Le secteur des médias est l'un de ceux, nombreux, qui ont une pente abrupte à remonter avant de revenir à la « normale ». La demande de contenu est en hausse, et les productions reprennent leur essor malgré de nouvelles restrictions. Cependant, comme il est attendu que le télétravail et les bureaux hybrides demeurent bien après la fin de pandémie, les entreprises du secteur des médias seront probablement confrontées à des questions fiscales d'une complexité inédite avant la crise.
Par exemple, compte tenu des perturbations découlant de la pandémie, le budget fédéral de 2021 propose de prolonger de 12 mois certaines échéances pour le Crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne (CIPC) et le Crédit d'impôt pour services de production cinématographique ou magnétoscopique (CISP). Ces mesures seraient disponibles relativement aux productions pour lesquelles des dépenses admissibles ont été engagées par les contribuables en 2020 ou 2021. Le budget propose également d'accorder la passation en charges immédiate temporaire à l'égard de certains biens acquis par une société privée sous contrôle canadien (SPCC). Le plafond serait établi à 1,5 million de dollars par année d'imposition uniquement pour l'année dans laquelle le bien devient prêt à être mis en service.
Pour mieux comprendre les mesures de planification fiscales auxquelles devront réfléchir les entreprises du secteur des médias, je me suis entretenue avec Mirella Spanó, associée du groupe Fiscalité canadienne des sociétés au bureau torontois de KPMG au Canada. Voici quelques points saillants de notre conversation.
Lesley Luk : Quelles sont les principales questions fiscales auxquelles doivent réfléchir les entreprises du secteur des médias ces temps-ci?
Mirella Spanó : Comme c'est le cas dans de nombreux autres secteurs, les entreprises du secteur des médias ont vu la majeure partie de leurs employés passer au télétravail, et rien n'indique que tous ces employés retourneront dans les bureaux. En fait, un récent sondage de KPMG au Canada auprès de travailleurs canadiens révèle que plus de trois travailleurs sur quatre (77 %) sont favorables à l'idée d'un milieu de travail hybride, et que 71 % des répondants croient qu'un milieu de travail hybride devrait être le modèle standard.
Il est tout aussi clair que le télétravail ne convient pas à tous les postes dans le secteur des médias. Toutefois, les entreprises ayant à gérer des employés en situation de télétravail doivent composer avec des considérations fiscales qu'elles n'avaient peut-être pas envisagées dans le passé. Plus précisément, les employés pourraient choisir d'établir leur bureau à la maison dans une autre province, voire un autre pays. Une telle situation pourrait mener à l'émergence d'un nouvel établissement stable ou d'une présence institutionnelle imposable dans cet emplacement, qui devient alors soumis aux lois fiscales propres qui lui sont propres. À l'avenir, les employeurs pourraient devoir composer avec des questions fiscales qui touchent principalement les cotisations sociales, les prix de transfert et l'impôt sur le revenu des sociétés.
LL : Quelles sont les principales incidences fiscales du passage au « travail à domicile », au « travail sans lieu fixe » ou au « modèle hybride »?
MS : La révolution du travail à domicile, qui comprend le modèle hybride que certaines entreprises commencent à instaurer, expose les entreprises à de nouvelles considérations fiscales complexes pour les employés qui ont quitté le principal territoire d'exercice de l'entreprise et qui travaillent maintenant depuis un endroit ayant ses propres lois fiscales. Il y a bien sûr des employés qui sont exemptés des obligations fiscales de la province ou du pays qui les accueille, mais les employeurs doivent quand même produire des déclarations de revenus pour confirmer qu'elles n'ont pas d'obligations de retenue ou de versement.
Il y a également des obligations relatives à l'impôt des sociétés qui entrent en ligne de compte dans les régimes de télétravail. Dès qu'un employé établit un poste de télétravail à l'extérieur de son domicile, il se peut qu'il soit en train de créer un établissement stable ou d'établir une présence institutionnelle imposable à cet endroit. L'entreprise risque ici d'avoir des obligations de déclaration à l'étranger et de voir les bénéfices attribuables au travail effectué par cet employé considérés comme un revenu imposable pour l'entreprise dans le pays d'accueil. C'est pourquoi les gestionnaires de programmes devraient chercher à confirmer si une situation de télétravail hors des frontières risque de créer une présence imposable et un établissement stable pour l'entreprise qui est à la source du travail à domicile.
Les prix de transfert sont une autre incidence du passage au travail sans lieu fixe. Il se pourrait que les prix de transfert en vigueur avant la pandémie n'aient plus aucun sens compte tenu du mouvement des employés et des ressources entre les activités d'une entreprise, que ce soit à l'échelle du Canada ou entre des bureaux à l'international. Les entreprises devront ici aussi réexaminer leur affection des ressources pendant et après la pandémie. Les prix et les ententes de transfert au sein d'un même groupe devraient aussi être revus pour vérifier que les positions de ce dernier sont défendables au moment de payer l'impôt.
Il est important de souligner qu'il existe des conventions fiscales entre pays et qu'il peut y avoir une certaine latitude à certains endroits à mesure que les entreprises s'adaptent à une main-d'œuvre hybride et à des conditions post-pandémiques. Par contre, cela ne garantit pas pour autant que les employés en télétravail seront automatiquement admissibles aux exemptions prévues dans ces conventions. Les entreprises du secteur des médias devront donc connaître l'emplacement du « bureau » de leurs employés et comprendre l'incidence de ce choix sur leurs cotisations sociales et leur exposition fiscale.
LL : Les entreprises du secteur des médias sont souvent appelées à travailler en situation transfrontalière. Que leur faut-il savoir sur les prix de transfert et d'autres questions qui concernent le travail hors du pays d'attache?
MS : Les mêmes considérations s'appliquent en contexte transfrontalier. Ici encore, les cotisations sociales, les questions relatives à l'établissement stable, l'impôt sur le revenu, et les prix de transfert pourraient avoir une importante incidence.
Étant donné qu'un travailleur transfrontalier pourrait être assujetti aux lois de plus d'un pays ou territoire, il est essentiel d'établir ses responsabilités fiscales à l'égard de ceux-ci. Même lorsqu'un employé demeure au service de l'entreprise dans son pays d'attache, les régimes de télétravail pourraient engendrer des obligations en matière de cotisations sociales pour son employeur dans le pays d'accueil.
Prenons l'exemple d'une société de production américaine qui établirait une filiale canadienne afin d'y produire du contenu canadien au nom de la première. Dans un tel cas, la société américaine profite de services au Canada, et il faudrait établir un prix de transfert adéquat. Allons plus loin encore. Si la société américaine envoie ses employés au Canada pour qu'ils collaborent à une production, des questions de cotisations sociales entreraient alors en ligne de compte, en plus de la question de l'établissement stable au Canada pour l'entité américaine.
Par ailleurs, si une société de production canadienne créait une filiale américaine pour pouvoir conclure des ententes aux États-Unis et qu'elle donnait la production en sous-traitance à une filiale canadienne, il lui faudrait alors établir un prix de transfert adéquat.
LL : Comment les services de la paie sont-ils touchés par la situation actuelle?
MS : La situation est sans aucun doute devenue plus complexe pour certains services, particulièrement chez les employeurs qui ont maintenant à gérer des équipes qui travaillent à l'extérieur de la province ou du pays d'attache de l'entreprise. Les employeurs doivent donc s'assurer que ces considérations territoriales sont prises en compte et respectées lors du versement de la paie. Pour cette raison, on voit désormais des employeurs créer des « listes de paie distinctes » ou « listes de paie parallèles » qui leur permettent de faire le suivi de toutes les considérations fiscales concernant leurs employés.
LL : Bien qu'elle continue d'influencer les attentes et les pratiques, la pandémie finira bien par finir. Comment les entreprises du secteur des médias devraient-elles planifier leurs affaires sur le plan fiscal une fois la pandémie terminée et pour les années à venir?
MS : La gestion du risque fiscal devrait venir en premier pour les chefs de la direction. Il y a eu, et il continuera d'y avoir, d'importantes modifications aux systèmes d'imposition dans le monde, ce pour quoi la fiscalité est en train de devenir une priorité majeure. Le service de fiscalité doit fournir des informations sur l'entreprise afin que les considérations fiscales soient prises en compte en temps réel, au fur et à mesure que les stratégies commerciales sont élaborées et exécutées.
Bref, soyez proactifs. À mesure que l'entreprise envisage de réaliser de nouvelles initiatives, d'étendre ses activités ou de conclure des partenariats commerciaux, obtenez des conseils fiscaux pour éviter de poser des gestes qui pourraient nuire à votre reprise.
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