En décembre dernier, après deux longues années d'attente, le deuxième volet de la 15e Conférence des Parties à la Convention pour la diversité biologique (COP15) organisée par la Chine et le Canada a finalement eu lieu à Montréal, et s'est conclu par l'adoption du « cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal ». Cet accord historique se décline en quatre objectifs et 23 cibles – tant politiques que financiers – et appelle entre autres à la coopération de la communauté scientifique et des communautés locales. Il est salué comme la première étape de la transformation de notre relation avec la nature, une transformation dans laquelle notre économie jouera un rôle central.

La présence massive et active du secteur privé tout au long de l'événement a été impressionnante, En effet, on estime à environ 1 000 le nombre d'entreprises présentes. Cette mobilisation continuera à se faire sentir à mesure que le mouvement se poursuivra en 2023, mais deux changements majeurs étaient notables :

  • Les décideurs politiques et les organismes de réglementation ont bien compris qu'ils doivent uniformiser les règles du jeu pour permettre au secteur financier d'opérer une transition vers la « nature positive »
  • Le système financier, au sens large, a pris note des risques qu'il n'avait peut-être pas pris en compte et des occasions à saisir.

Il s'est passé beaucoup de choses, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du cadre des négociations. Voici donc un résumé de trois points à retenir.

« Valeur de la nature » et « nature de la valeur »

Un tableau clair du programme de « financement de la biodiversité » pour le secteur financier a été brossé dans le cadre de la COP15. De façon percutante, Mark Carney, Emmanuel Faber, Jo Tyndall et Pavan Sukhdev ont non seulement rappelé la « tragédie de la financiarisation de la nature », mais également insisté sur le « lien inextricable » qui existe entre la valeur actuellement créée par les entreprises et la nature et les services écosystémiques qu'elle fournit. S'appuyant sur le rapport Dasgupta publié par le gouvernement britannique en 2021, de nombreux intervenants ont relevé les externalités associées à la nature qui ne sont pas actuellement évaluées, et de l'accent disproportionné mis sur le flux du PIB comme seule mesure de la valeur, ignorant l'importance vitale du capital naturel, social ou humain dans la création de valeur. Poussant la réflexion plus loin, les intervenants se sont efforcés de démontrer que le prix actuel de la nature sur les marchés mondiaux ne reflète pas la véritable valeur de la nature pour les personnes et l'économie, et ne tient pas compte de sa surexploitation, ce qui crée des externalités négatives et des inégalités. En lien avec ces arguments, des demandes pressantes ont été exprimées afin d'aligner les marchés sur les principes positifs et équitables pour la nature afin de mieux gérer le risque intrinsèque créé par cette évaluation erronée et d'assurer le financement nécessaire à la mise en œuvre du cadre de biodiversité convenu.

La récente « Étude mondiale sur l'aménagement paysager des marchés de la nature » publiée par le groupe de travail sur les marchés de la nature présente le fondement factuel de l'intégration des marchés de la nature dans les efforts mondiaux. Ses auteurs et d'autres intervenants ont mis en évidence les valeurs « invisibles » de la nature, par exemple la valeur implicite, les revenus manquants qui pourraient soutenir les écosystèmes et les communautés, ainsi que les externalités liées aux impacts sur la nature.1

Communication et divulgation de l'information et signaux des organismes de réglementation

L'un des aspects clés de la COP15 pour la communauté financière a toujours été la divulgation et la communication d'informations – l'outil favori de nombreux décideurs politiques pour influencer les comportements. Même si plusieurs semblaient déçus de l'absence du mot « obligatoire » dans le texte final, comme demandé par 400 organisations et institutions financières réparties dans 52 pays, ce dernier envoie un message sans ambiguïté aux entreprises pour qu'elles se préparent à divulguer leurs risques, leurs dépendances et leurs impacts sur la nature – et à faire face à des exigences plus strictes de la part des différentes juridictions à l'avenir, au plus tard en 2030. 2

L'existence de nombreuses courroies de communication et de divulgation de l'information telles que le Groupe de travail sur la publication d'informations financières relatives à la nature (TNFD), l'initiative Science Based Targets et le protocole sur le capital naturel vient renforcer ce message. La mise au point rapide et consensuelle de ces initiatives a démontré que des mesures « sans regret » peuvent être prises dès maintenant pour permettre au secteur financier non seulement d'évaluer le degré de dépendance de ses modèles opérationnels envers la nature, mais aussi de saisir les occasions qui s'offriront à mesure que s'effectuera la transition. De nombreuses organisations ont profité de la COP15 pour démontrer leur leadership à cet égard : plusieurs grandes institutions financières mondiales participent à des projets pilotes du TNFD, des organisations sectorielles aident leurs membres à effectuer des analyses d'écarts et un grand groupe bancaire international a publié sa première empreinte de biodiversité.

De nombreux décideurs politiques, organismes de normalisation et organisations ont emboîté le pas et manifesté leur adhésion aux principes de transparence, de divulgation et de communication de l'information, ainsi qu'aux moyens qui permettront au secteur privé d'aller plus loin et plus vite. Par exemple, l'International Sustainability Standards Board (ISSB), qui assure la cohérence des systèmes d'information à l'échelle mondiale, a fait part de son intérêt à travailler avec le TNFD et d'autres organismes. La maturité du marché et une meilleure compréhension de la relation entre la nature et le climat, d'une part, et l'économie, d'autre part, mettent en lumière la nécessité d'étayer les mesures ESG (Environnement, Social et Gouvernance) de cadres d'information exhaustifs et harmonisés tenant compte de toutes les ressources des écosystèmes qui contribuent à créer de la valeur pour les fournisseurs de capitaux. Toutefois, la collecte et l'exploitation de données et de mesures de la biodiversité ne se feront pas sans difficulté et les organisations auront besoin d'aide pour optimiser les processus nécessaires à cette fin. 

Et suite à la publication d'une déclaration commune de la Coalition des ministres des Finances pour l'action climatique et du Réseau pour le verdissement du système financier (Network for Greening the Financial System) qui milite en faveur de la prise en compte et de l'évaluation des risques liés à la nature par les banques centrales et les institutions financières, de nombreux participants ont apprécié le fait que les autorités réglementaires et les superviseurs financiers se soient joints à la discussion.

L'intégration de la nature dans l'équation climatique internationale

Avec l'intégration de la nature dans la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) lors de la COP26 de 2021 à Glasgow – un fait sans précédent –, il semble enfin que la synergie se crée et que l'on s'entende pour reconnaître qu'il n'est pas toujours nécessaire de réinventer la roue. La Convention stipule qu'aucun engagement ou plan de transition crédible vers la carboneutralité dans les secteurs concernés n'est possible sans la restauration et la protection de la nature, en particulier dans les domaines de l'agriculture, de la foresterie et autres dont les émissions sont basées sur l'utilisation des terres.

Non seulement l'accord final sur la biodiversité et la cible 8 reconnaissent ce fait, mais les acteurs clés s'en sont également faits les porte-paroles. L'ISSB a annoncé que les informations à fournir sur le climat incluraient désormais la nature et une transition juste. Mark Carney a prononcé une allocution éloquente pour ouvrir la journée consacrée à la finance, exhortant les institutions financières à évaluer les risques associés à la nature et à s'assurer que les plans de transition vers une économie carboneutre incluent des priorités claires en matière de déforestation, de protection de la nature et de restauration de la biodiversité.

De nombreux membres actuels de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ), cofondée par M. Carney, ont fait part de leurs progrès dans le domaine de la « finance sans déforestation », notamment les membres du groupe d'action contre la déforestation dans le secteur financier, fort de 36 membres, qui se sont engagés lors de la COP26 à éliminer la déforestation des portefeuilles d'investissement et de prêts. Les leaders du domaine commencent à intégrer la biodiversité et les questions liées à la nature dans leurs politiques et leurs opérations.3 Un assureur mondial a commencé à publier un rapport sur la biodiversité afin de rendre compte des progrès réalisés en matière d'évaluation des risques, d'investissements et de souscription. Le rapport, qui intègre le risque de déforestation, s'arrime aux données existantes relatives aux changements climatiques.

S'il est habilement mis en œuvre, le cadre a le potentiel de transformer la biodiversité et de lutter contre les changements climatiques, de créer ou de préserver des dizaines de millions d'emplois et des centaines de milliards de dollars. Une fois mis en application, l'accord final aura de nombreuses répercussions (tant du côté des risques que des occasions découlant de la transition) pour le secteur financier, notamment en ce qui concerne la tendance mondiale émergente sur les subventions de reconversion, le mécanisme de financement du cadre, la nécessité d'accroître les flux de capitaux de toutes provenances et la mise en place de nouvelles réglementations dans les différents territoires visés par l'accord.

Malgré les nombreuses décisions et mesures difficiles qu'il reste à prendre pour obtenir des résultats, les parties arrivent à un consensus encourageant sur de nombreuses questions importantes. Hors du cadre des négociations, elles se sont entendues sur l'importance cruciale de la nature, la nécessité de commencer à agir maintenant alors que le système et l'architecture n'ont pas atteint leur plein développement, et sur le rôle que le secteur financier peut et doit jouer pour stopper et inverser la perte de biodiversité.

Implications pour le Québec

Le cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal a incité de nombreux pays, dont le Canada, à passer à l’action. Les engagements pris au cours de la conférence sont de deux ordres : tout d’abord, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a annoncé aux côtés du ministre des Ressources naturelles l’engagement du Canada à reboiser 19 millions d’hectares de terres dégradées au Canada d’ici 2030, dans le cadre du Défi de Bonn. Le Canada a également annoncé le lancement de l’Alliance pour des minéraux critiques durables en collaboration avec l’Australie, la France, l’Allemagne, le Japon et le Royaume-Uni. En vertu de cette alliance, chaque pays s’engage à faire en sorte que les activités minières menées sur son territoire respectent des normes environnementales, sociales et de gouvernance élevées, y compris en ce qui a trait au respect des droits des peuples autochtones.

Le Québec a également fait connaître son engagement : à l’ouverture de la conférence, le premier ministre François Legault a annoncé que le Québec se dotait d’un « Plan Nature » de 650 millions de dollars pour lutter contre le déclin de la biodiversité sur son territoire. Ce plan s’inscrit dans la promesse de la province de protéger 30% de son territoire d’ici 2030, 17% de l’objectif ayant été atteints jusqu’à présent. Le gouvernement investira plus de la moitié des fonds au cours des quatre prochaines années, sous trois formes différentes : 266 millions de dollars serviront à donner aux Québécois et Québécoises un meilleur accès à la nature et à atteindre l’objectif de conservation de 30%, 56 millions iront à la protection des espèces vulnérables et 23 millions, au soutien des initiatives autochtones. Une grande partie du changement sera réalisée quand les acteurs économiques réduiront leurs impacts sur la biodiversité, ce qui devrait inciter les institutions financières à repenser la façon dont elles investissent leurs capitaux. Le Québec est la seule province à soutenir la création du nouveau Groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives à la nature (TNFD), aux côtés du gouvernement fédéral et de banques et entreprises canadiennes.

Les institutions financières du Québec étaient bien préparées en prévision des discussions et des conclusions possibles de la COP15. L’annonce d’une collaboration qui s’étendra sur les deux prochaines années entre certains groupes d’investissement et des organisations à but non lucratif illustre bien les mesures concrètes prises par le secteur financier québécois en matière de biodiversité. Établie dès le début de la conférence, cette collaboration a permis d’amorcer des travaux pour créer des indicateurs de biodiversité propres au Québec, grâce auxquels les investisseurs peuvent mesurer l’impact de leurs placements. Il s’agit d’un premier pas important, tant pour le Québec que pour le Canada, car ces indicateurs serviront de base à un cadre commun de mesure de l’impact sur la biodiversité pour les institutions financières de la province, qui jouent un rôle important dans la conservation de la biodiversité par le biais de leurs investissements. La mise en œuvre du cadre éveillera en outre une prise de conscience réelle menant à la réduction des impacts négatifs des investissements sur la biodiversité.

1 Global Nature Markets Landscaping Study, Taskforce on Nature Markets
2 Make it mandatory - EN — Business for Nature
3 Leading financial institutions commit to actively tackle deforestation - Climate Champions (unfccc.int)

Sources supplémentaires :

  • COP15 : Faits marquants du jour, canada.ca, le 12 décembre 2022
  • COP15 Québec annonce un « Plan Nature » de 650 millions, La Presse, le 6 décembre. 2022
  • Plan Nature 2030 - Québec prévoit un investissement historique de 23 M$ pour soutenir les initiatives autochtones en matière de biodiversité, Gouvernement du Québec, quebec.ca, le 10 décembre
  • Lancement d’un projet collaboratif de développement d’indicateurs de biodiversité pour les investisseurs québécois, CDPQ, le 8 décembre
  • At COP15, a movement grows to manage nature-related financial risks - The Globe and Mail, December 9 2022

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