Texte initialement publié dans le Globe and Mail
Tammy Brown exerce les fonctions de vice-présidente du conseil d’administration de KPMG au Canada et de leader nationale, Marchés industriels. Elle est membre de la Première Nation Shawanaga.
Elio Luongo est associé principal et chef de la direction de KPMG au Canada; il siège également au conseil d’administration de KPMG International.
La macabre découverte de tombes anonymes sur le site d’un ancien pensionnat à Kamloops, en Colombie-Britannique, au printemps 2021 – et les nombreuses découvertes qui ont suivi depuis – a sensibilisé les Canadiens à un aspect obscur et jusque là peu connu de notre histoire. La récente visite du pape sous le thème de la guérison et de la réconciliation a mis en lumière les conséquences du colonialisme et la nécessité de s’attaquer aux injustices systémiques auxquelles sont confrontés les peuples autochtones du pays.
Aujourd’hui, les Canadiens attendent de leurs gouvernements et de la communauté d’affaires qu’ils prennent des mesures pour favoriser la réconciliation. Un sondage Ipsos réalisé en juin 2021 a révélé que 65 % des Canadiens souhaitent que les entreprises jouent un rôle accru dans le processus de réconciliation, proposition à laquelle adhérent fermement 54 % des répondants autochtones. Les actionnaires ont également fait entendre leur voix. Pendant la période de vote par procuration, des actionnaires de nombreuses grandes sociétés canadiennes ont présenté des résolutions réclamant l’adoption de cadres et de stratégies formelles de réconciliation, et plusieurs de ces résolutions ont effectivement été adoptées.
Dans un récent sondage mené par KPMG au Canada auprès de 500 petites et moyennes entreprises, plus des deux tiers (67 %) des répondants ont affirmé que la réconciliation faisait déjà partie de leurs objectifs sociaux. Toutefois, même s’il est prometteur, ce résultat est rarement accompagné de mesures concrètes et de comptes rendus transparents. Selon un rapport de mars 2021 publié par l’Association des actionnaires pour la recherche et l’éducation, « la production de rapports périodiques et normalisés sur les résultats des entreprises en matière de réconciliation est encore très loin d’être monnaie courante ». Or, en l’absence d’actions tangibles et d’informations appropriées, il est difficile de mesurer ce que font réellement les organisations pour changer les choses.
La seule façon pour la communauté d’affaires de réaliser des progrès significatifs vers la réconciliation est de s’engager publiquement à cet égard, avec des mesures précises ainsi que des mécanismes de contrôle transparents. Il est temps que nos entreprises se mobilisent davantage pour la réconciliation en élaborant et en adoptant des plans d’action concrets.
Pourquoi les entreprises devraient-elles agir de la sorte alors qu’elles sont confrontées à d’autres problèmes urgents, tels que la menace d’une récession imminente, l’inflation, l’instabilité géopolitique, le changement climatique et les pénuries de main-d’œuvre?
Parce que les gouvernements, les sociétés tant publiques que privées et les particuliers ont tous un rôle à jouer pour aider le Canada à guérir des effets négatifs hérités du colonialisme.Si nous n’agissons pas, alors que les peuples autochtones continuent de faire faire à des obstacles sociaux et économiques systémiques, le Canada ne progressera pas.
Et aussi parce que les organisations font l’objet d’une surveillance accrue de la part des parties prenantes qui exigent des mesures concernant leurs stratégies environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Les entreprises qui n’incluent pas d’engagements de réconciliation solides dans leurs cadres ESG s’exposeront de plus en plus au risque de réputation, ce qui pourrait faire fuir les investisseurs, les clients, les partenaires, les employés et les recrues potentielles.
Et parce que le rôle que les entreprises doivent jouer pour faire avancer la réconciliation avait déjà été souligné il y a sept ans dans l’appel à l’action 92 de la Commission de vérité et réconciliation. Continuer à ignorer cet appel à l’action ne fait qu’accroître le fossé et reporter le fardeau sur la prochaine génération.
Et surtout, parce que c’est la bonne chose à faire.
Depuis 2018, à peine 15 entreprises canadiennes ont adopté de nouvelles politiques en matière de droits des autochtones, offert des formations de sensibilisation à la culture autochtone ou établi des objectifs en matière de recrutement et d’approvisionnement dans les communautés autochtones, selon la Reconciliation and Responsible Investment Initiative. Nous pouvons certainement faire mieux. Dans quelques semaines, KPMG au Canada mettra à exécution son propre plan d’action de vérité et réconciliation, ce qui, nous l’espérons, incitera d’autres organisations à en faire autant.
Voici quelques conseils et pistes de réflexion pour les organisations qui s’apprêtent à entreprendre un parcours de réconciliation :
- Concentrez-vous sur l’éducation. Le point de départ de tout plan d’action est la sensibilisation à l’histoire commune du Canada. Offrir aux membres du personnel la possibilité de suivre des formations sur les questions autochtones est la première étape vers la réconciliation.
- Établissez une stratégie globale qui mobilise l’ensemble de l’organisation. La responsabilité du plan d’action de réconciliation n’appartient pas seulement aux services des ressources humaines, de la diversité ou de l’équité et de l’inclusion, elle incombe à tous, des finances à l’approvisionnement en passant par le marketing. Le plan d’action détaillé sera communiqué au personnel de façon appropriée tout au long de l’année.
- Engagez-vous à recruter davantage d’Autochtones et comptabilisez les progrès. Au Canada, la population autochtone a augmenté presque deux fois plus rapidement que la population non autochtone entre 2016 et 2021. Statistique Canada prévoit que cette tendance se poursuivra et que la population autochtone pourrait augmenter de plus de 50 % d’ici 2041. La mise en place d’une stratégie de recrutement permettra ainsi de reconnaître et d’éliminer les obstacles systémiques à l’emploi, et de mettre à profit des compétences et des connaissances de ce groupe en croissance rapide. L’établissement d’objectifs précis en matière de recrutement et de rétention des employés autochtones (au-delà de leur inclusion dans les mesures visant les personnes autochtones, noires et de couleur) permettra d’accélérer les progrès.
- Collaborer et travailler avec les groupes autochtones. Il est essentiel de soutenir directement les peuples autochtones pour établir des relations respectueuses et durables avec les communautés des Premières nations, des Inuits et des Métis. Il existe de nombreuses organisations autochtones dans tout le Canada qui aident les entreprises de toutes tailles à apporter des changements positifs et progressifs.
- Établir une stratégie d’approvisionnement autochtone. La création d’un répertoire actif des entrepreneurs autochtones, l’embauche d’un responsable des achats autochtone (pour les entreprises qui disposent des ressources nécessaires) et la sensibilisation aux questions autochtones pour des équipes chargées des achats aideront les organisations à mener à bien leurs stratégies.
La mise en œuvre de ces changements exigera du temps et un engagement clair à tous les échelons de l’organisation, de la direction jusqu’aux employés les plus débutants.
Le changement ne se fera pas du jour au lendemain et nécessitera une consultation approfondie auprès des parties prenantes internes et externes, y compris les communautés autochtones.
Les entreprises ont un rôle crucial à jouer pour faire avancer le processus de réconciliation et nous devons nous mobiliser dès maintenant pour faire notre part.
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