Interview du Prof. Beat Affolter, à la direction du service spécialisé Corporate Performance and Sustainable Financing ZHAW School of Management and Law.
Beat Affolter
Monsieur Affolter, tout d’abord une question très générale: pourquoi la finance durable est-elle importante?
Il est indéniable que nous sommes confrontés à d’immenses défis à l’échelle mondiale, qu’il s’agisse du changement climatique, de la diminution de la biodiversité, de certains défis sociaux et économiques ou de la transition énergétique. Avec l’Accord de Paris sur le climat, les Objectifs de développement durable et, depuis peu, le Cadre mondial de la biodiversité, la communauté internationale s’est engagée à atteindre des objectifs ambitieux dans ce domaine. L’économie réelle et l’économie financière sont donc toutes deux fortement sollicitées pour apporter leur contribution. La seconde est comme le lubrifiant du moteur de la première, car c’est là que les capitaux sont alloués et que l’information est générée par la fixation des prix.
Cette composante de responsabilité ne représente toutefois qu’un côté de la médaille. En tant qu’acteur financier, il faudrait prendre en compte la durabilité par pur intérêt personnel. Les investissements dans de futures solutions de durabilité ou dans des transformations d’entreprises offrent de grandes opportunités. Dans le même temps, ne pas tenir compte de la durabilité revient à prendre de gros risques.
La finance durable est également critiquée, et l’accusation d’écoblanchiment, ou «greenwashing», surgit de temps à autre. Comment maintenir la crédibilité?
Je suis convaincu que le thème de l’écoblanchiment nous occupera encore longtemps. Cela s’explique déjà par la grande confusion qui règne autour de la notion de «durabilité». Le Conseil fédéral est en train de clarifier les choses. Ainsi, dans le domaine de l’investissement et du financement, seul sera désormais considéré comme durable ce qui est en accord avec au moins l’un des 17 Objectifs de développement durable de l’ONU, lesquels visent un impact social, écologique ou économique positif. Un tel impact est également attendu par bon nombre d’investisseuses et d’investisseurs.
Mais aujourd’hui, des approches telles que l’application de critères d’exclusion ou la prise en compte de notations ESG sont également qualifiées de durables. Les notations ESG ne visent cependant pas à mesurer un impact des entreprises en matière de durabilité. Elles cherchent plutôt à savoir dans quelle mesure les processus et les structures sont orientés vers la durabilité, et à minimiser le risque financier lié aux aspects de durabilité.
De plus, pour compliquer le tout, il faut aussi se salir les mains – ou justement le portefeuille – pour obtenir un impact positif. Si vous excluez les entreprises non durables de votre portefeuille ou que vous achetez une obligation verte d’une entreprise qui est de toute façon déjà verte, votre portefeuille est certes «durable», mais vous ne faites guère avancer les choses. Si vous voulez avoir un impact, vous devez accompagner les transformations, par exemple en achetant des obligations assorties d’objectifs de durabilité ambitieux ou en incitant les entreprises non durables à se transformer par le biais d’une stratégie d’engagements et de dialogues avec les actionnaires.
Pour vraiment résoudre le problème de l’écoblanchiment, il faut donc en tout premier lieu bien comprendre les attentes en matière de finance durable, puis les taxonomies et les progrès dans la mesure et l’évaluation de l’impact. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine.
Quelle importance accordez-vous au rôle de l’univers de la finance sur la voie d’un avenir durable?
Cela fait exactement écho à ce que je viens de dire. Quelles sont les attentes que nous pouvons avoir vis-à-vis du secteur financier en matière de transformation durable? Si nous prenons l’exemple du changement climatique, il est clair que des solutions fondamentales doivent être développées dans l’économie réelle: il faut remplacer les chauffages dans les bâtiments, développer de nouvelles méthodes de production, transformer les systèmes énergétiques, etc. La mission du secteur financier est donc avant tout de fournir des capitaux pour cela. Par ailleurs, l’accompagnement des clientes et des clients dans le processus de conseil ou des entreprises du portefeuille par le biais de dialogues avec les actionnaires devient de plus en plus important. Ces leviers sont efficaces. Encore une fois: l’économie financière ne peut pas apporter de solution en termes d’économie réelle, mais elle peut la rendre possible ou l’influencer. Au final, l’économie réelle, la sphère politique et surtout, nous, consommatrices et consommateurs, avons également une responsabilité. Il s’agit d’une structure dynamique dans laquelle l’économie réelle et l’économie financière s’influencent mutuellement et se donnent des impulsions.
Cela correspond à notre observation selon laquelle les activités de financement et de crédit sont de plus en plus au cœur de la finance durable. Cela n’était pas le cas par le passé, où l’on se concentrait principalement sur les activités de placement. Mais comme les affaires de financement constituent le lien le plus direct entre l’économie réelle et l’économie financière, il est logique de mettre davantage l’accent là-dessus.
Que peut faire la Suisse pour devenir la première adresse internationale en matière de finance durable?
La Suisse a clairement l’ambition d’être leader. Mais il ne faut pas oublier que d’autres pays, notamment nos voisins directs, ont nettement accéléré le rythme. Dans le domaine du financement, par exemple, les banques de l’UE sont beaucoup plus avancées. Il s’agit ici d’aller de l’avant et de fixer des objectifs ambitieux. Les acteurs financiers doivent avant tout percevoir la finance durable comme la grande opportunité qu’elle est, et non comme une tâche de compliance.
La Suisse devrait ici se concentrer sur ses points forts: la fiabilité, l’innovation, la formation. La fiabilité s’obtient en combattant systématiquement l’écoblanchiment et en clarifiant les attentes. Une bonne mise en œuvre de la nouvelle autorégulation offre ici un certain potentiel. L’innovation peut être une clé pour relever de nombreux défis dans le domaine de la finance durable. Toutes les applications Fintech comme l’IA, le Big Data ou la blockchain peuvent apporter des contributions importantes aux défis actuels. Et enfin, le dernier point: une bonne formation des collaboratrices et collaborateurs est indispensable. Sans connaissances et sans compréhension, tout le reste ne sert à rien.
Vous proposez aux entreprises diverses possibilités de formation sur des questions de durabilité. Dans quels domaines le besoin de savoir-faire est-il le plus présent dans les entreprises?
Le besoin de formation est actuellement présent dans presque tous les domaines. Nous menons en ce moment un projet de formation pour les 800 collaboratrices et collaborateurs de la Banque cantonale de Thurgovie. Il s’agit de connaissances de base, mais aussi de connaissances appliquées concrètes dans les domaines des placements, des hypothèques et de la clientèle commerciale.
L’année dernière, nous avons proposé en Suisse le premier cours sur le thème de la durabilité et du financement, dont l’importance grandit à la fois pour les banques et pour les entreprises financées. La pression dans ce domaine n’est pas encore très forte, mais elle va rapidement s’accroître grâce à la loi européenne sur les obligations de vigilance dans la chaîne d’approvisionnement et aux obligations «zéro émission nette» des banques. En effet, ces obligations concernent autant le portefeuille de crédits que le portefeuille d’investissements.