillaient depuis quelques années déjà. Le confinement, en redéfinissant les priorités, a rendu accessoire des produits ou services qui nous paraissaient indispensables il y a peu, et pose en creux la question du sens et de l’impact écologique de certaines activités. Les nouvelles consciences vers des achats responsables vont s’accentuer et renforcer la pression sur les marques. En parallèle nos besoins évoluent de l’envie de posséder vers celle d’expérimenter. Ces tendances vont durablement impacter les comportements d’achats futurs et certes sonner le glas de l’hyperconsommation, mais elles ouvrent aussi des perspectives nouvelles vers la consommation plus généralisée de produits bios et éthiques, ou encore celle de biens immatériels. La situation actuelle invite par exemple à repenser le modèle d’un tourisme globalisé. Plusieurs pistes sont à explorer : un tourisme durable et créatif fondé sur l’identité et le patrimoine des territoires ? Le développement de la micro-aventure et du « staycation », tourisme alternatif de proximité ? Ou encore le « e-tourisme » en réponse au tourisme « must-see sight » (lieux incontournables) ? L’expérience ScanPyramids VR, par exemple, propose de se téléporter sur le plateau de Gizeh, en Égypte, et d’arpenter la Grande Pyramide en taille réelle. Cette expérience est le fruit de la collaboration entre Dassault Systèmes et la Cité de l’architecture qui ont créé un espace de recherche et d’innovation ouverte dédié au patrimoine et aux nouveaux usages de la réalité virtuelle grandeur nature. Enfin, les compagnies aériennes sous les feux des critiques pourraient nous surprendre en repensant leur offre afin d’adresser le problème de la pollution liée à leur activité.

Une accélération du digital

Le confinement a clairement accéléré le passage vers le online et l’utilisation des nouvelles technologies dans nos quotidiens. De nouveaux business models et usages émergent. L’après crise va poursuivre et amplifier cette transformation qui se caractérisera par le règne de la e-life et la dématérialisation de nos modes de vie. Pour atteindre l’audience chinoise en confinement lors de la fashion week de Paris en janvier dernier, Lanvin a collaboré avec les plateformes digitales Douyin, Yizhibo, iQiyi, et le site de produits de luxe SECOO, pour créer un défilé disponible sur le cloud. Les spectateurs virtuels ont pu passer commande en instantané grâce à WeChat. Le succès de cette expérience inédite suivie par plus de 5 millions d’internautes, mêlant livestreaming, réalité virtuelle, et utilisation des réseaux sociaux promet le développement de nouvelles approches marketing. Des nouvelles enseignes comme The Fabricant, une maison de mode numérique spécialisée dans la conception de vêtements digitaux, ou Carlings, ont lancé récemment leurs premières collections de vêtements 100% numériques. Elles étendent actuellement leurs marchés en développant de nouveaux cas d’usages.

D’entreprise économique à Entreprise à mission

La raison d’être sera-t-elle le moteur de transformation des entreprises dans l’après crise ? Certains éléments permettent de le penser. Scrutées pendant le confinement à la fois par leurs salariés et clients, les actions et mesures qu’elles ont prises ont eu un impact direct sur leurs images de marques ; La manière dont elles vont gérer la suite va être déterminante pour leur réputation. De plus, concentrées sur leur survie et leur pérennité, les entreprises sont fortement sollicitées pour reconstruire le monde d’après et contribuer au bien commun. Des choix stratégiques s’imposent pour concentrer les efforts. Enfin, la situation a mis en lumière une solidarité et une empathie sincère de la part de l’entreprise vers ses collaborateurs, qui fait tout son possible pour assurer quotidiennement à distance la sécurité, la santé et le moral de ses troupes. Les crises précédentes ont révélé que les entreprises solidaires et engagées résistaient mieux et étaient plus à même de se réinventer que les autres. Le message a été entendu et l’intention est réelle de placer l’homme au cœur de leur stratégie malgré le développement de l’automatisation. On parle même d’une redéfinition du mix homme-machine avec une réflexion en fonction de la valeur que les technologies peuvent apporter ou non à l’humanité. Certains parlent même d’un « employee first » au lieu du « client first », avec l’idée que la création de valeur et les transformations clés de l’entreprise résulteront de l’engagement et de la créativité des collaborateurs.

La destruction Créatrice

De toute crise naît des innovations, c’est ce qu’exprime Joseph Schumpeter quand il parle de destruction créatrice Celle que nous traversons actuellement aura sans doute raison de nombreuses entreprises, mais elle verra aussi l’émergence de nouveaux business. Par exemple, le chef restaurateur de L’Ami Jean à Paris, ayant subi de lourdes pertes repense d’ores et déjà son activité. Il prévoit de nouveaux services comme le développement d’un service traiteur, ou encore l’ouverture, plusieurs jours par semaine, de mini-marchés avec les produits de ses fournisseurs. Cette crise inédite offre l’opportunité de repenser un modèle économique plus résilient et durable. Face à l’incertain et alors que nous naviguons en eaux troubles, nous nous raccrochons à des fondamentaux. La raison d’être, pilier du bien être humain, et génératrice de valeur à long terme pourrait être la boussole guidant nos décisions.

À nous alors de faire des choix audacieux pour construire notre scénario du jour d’après.

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