Je suis né aux Pays-Bas, mais je me suis dernièrement découvert une forte affinité pour le Danemark, même si je n’y suis jamais allé. Le fait que le pôle d’informatique quantique mondial de KPMG soit situé à Copenhague pourrait y être pour quelque chose : depuis sa création, j’ai noué de nouvelles et merveilleuses amitiés professionnelles. Il y a cependant une autre chose qui m’intéresse à propos des Pays-Bas. Piet Hein, physicien, mathématicien et poète danois du 20e siècle, est un descendant direct de Piet Pieterszoon Hein, amiral néerlandais du 17e siècle et héros de la guerre de 70 ans entre les Pays-Bas et l’Espagne commémoré jusqu’à ce jour dans une chanson pour enfants.
Le plus jeune des deux Piet était un contemporain de Niels Bohr, l’un des pères de la physique quantique, et jouer au « ping-pong mental » avec ce dernier dans les années 1920 et 1930. Je me demande si le poète anticipait les problèmes que poseraient les erreurs induites par le bruit dans l’informatique quantique quand il a écrit les lignes suivantes:
Qu’est-ce que la voie vers la sagesse?
C’est simple :
Faites des erreurs,
encore
et encore.
Puis moins,
et de moins
en moins.1
J’ai déjà abordé le concept du bruit dans les ordinateurs quantiques, soit toutes les occurrences pouvant interférer avec le fonctionnement cohérent d’un qubit, comme des températures chaudes ou le rayonnement cosmique, et causer des erreurs de calcul. Dans le même billet de blogue, j’ai fourni une définition des expressions « avantage quantique » et « suprématie quantique », qui font référence aux opérations encore énigmatiques qui permettraient de déterminer qu’un ordinateur quantique est manifestement supérieur à un ordinateur classique. J’aimerais maintenant m’étendre sur ces deux concepts et présenter de nouveaux développements dans le domaine qui pourraient hâter l’arrivée de l’informatique quantique utile à aujourd’hui.
Atténuer le négatif
Des affirmations controversées ont déjà été faites au sujet de l’avantage et de la suprématie quantiques, mais le consensus est que ni l’un ni l’autre n’a encore été clairement démontré de quelque manière pratique. Ces affirmations ont généralement été avancées dans le cadre de problèmes mathématiques ou physiques extrêmement abstraits, voire artificiels, qui se sont avérés n’avoir aucune valeur scientifique ni commerciale.
Cela nous amène à un nouveau terme, récemment introduit par un grand fabricant d’ordinateurs quantiques : l’utilité quantique. Le concept est simple : plutôt que de passer des années à essayer de déterminer un avantage ou une suprématie quantique, on devrait se concentrer sur la génération actuelle d’ordinateurs quantiques, qui peuvent effectuer des tâches utiles dès maintenant. Ils peuvent résoudre certains problèmes un peu mieux que les ordinateurs classiques d’aujourd’hui, et ceux-ci peuvent ensuite être optimisés pour égaler la performance des ordinateurs quantiques et vérifier les résultats. On répète cette optimisation chaque fois que l’on améliore les ordinateurs quantiques, jusqu’à ce que l’on atteigne un niveau de confiance suffisamment élevé à l’égard des résultats. Ainsi, on obtient l’utilité quantique avec des ordinateurs quantiques qui surpassent les machines classiques en ce qui concerne la vitesse, l’efficacité des calculs, ou les deux. Par utilité quantique, on entend donc travailler avec ce qui suffit maintenant, tout en continuant les efforts pour atteindre ce qui est mieux – ou ce qu’il y a de meilleur – plus tard.
L’obstacle à la réalisation de l’utilité quantique (sans parler de l’avantage ou de la suprématie) demeure le fâcheux problème du bruit qui cause des erreurs dans les systèmes quantiques. Pour éliminer les erreurs, les fabricants quantiques ont adopté deux approches.La première consiste à essayer de les éviter en protégeant les qubits du bruit, notamment grâce à des écrans de protection qui bloquent le rayonnement cosmique, ou à des techniques de refroidissement qui font passer l’ordinateur quantique à des températures proches du zéro absolu. J’ai même entendu parler de chercheurs qui sont allés jusqu’à établir leur laboratoire quantique au fond d’un puits de mine après avoir découvert que la croûte terrestre procure un bouclier naturel aux qubits. Puisque cette approche s’avère d’efficacité limitée pour le moment, des fabricants se tournent vers la deuxième, qui consiste à investir dans la tolérance aux fautes. Pour ce faire, ils créent un qubit logique à partir de plusieurs qubits physiques dans l’espoir que de cet assemblage émergera un résultat exact. Le problème avec cette approche est que puisqu’un si grand nombre de qubits physiques est nécessaire pour réaliser un unique qubit logique, les ordinateurs quantiques devront évoluer de manière à posséder des centaines de milliers, voire des millions de qubits avant d’être complètement tolérants aux erreurs et capables d’accomplir des tâches révolutionnaires – et cela pourrait prendre des années, ou même des décennies.
En juin 2023, le même fabricant qui a introduit le concept d’utilité quantique a publié un document dans lequel il avance qu’elle pourrait être atteinte à l’aide d’une méthode intitulée l’atténuation des erreurs.Il s’agit d’une approche de gestion des erreurs quantiques fascinante qui reconnaît que le bruit sera toujours là, mais que l’on peut tirer parti de connaissances à son sujet pour déceler des tendances et annuler mathématiquement son incidence sur les qubits afin d’arriver à la bonne solution. Il existe trois techniques pour atténuer les erreurs : l’extrapolation sans bruit, l’annulation probabiliste d’erreurs et l’atténuation des erreurs postsélection.
Prêter attention au son
Commençons par l’extrapolation sans bruit. Remémorez-vous vos cours d’algèbre au secondaire : imaginez un graphique où le bruit se trouve sur l’axe des X et les erreurs sur l’axe des Y. Pour chaque niveau de bruit (X) et le résultat erroné observé (Y), on ajoute un point dans le graphique. Ensuite, amplifions le niveau de bruit dans notre système quantique, faisant ainsi passer la valeur de X à X1, puis celle de X1 à X2, et ainsi de suite, pour toutes les valeurs se trouvant déjà dans le graphique. Cette amplification pourrait être le résultat de la suppression de certains contrôles de protection ou d’un changement de température, par exemple. Pour chaque nouveau niveau de bruit, on observe un nouveau résultat erroné (Y1, Y2, etc.) qui s’ajoute au graphique. Finalement, une fonction commence à prendre forme; elle ressemble peut-être à une courbe polynomiale ou exponentielle. Après avoir créé une courbe suffisamment fiable grâce aux nombreuses données dans le graphique, il est temps d’extrapoler ce qui se produirait si la valeur de X diminuait vers zéro, c’est-à-dire si la réduction ou l’élimination du bruit fonctionne. La valeur extrapolée de Y obtenue lorsque X devient zéro indique la réponse correcte du calcul quantique. La technique d’extrapolation sans bruit a l’avantage d’être facile à exécuter et de nécessiter des frais généraux peu élevés. Cependant, elle n’est pas toujours exacte, ce qui en fait une très bonne solution, mais imparfaite.
L’annulation probabiliste d’erreurs, c’est un peu comme mettre un casque d’écoute à réduction de bruit sur les oreilles sensibles des qubits. Retournons cette fois-ci aux cours de physique du secondaire, où l’on apprend que le son voyage dans l’air au moyen d’ondes sous forme de vagues décrivant des pics et des creux réguliers. Les casques d’écoute à réduction de bruit contiennent des microphones qui détectent les sons externes, puis font que le haut-parleur génère le même son, mais avec des pics et des creux déplacés d’une demi-longueur d’onde de sorte que les deux ondes sonores s’annulent. Une technique similaire s’applique dans un système quantique, où un échantillonnage permet de comprendre les caractéristiques et la distribution du bruit. Une fois cette étape terminée, des qubits qui produisent un bruit inverse à celui observé sont insérés dans le système, annulant ainsi le bruit indésirable. Cette approche fonctionne bien, mais l’observation et l’analyse du bruit entraînent des frais généraux importants. De plus, tout comme les casques d’écoute qui réduisent bien les sons constants comme les moteurs d’avion, mais qui bloquent mal les sons aigus ou variables comme des voix, l’annulation probabiliste d’erreurs fonctionne assez bien, mais devient moins efficace plus le bruit dans le système quantique varie au fil du temps.
L’atténuation des erreurs postsélection implique que l’on a une idée de ce que devrait être le résultat des opérations dans un calcul quantique. Pour le trouver, il faut exécuter des calculs expérimentaux sur de petits systèmes informatiques quantiques et corréler les résultats obtenus à ceux des mêmes calculs faits sur un ordinateur classique qui n’est pas affecté par le bruit quantique. Cette base de référence permet d’exécuter des calculs plus importants sur un plus grand nombre de qubits. On sélectionne ensuite les résultats qui répondent aux attentes, et on laisse de côté les autres. L’approche de l’atténuation des erreurs post-sélection nécessite des frais généraux faibles, mais pour le moment, elle fonctionne seulement avec certains types de circuits quantiques et demeure difficile à généraliser.
Faire preuve de patience
Ces trois techniques d’atténuation des erreurs constituent un autre exemple de ce que nous pouvons faire pour nous contenter de ce qui suffit. Nous n’avons pas réussi à atteindre la perfection en éliminant le bruit ou en construisant des systèmes suffisamment grands et robustes pour qu’ils puissent supporter pleinement le bruit. Cependant, nous avons été en mesure d’utiliser des techniques mathématiques créatives pour compenser le bruit, permettant de ce fait aux ordinateurs quantiques de petite ou de moyenne taille de fonctionner à leur pleine capacité et d’obtenir des résultats adéquats. Le document de juin 2023 susmentionné avance aussi qu’un ordinateur quantique de 127 qubits offert sur le marché et qui utilise l’extrapolation sans bruit peut surpasser un ordinateur classique; il serait capable de résoudre un problème particulier, quoique simplifié, de physique de la matière condensée. Contrairement aux affirmations de suprématie quantique, cela lui conférerait une applicabilité réelle dans la science des matériaux, l’ingénierie et la chimie.En juillet, un document de suivi a été publié afin de démontrer à nouveau l’utilité quantique, mettant cette fois-ci en scène un problème de distribution de probabilité dans les statistiques. On s’attend à ce que ces implémentations quantiques dans des systèmes de quelques centaines, ou même un millier de qubits puissent contribuer à la résolution de problèmes encore plus complexes et utiles. Et cela pourrait se produire d’ici quelques mois plutôt que dans quelques années.
Contentons-nous donc – pour l’instant – de ce qui suffit. Sur la longue route vers l’avantage et la suprématie quantiques, il est évident que les ordinateurs quantiques vont faire des erreurs, encore et encore. Toutefois, grâce à l’approche de l’atténuation, il est désormais possible d’atteindre l’utilité quantique et de faire de moins en moins d’erreurs, en plus de réduire leur incidence. Piet Hein serait fier.
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